Charles Fourier (1829)

Le nouveau monde industriel et sociétaire

Sections IV, V, VI et VII. Postface.


Table des matières


Avant-propos. Entraves opposées aux inventeurs

Préface Indices d'égarement, monde à rebours

Article 1er. Exposé et notions préparatoires
Article 2°. Énormité du produit sociétaire
Article 3°. Cercle vicieux de l'industrie civilisée

Section I : Analyse de l'attraction passionnée.

Notice I. Notions élémentaires sur les Séries passionnées.

Chap. I. Analyse de l'attraction passionnée
Chap. II. Généralités sur les Séries passionnées
Chap. III. Personnel des Séries passionnées
Chap. IV. Relations des groupes d'une Série passionnée

Notice II Distribution du passionnel des Séries.

Chap. V. Des trois causes ou passions mécanisantes
Chap. VI. Des trois effets obligés en Série passionnée
Chap. VII. Des Séries faussées, leurs correctifs.
Chap. VIII. Des sortes et doses d'attraction

Appendice à la première section : chapitres omis


Section II : Dispositions de la phalange d'essai.

Notice III. Partie matérielle des préparatifs.

Chap. IX. Préparatifs en matériel et personnel.
Chap. X. Classification, direction, devis
Chap. XI. Distribution des cultures en trois ordres
Chap. XII. Distribution unitaire des édifices

Notice IV. Partie spéculative des préparatifs.

Chap. XIII. Séries à préférer en règne animal
Chap. XIV. Séries à préférer en règne végétal
Chap. XV. Choix des manufactures spéculatives et usuelles
Chap. XVI. Séries faussées et hongrées
Complément. Duperie des détracteurs. Secte Owen


Section III : Éducation harmonienne.

Notice V. Éducation de la basse enfance.

Chap. XVII. Absurdité de l'éducation civilisée
Chap. XVIII. Éducation préparatoire, prime enfance
Chap. XIX. Éducation des lutins par les bonnins.
Chap. XX. Éducation des bambins par les mentorins
Conclusion

Notice VI. Éducation des moyenne et haute enfances, concurrence des instincts et des sexes.

Préambule
Chap. XXI. Des Petites Hordes
Chap. XXII. Des Petites Bandes
Chap. XXIII. De l'enseignement harmonien
Chap. XXIV. Éducation de l'enfance mixte
Résumé de la théorie exposée


(Deuxième fichier de 2)

Section IV : Mécanisme de l'attraction.

Notice VII. Engrenage des attractions industrielles.

Chap. XXV. Initiative en attraction industrielle.
Chap. XXVI. Engrenage des Séries par la gastronomie
Chap. XXVII. De la gastrosophie ou sagesse harmonienne
Chap. XXVIII. Du germe de discorde ou lien de famille

Notice VIII. Accords intentionnels en répartition.

Préambule
Chap. XXIX. Accords par les jouissances matérielles
Chap. XXX. Accord affectueux par fusion des trois classes
Chap. XXXI. Accord par le charme du mécanisme.
Chap. XXXII. Accord par les trois unités
Résumé sur l'application


Section V : Équilibre des passions.

Notice IX. Accords et équilibres en répartition.

Chap. XXXIII. De la classification des Séries
Chap. XXXIV. Accord direct par cupidité
Chap. XXXV. Accord inverse par générosité
Chap. XXXVI. Ralliement des seize antipathies
Complément. L'équilibre de population


Notice X. Étude en mécanisme des passions.

Chap. XXXVII. Échelle des caractères et tempéraments
Chap. XXXVIII. Groupes d'équilibre compensatif
Chap. XXXIX. Du vrai bonheur.
Chap. XL. Boussole en étude des passions

Confirmation tirée des SS. Évangiles

Erreurs en interprétation des Saintes Écritures
Impéritie en application des préceptes
Fondations approximatives en essai sociétaire

Plan des sections VI et VII

Section VI : Analyse de la civilisation.

Notice XI. Caractères de base et de lien.

Chap. XLI. Caractères successifs des quatre phases
Chap. XLII. Caractères permanents de la période.
Chap. XLIII. Caractère du commerce, en genres
Chap. XLIV. Caractères du commerce, en espèces

Notice XII. Caractères de fanal et d'écart.

Chap. XLV. Caractères de répercussion harmonique
Chap. XLVI. Caractères de répercussion subversive
Chap. XLVII. Caractères de rétrogradation greffée.
Chap. XLVIII. Caractères de dégénération de la troisième phase
Résumé sur la sixième section

Section VII : Synthèse générale du mouvement.

Notice XIII. Premier âge du monde social.

Chap. XLIX. Construction de la quatrième phase civilisée
Chap. L. Construction partielle de la sixième période, Garantisme
Chap. LI. Construction intégrale de la sixième période
Chap. LII. Construction des quatre périodes infra-civilisées
Intermède. Issues du chaos social

Notice XIV. Partie transcendante du mouvement.

Chap.LIII. Détermination du plan de Dieu
Chap. LIV. Analogies générales du mouvement.
Chap. LV. Analogies spéciales du mouvement.
Chap. LVI. Immortalité de l'âme


Épilogue sur l'analogie

Postface sur la cataracte intellectuelle.

Duperie du monde savant et des partis politiques

1° Candidature spéculative
2° Réfutation de la secte Owen
3° Du simplicisme cause de la cataracte
4° Démonstrations familières de la cataracte.
5° Candidature individuelle


Charles Fourier


Le nouveau monde
industriel
et sociétaire

Ou

Invention du procédé d'industrie attrayante
et naturelle distribuée
en séries passionnées


Section quatrième

Mécanisme et harmonies
de l'attraction


Section IV : Mécanisme et harmonies de l'attraction
Septième notice

Engrenage des attractions industrielles.


Chapitre XXV

Initiatives d'attraction individuelle
et collective en industrie sériaire.

Distinguons en deux séries les classes qu'il faudra attirer au travail productif; ce sont :

La série des trois sexes, hommes, femmes et enfants; La série des trois fortunes, riches, moyens et pauvres. Parmi les sexes, le faible entraîne le fort (III, 344). Il faut donc séduire d'abord les enfants ; ils entraîneront les mères à l'industrie, puis les mères et les enfants réunis entraîneront les pères, plus rétifs par effet des défiances qui règnent entre civilisés au-delà du jeune âge. Parmi les classes la plus fortunée entraîne les inférieures ; il faudra donc se mettre en mesure de séduire les riches, car la bourgeoisie et le peuple travailleront assez, quand ils verront les grands s'entre¬mettre passionnément à l'ouvrage. Examinons si les travaux sociétaires séduiront de prime abord les enfants et les gens riches.

La première amorce pour les enfants sera la gourmandise : une cuisine spéciale pour eux, et la libre manifestation de leurs goûts qui seront suivis en toute fantaisie, dès qu'il y aura demande formée par un groupe de 7 enfants pour tel mets, tel accommmodage à déjeuner, dîner, goûter, souper. Lorsque la phalange sera au complet, on souscrira aux fantaisies d'un groupe de 3 enfants. Dès les premiers jours on les exercera à former des partis sur chaque mets, bien classer leurs goûts sur chaque sorte de préparation. Cette nouvelle sagesse leur semblera si délicieuse, qu'ils seront autant de Séides pour la phalange.

On a vu quelles seront les autres amorces, industrie en miniature, petits ateliers, petits outils, courtes séances, manœuvres chorégraphiques, etc.

La classe riche hésitera d'abord, elle s'engagera peu à peu dans quelques minuties, nommées travaux parcellaires. Examinons cet effet sur une culture vulgaire, le chou.

La nature a donné à Mondor du goût et de l'aptitude pour la parcelle de travail agricole qu'on nomme GRAINETERIE, cueillette et conserve de graines. Mondor aime le chou rouge, il en a vu de beaux carreaux à la phalange, et les a trouvés très bons à table : il demande - à voir les graines de ce chou ; il disserte sur leur tenue, et donne de bonnes idées au groupe des grainistes. Ce groupe complimente Mondor, dont l'amour-propre est très satisfait de briller sur cette bagatelle. Il prend parti avec les grainistes du chou, mais non pas avec les autres groupes qui vaquent à cette culture; sa passion en ce genre étant parcellaire et bornée aux graines, il s'enrôlera plutôt dans la série de graineterie générale que dans les divers groupes qui soignent le chou rouge.

Le lendemain de ce premier engagement, Mondor voit, à la parade matinale, s'avancer vers lui la fanfare enfantine, âgée de 8 à 10 ans; elle bat le ban des promo¬tions ; puis une héraute de la série des choutistes proclame Mondor bachelier du chou rouge, dispensé de noviciat, vu l'étendue de ses connaissances. Ensuite la vestale de parade qui distribue les insignes de promotion, embrasse Mondor en lui présentant un bouquet de fleur de chou artificielle; puis il reçoit les félicitations des chefs, accom¬pagnées d'une salve de la fanfare enfantine (cette réception est le contraire de la coutume civilisée qui ne fait que du barbouillage en cérémonial, et ferait embrasser une jeune bachelière par un municipal de 80 ans).

Mondor au bout de la première quinzaine aura déjà plusieurs trophées de cette espèce; il ne voudra plus quitter la phalange, il y aura noué des intrigues et pris parti dans les prétentions de divers groupes.

Ainsi chaque personnage riche, homme ou femme, après avoir parcouru quelques jours les travaux de la phalange, sera fort étonné de voir éclore en lui-même vingt attractions industrielles dont il ne se savait pas doué, mais qui seront attractions parcellaires et non pas intégrales, car elles ne s'appliqueront point à l'ensemble du travail, comme l'exigerait le mécanisme civilisé, contraire en tout sens au vœu de la nature.

C'est par influence de l'exercice parcellaire qu'on verra les sept huitièmes des femmes se passionner pour les fonctions de ménage qu'elles répugnent aujourd'hui : telle femme qui n'aime pas le soin des petits enfants, prendra parti dans un groupe affecté à quelque branche de couture ; telle autre qui dédaigne le pot-au-feu, se pas¬sionnera pour la préparation des crèmes sucrées, y excellera et deviendra présidente de ce groupe, quoique étrangère aux autres branches de cuisine. L'écumoire et le pot trouveront de même des sectaires passionnées, quand ce travail n'astreindra pas à en exercer vingt autres dont on surcharge les ménagères civilisées, non moins rebutées par le défaut d'argent que par la complication de travaux; car les maris et la morale donnent aux ménagères beaucoup de conseils et peu d'argent. Les femmes ne trouvent dans le ménage que tracasseries et privations ; les hommes ne trouvent à la culture que friponnerie et dégoûts. Faut-il s'étonner que tous prennent en aversion ces travaux qui sont leur destination naturelle !

Quoique l'exercice parcellaire soit la principale source d'initiative en Attraction industrielle, on la verra naître de beaucoup d'autres amorces; telles seront les intrigues de contact, et la domesticité passionnée.

L'intrigue de contact enrôle à un travail tel individu qui n'y aurait jamais songé. Chloé, après avoir servi plusieurs fois à table les sectaires de la lutherie, dans leurs dîners cabalistiques, finit par s'intéresser à leurs intrigues dont ils confèrent avec chaleur ; elle prend fantaisie de visiter les ateliers de cette compagnie ; elle y trouve de menus travaux, ou sur bois, ou sur ivoire et nacre, qui lui plaisent ainsi que la société ; elle s'engage dans quelque fonction parcellaire, et n'y aurait pas pris parti si elle eût visité l'atelier sans s'être auparavant mise en contact d'intrigue avec les sectaires.

Bientôt la lutherie entraînera Chloé à d'autres fonctions qui lui étaient indiffé¬rentes, et qui seront stimulées par ce contact d'intrigues dont on n'a aucune con¬naissance en civilisation, chaque classe d'ouvriers étant insouciante et railleuse sur les intrigues des autres classes.

La domesticité indirecte est un des plus brillants effets d'harmonie passionnée et un puissant ressort d'Attraction industrielle. Tel qui aujourd'hui est réduit, pour subsister, à servir autrui, essuyer les rebuffades et les vexations d'un maître, se trouve¬ra tout à coup pourvu d'une cinquantaine de serviteurs passionnés, travaillant pour lui par préférence affectueuse, et sans aucun salaire de sa part.

Bastien, jeune homme sans fortune, a déchiré par un accroc son plus bel habit. Le lendemain le groupe des caméristes, en faisant la chambre de Bastien, emporte cet habit à l'atelier des repriseuses, présidé par Céliante, dame opulente, âgée de 50 ans, et passionnée pour le travail des reprises perdues, où elle se prétend incomparable.

Céliante affectionne Bastien, qu'elle rencontre souvent dans divers groupes où il excelle; c'est lui qui, au colombier des faisans, soigne les faisans favoris de Céliante, et ses œillets à parfum de girofle, au groupe chargé de cette variété; elle est empressée de s'en reconnaître, et voyant un habit étiqueté Bastien, elle s'en empare et exécute la reprise avec une haute perfection.

Dans ce travail, Bastien a eu pour ouvrière une dame millionnaire qui l'a servi par passion et très gratuitement, car c'est la phalange qui paie chaque service par un dividende alloué au groupe. Nul ne reçoit de salaire individuel, ce serait déshonneur.

On verra que Bastien, quoique très pauvre, est partout servi de même. Les fonc¬tions de faire le lit, battre l'habit, cirer les chaussures, seront toutes remplies par des femmes ou enfants qui, dans les groupes de caméristes, batteuses et décrotteuses, auront choisi de préférence les vêtements de Bastien et de tels autres qu'elles affec¬tionnent. Tout travail domestique roulant sur un groupe libre, chacun choisit à volonté les personnes qu'il veut servir, et les quitte de même. Celui dont l'habit West choisi par personne, sera servi par les complémentaires qui, à tour de rôle, exercent pour la masse non choisie.

Sur cet aperçu, il reste à prouver que chacun, vieux ou jeune, pauvre ou riche, trouve des serviteurs passionnés en tout genre, et a réellement une cinquantaine de domestiques affectionnés, souvent cent fois plus riches que lui. Le travail de domes¬ticité qui en civilisation désole les valets et parfois les maîtres mêmes, devient dans la phalange une source de liens innombrables, souvent en amour; car le jeune Bastien, pour se reconnaître envers Céliante qui l'a obligé dans divers services, ne manquera guère de lui offrir la preuve de gratitude qu'un jeune homme de 20 ans peut offrir à une dame de 50.

Il arrive en régime sociétaire que toute la vieillesse d'un et d'autre sexe a quantité de ces bonnes fortunes, par suite des nombreux services qu'elle rend dans divers groupes à la jeunesse peu experte, mais passionnée pour des travaux où les vieillards excellent.

Ce ralliement amoureux des deux âges extrêmes en doit faire pressentir un autre plus précieux encore, c'est celui de l'éducation qui est toute passionnée : chaque enfant pauvre est entraîné à une trentaine de fonctions et même une centaine dans le cours de sa jeunesse; partout il trouve des vieillards qui, zélés pour la continuation de ces travaux, se plaisent à instruire tel enfant pauvre en qui ils entrevoient un héritier de leur travail favori ; de là vient que souvent un petit garçon sans fortune devient l'un des adoptifs d'une femme âgée, qui a reconnu en lui le continuateur de quelqu'un de ses travaux favoris, et lui fait un legs à ce titre.

C'est pour ménager ce beau ralliement, que la nature donne aux enfants des pen¬chants différents de ceux des pères qui s'en plaignent amèrement en civilisation. Bientôt ils admireront la sagesse du créateur dans les harmonies sublimes que l'état sociétaire fait naître de cette diversité de goûts en même lignée (cinquième section).

En opposition à ces brillants accords, l'industrie morcelée n'aboutit en tout sens qu'à brouiller les âges opposés et les classes opposées ; le salaire y devient un sujet de querelles interminables, et le commandement individuel un sujet de haines. Tout commandement arbitraire est humiliant pour celui qui obéit. L'individu en harmonie n'est jamais commandé que pour discipline convenue, collective, et consentie pas¬sionnément ; dans ce cas il n'y a rien d'arbitraire dans l'ordre donné, rien d'offensant dans l'obéissance ; tandis que la méthode civilisée ou régime de domesticité indi¬viduelle et salariée crée toujours double et souvent quadruple discorde, là ou la méthode sociétaire produit double et quadruple charme, liens et accords de toute espèce.

Passant aux initiatives en attraction collective, je comptais en décrire trois ressorts :

L'emploi des passions ambiguës (III., 135).,
Les relations galantes aux armées,
L'échelle d'amour maternel. Je me borne au premier.

On appelle Groupes d'ambigu, Séries d'ambigu, les réunions mues par des goûts bâtards et méprises parmi nous, où l'on n'en a aucun emploi. Démontrons l'utilité de ces prétendus vices, précieux en exercice combiné.

Je suppose qu'il s'agisse d'entreprendre un travail difficile, comme la plantation d'une forêt, pour couronner ou meubler une montagne nue qui dépare le canton : l'on ne trouvera guère à former une série qui veuille se charger passionnément de l'ensem¬ble du travail; il faudra mettre en jeu une série d'ambigu, en rechange successif.

D'abord on fera agir la cohorte de salariés pour les premiers transports de terre et le dégrossissement du travail. (Je parle de la phalange d'essai, car au bout de trois ans on n'aura plus besoin de cohorte salariée.)

Ensuite on fera intervenir les initiateurs, gens qui commencent tout et ne finissent rien, n'ont qu'un feu de paille limité à quelques séances : n'importe, ils sont précieux pour aider à franchir les premiers pas qui sont les plus épineux; ces caractères sont faciles à stimuler, l'entreprise la plus inconsidérée ne les effraie pas : ils mettront donc la main à l'œuvre, fourniront quelques séances de 2 heures, et lâcheront pied au bout d'une quinzaine, ainsi qu'on l'aura prévu. Entre-temps l'ouvrage aura déjà pris cou¬leur ; les initiateurs aidés d'une cohorte salariée auront bien avancé le dégrossisse¬ment: et placé quelques bouquets d'arbres sur divers points.

Alors on aura recours aux caractères occasionnels ou girouettes, gens versatiles tournant à tout vent, inclinant pour l'avis du dernier venu, et ne goûtant une nouveauté que lorsqu'elle commence à prendre crédit : ils jugeront l'entreprise très plausible, quand ils la verront en activité, et s'adjoindront à ce qui restera des initiateurs aidés d'une masse de salariés.

On recourra ensuite aux ambiants ou fantasques, gens qui veulent s'entremettre dans ce qui est fait à demi, le modifier et remanier, refaire la maison à moitié cons¬truite, changer inconsidérément de fonctions, quitter même un bon poste pour un mauvais, sans autre motif qu'une inquiétude naturelle dont ils ne peuvent pas pénétrer la cause. Ils s'entremettront ardemment dans la plantation quand ils la verront avancée ; on leur accordera quelque changement insignifiant pour les amadouer, et ils figureront pendant quelque temps dans ce travail avec le restant des coopérateurs précédents.

Viendront ensuite les caméléons ou protées, sorte d'ambigus très nombreux en civilisation, gens qui s'engagent dans une affaire quand ils la voient en bon train. Ils ne voudront pas paraître insouciants pour l'entreprise parvenue aux deux tiers, et opineront à y coopérer sans attendre la fin. Leur intervention avancera d'autant le travail qui, dès lors, approchera de son terme.

Ce sera le moment d'engager les finiteurs, gens qui se passionnent pour un ouvrage quand ils le voient presque achevé. Jamais il n'obtient leur suffrage au début; ils crient à l'impossible, au ridicule, se répandent en diatribes contre l'autorité qui fait une amélioration, traitent de fou le propriétaire qui construit, dessèche, innove en industrie.

Mais lorsque l'ouvrage en est aux trois quarts, on voit ces aristarques changer de ton, se déclarer prôneurs de ce qu'ils ont tant décrié, prétendre, comme la mouche du coche, qu'ils ont aidé l'entreprise ; on les voit souvent prôner cet ouvrage à ceux même qu'ils ont indécemment raillés pour l'avoir soutenu dans le principe. Ils ne s'aperçoivent pas de leur inconséquence, entraînés par la passion qui ne germe chez eux qu'au dénouement de l'affaire. C'est en France que ce caractère est le plus com¬mun ; aussi les Français revendiquent-ils, après coup, toutes les nouveautés qu'ils ont raillées à l'apparition.

Les Français ne manqueront pas de se montrer en finiteurs sur la fondation de l'harmonie ou Attraction industrielle. Ils ont débuté par diffamer l'invention et l'auteur ; plus tard ils railleront les actionnaires fondateurs, puis ils commenceront à se raviser, lorsqu'ils verront s'avancer les dispositions du canton d'épreuve. Enfin, au moment de l'installation, ils rachèteront les actions au triple et au quadruple; ils prouveront que ce sont eux qui ont protégé l'auteur, qu'ils ont admiré, encouragé sa découverte. Et comme les extrêmes se touchent, les Français sont grands initiateurs sur les choses connues; aucun peuple n'est plus enclin à tout commencer sans rien finir, changer de plan sur un travail à moitié fait. On ne voit jamais chez eux un fils achever sur le plan du père, ni un architecte continuer sur le plan de son prédéces¬seur : les Français sont ambiants, ne pouvant se tenir fixément à un goût, à une opinion, passant brusquement d'un extrême à l'autre et amalgamant les contraires. Ils étaient, il y a un demi-siècle, pleins de mépris pour le commerce, ils en sont aujour¬d'hui plats adulateurs; ils se vantaient de loyauté, et maintenant ils sont, dans le commerce, aussi faux que les juifs et les Chinois.

Bref, on voit affluer chez eux tous les caractères d'ambigu que je viens de décrire. L'ambigu, en tous genres, est le caractère national chez les Français ; et quand les harmoniens, écrivant l'histoire de la civilisation, classeront les peuples par échelles de caractères, le Français y figurera comme type de l'ambigu et non de la loyauté.

On peut entrevoir ici que nos goûts les plus critiqués par la morale seront utilisés et deviendront vertus précieuses en régime sociétaire. Les civilisés ne cessent de se railler l'un l'autre sur tel goût bizarre; en réponse à cette critique, je viens de décrire un ouvrage des plus pénibles, des plus rebutants, effectué passionnément par le con¬cours de tous ces caractères ambigus.

Plus on avancera dans l'examen du mécanisme des Séries passionnées, plus on se convaincra qu'il existe surabondance de moyens pour attirer à l'industrie les masses comme les individus; que nos penchants, nos instincts, nos caractères même les plus bizarres, seront bons tels que Dieu les a faits, sauf à les employer en Séries passion¬nées ; que le règne du mal ne provient aucunement des passions, mais du régime civilisé qui les emploie en exercice morcelé ou familial, d'où naissent autant de calamités que le régime divin aurait produit de bienfaits.

Résumant sur le sujet de ce chapitre, je pourrais indiquer beaucoup d'autres voies d'initiative en Attraction industrielle; mais il suffit de ces quatre :


Exercice parcellaire, Domesticité indirecte,
Intrigue de contact, Emplois d'ambigu (III, 135).


pour prouver que le monde social est hors des voies de la nature quand il distribue l'industrie par familles, méthode où la fourberie des relations, la longueur des séances, la saleté des ateliers, la complication des travaux, l'ingratitude des fonctions subal¬ternes, l'injustice et l'égoïsme des maîtres, la grossièreté des coopérateurs, tout con¬court à transformer l'industrie en supplice, et, qui pis est, à réduire le produit au quart de ce qu'il serait en régime sociétaire. L'état civilisé est donc l'antipode de la destinée, le monde à rebours, L'ENFER SOCIAL: il faut être frappé de la cataracte philoso¬phique pour ne pas reconnaître cet égarement de la raison.


Chapitre XXVI

Engrenage des Séries
par la gastronomie cabalistique.

Dans le cours des sections précédentes et de la Préface, on a pu badiner sur une thèse plusieurs fois répétée et risible au premier abord ; c'est (271) qu'en régime sociétaire la gourmandise est source de sagesse, de lumières et d'accords sociaux. Je puis donner sur cette étrange thèse les preuves les plus régulières.

Aucune passion n'a été plus mal envisagée que la gourmandise. Peut-on présumer que Dieu considère comme vice la passion à laquelle il a donné le plus d'empire ? (Car il n'en est point de plus généralement dominante sur le peuple.) D'autres pas¬sions, l'amour, l'ambition, exercent sur les âges adulte et viril beaucoup plus d'influence ; mais la gourmandise ne perd jamais son empire sur les divers âges : elle est la plus permanente, la seule qui règne depuis le berceau jusqu'au terme de la vie. Déjà très puissante sur la classe Polie, elle règne en souveraine sur le peuple et sur les enfants, qu'on voit partout esclaves de la gueule. On voit le soldat faire des révo¬lutions pour veut l'enivrer; et le sauvage, si dédaigneux pour les civilisés, s'associer à leur industrie moyennant un flacon d'eau-de-vie, leur vendre au besoin sa femme et sa fille pour quelques bouteilles de liqueurs fortes.

Dieu aurait-il asservi si impérieusement les humains à cette passion, s'il ne lui eût assigné un rôle éminent dans le mécanisme auquel il nous destine ? Et si ce méca¬nisme est celui de l'Attraction industrielle, ne doit-elle pas se lier intimement avec l'attraction gastronomique dite gourmandise ? En effet, c'est la gourmandise qui doit former le lien général des Séries industrielles, être l'âme de leurs intrigues émulatives.

Dans l'état civilisé la gourmandise ne se lie pas à l'industrie, parce que le produc¬teur manouvrier ne goûte pas des denrées exquises qu'il a cultivées ou manufacturées. Cette passion devient donc parmi nous l'attribut des oisifs; et par cela seul elle serait vicieuse, si elle ne l'était déjà par les dépenses et les excès qu'elle occasionne.

Dans l'état sociétaire la gourmandise joue un rôle tout opposé : elle n'est plus récompense de l'oisiveté, mais de l'industrie; car le plus pauvre cultivateur y participe à la consommation des denrées précieuses. D'ailleurs elle n'influera que pour préser¬ver des excès à force de variété, et stimuler au travail en alliant les intrigues de con¬sommation avec celles de production, préparation et distribution (263). La production étant la plus importante des quatre, posons d'abord le principe qui doit la diriger ; c'est la généralisation de la gourmandise. En effet :

Si on pouvait élever tout le genre humain aux raffinements gastronomiques, même sur les mets les plus communs, tels que choux et raves, et donner à chacun une aisance qui lui permît de refuser tout comestible médiocre en qualité ou en accom¬modage, il arriverait que chaque pays cultivé serait, au bout de quelques années, couvert de productions exquises ; car (94) on n'aurait aucun placement des médiocres, telles que melons amers, pêches amères, que donnent certains terroirs où l'on ne cultiverait ni le melon ni la pêche : tout canton se fixerait aux productions que son sol peut élever à la perfection; il rapporterait des terres sur les lieux qui donnent de mauvaises qualités, ou bien il mettrait le local en forêt, en prairie artificielle ou autre emploi qui pût donner un produit de bonne qualité. Ce n'est pas que les Séries pas¬sionnées ne consomment du commun en comestibles et en étoffes ; mais elles veulent, même dans les choses communes, telles que les fèves et le gros drap, une qualité aussi parfaite que possible, conformément aux proportions que la nature a établies en attraction manufacturière (voyez 197).

Le principe d'où il faut partir, est qu'on arriverait à une perfection générale de l'industrie, par exigence et raffinement universel des consommateurs, sur les comes¬tibles et vêtements, sur le mobilier et les plaisirs. Ce principe est reconnu par les moralistes mêmes ; car on voit les CLASSIQUES tonner contre le mauvais goût du public, adonné aux mélodrames et aux monstruosités que dédaignerait une société d'un goût épure.

Sur ce point comme sur tout autre, la morale est en contradiction avec elle-même, car elle nous veut raffinés sur la littérature et les arts; puis elle nous veut grossiers sur la branche essentielle du système social, celle des subsistances qui sont la partie de relations où doit germer l'Attraction industrielle, pour se répandre de là dans toutes les autres branches. Ainsi les moralistes, toujours malencontreux en théorie comme en pratique, ont appliqué le principe de perfectionnement, ou nécessité de goût raffiné, au dernier objet auquel on devait l'appliquer, aux beaux-arts; et je les place au dernier échelon en politique sociale, parce que le raffinement qu'on y a introduit tombe dans double vice :


1˚ Il pervertit les arts mêmes qui, par spéculation mercantile, s'engagent de plus en plus dans les faux brillants, le romantique outré, les écarts de toute espèce ; dépra¬vation qui se communique au génie adonné plus que jamais à l'esprit de système, et au dédain de la nature ou attraction.

2˚ Si le raffinement règne plus ou moins dans les arts, il y est limité, il ne se répand point dans les relations primordiales, celles de consommation et préparation, d'où il se communiquerait à la production. Ainsi la marche du bon goût ou raffi¬nement est tout à fait faussée ou neutralisée par cette bévue morale qui veut le limiter aux arts avant de l'introduire en gastronomie, d'où il se répandrait partout, sauf emploi des Séries passionnées.

À l'appui de ce double grief, observons que Paris, qui est le foyer des beaux-arts, est aussi le foyer du mauvais goût en gastronomie. Les Parisiens consomment indiffé¬remment : le bon ou le mauvais ; c'est une fourmilière de huit cent mille philosophes qui ne se nourrissent que pour modérer leurs passions et favoriser l'astuce des mar¬chands par une servile résignation à toutes les fraudes, à tous les poisons qu'il plaît au commerce d'inventer.

Un autre genre de dépravation particulier à la France, et qui est encore d'origine parisienne, c'est le dédain du sexe féminin pour la gastronomie, dédain qui va croissant. Ce sera un très grand vice au début de l'harmonie ; car on ne peut pas se passionner vivement pour les cultures, épouser avec ardeur les intrigues des séries agricoles, si on ne se passionne pas en gastronomie, voie initiale d'Attraction indus¬trielle. Des prédicants de morale et de bon ton persuadent aux dames françaises que la gourmandise est une passion de mauvais genre ; il faudra qu'elles changent de thème en harmonie, qu'elles s'élèvent au raffinement cabalistique, au moins sur les dix passions permises par les coutumes civilisées. Le sexe féminin est moins vicié en Allemagne, il s'y livre plus franchement à la gourmandise, même sur les vins, que le beau sexe français tient à honneur de mépriser.

Tous ces goûts de modération ne sont que travestissement de la nature : elle a ménagé, en comestibles solides ou liquides, un assortiment propre à passionner les trois sexes ; et de plus un engrenage de goûts, engageant dans les goûts mâles un huitième de femmes, et dans les goûts féminins un huitième d'hommes. Cet engre¬nage existe quoique déguisé. Je connais une demoiselle de neuf ans qui aime beau¬coup l'ail et mange des gousses d'ail avec avidité. Sans doute à quinze ans elle se sèvrera de ce régal ; mais il prouve qu'en dépit des arrêts de la mode, les femmes sont pourvues, en proportion convenable, de tous les goûts nécessaires à l'engrenage des Séries passionnées, selon les règles posées en 1re section.

Il faudra donc développer ces goûts dans la phalange d'essai, faire éclore chez les femmes leurs penchants naturels souvent fort opposés au bon ton. Ce sera d'abord sur la gastronomie qu'il faudra les rappeler à la nature, si l'on veut atteindre sans délai à l'engrenage des séries industrielles et à l'équilibre des passions. Une jeune fille aime l'ail en dépit des plaisants ; spéculez sur ce goût pour un engrenage double, il peut opérer :


1° L'alliage des sexes dans une série; car la série qui cultivera les légumes bul¬beux, oignon, ail, échalotte, poireau, ciboule, sera communément masculine. Il faut, par engrenage, y introduire au moins 1/8 de femmes ; et c'est dans le bas âge qu'il faut les chercher, car ce n'est guère à seize ans que les filles prennent goût à l'ail.

2° L'alliage des travaux chez l'individu. Telle jeune fille aime l'ail et n'aime pas étudier la grammaire. Ses parents voudront qu'elle renonce à l'ail et qu'elle s'adonne à l'étude ; c'est doublement contrarier son naturel ; cherchez plutôt à le développer en double sens. Après l'avoir mise en liaison cabalistique à table et au jardin avec les amateurs de l'ail, présentez-lui l'Ode en l'honneur de l'ail, par M. Marcellus : elle s'empressera de la lire, si elle est vivement piquée contre les détracteurs de l'ail. Profitez de cette lecture pour l'initier superficiellement à la poésie lyrique, aux dis¬tinctions de strophes et de vers libres ; peut-être se passionnera-t-elle pour la poésie avant la grammaire, et l'une conduira bientôt à l'étude de l'autre. Ainsi l'enseignement sociétaire combine l'esprit cabalistique et les penchants bizarres pour éveiller chez un enfant le goût des études, et le conduire indirectement à celle qu'il aurait repoussée obstinément sans le concours de quelques stimulants d'intrigue.

J'insiste sur le principe de rattacher toutes ces intrigues à la gourmandise, qui est pour les enfants la voie naturelle d'initiative et d'engrenage en industrie. Sans doute il est d'autres ressorts à mettre en jeu, mais celui-là est au premier rang chez l'enfance. La phalange d'essai, en méconnaissant ce principe, s'engagerait dans la fausse route : elle n'avancerait qu'à pas de tortue; et, pour peu qu'elle commît une autre faute grave, elle échouerait.



Chapitre XXVII

De la Gastrosophie
ou sagesse des Séries gastronomiques.

Nos soi-disant gastronomes, tant écrivains que praticiens, ne sont point du tout à la hauteur du sujet ; ils le ravalent en le traitant sur le ton plaisant. Il est vrai qu'en civilisation la gastronomie ne peut jouer qu'un rôle très subalterne, et plus voisin de la débauche que de la sagesse; mais en harmonie elle sera révérée comme ressort prin¬cipal d'équilibre des passions.

Le sens du goût est un char à 4 roues, qui sont :


1 la GASTRONOMIE 3 la CONSERVE,
2 la CUISINE, 4 la CULTURE


La combinaison de ces quatre fonctions, exercées en Séries passionnées, engendre la GASTROSOPHIE ou sagesse hygiénique, hygiène graduée, appliquée aux échelles de tempéraments qui ne sont pas connues de la médecine civilisée (Voyez la note tome IV, 107).

Conformément à sa propriété de monde à rebours, la civilisation marche à contre¬sens dans cette carrière ; elle veut commencer par où il faudrait finir. Tout père approuverait fort que son fils et sa fille excellassent dans les 3e et 4e branches, culture et conserve ; on veut même que les jeunes filles s'exercent à la 2e branche qui est la cuisine : ainsi on admet les 3 branches de science qui ne peuvent pas créer l'Attraction industrielle, et on proscrit la ire branche, la gastronomie, d'où naîtrait la passion pour les 3 autres. Cette gaucherie est encore une des prouesses de la morale tendant à nous rendre ennemis de nos sens, et amis du commerce qui ne travaille qu'à provoquer les abus du plaisir sensuel.

D'autre part, des écrivains scandaleux donnent des leçons de gourmandise à nos Lucullus, qui ont bien assez des lumières de leurs cuisiniers, sans que la poésie et la rhétorique viennent leur prêter appui. Cette prostitution littéraire compromet la gas¬tronomie, comme les billevesées de la secte Owen compromettent l'association.

La gastronomie ne deviendra science honorable, que lorsqu'elle saura pourvoir aux besoins de tous; or il est de fait que la multitude, loin de faire des progrès vers la bonne chère, est de plus en plus mal nourrie. Elle est privée même des comestibles salubres et nécessaires : on voit dans Paris 3 000 à 4 000 gastrolâtres se goberger au mieux; mais on voit à côté d'eux 300 000 à 400 000 Plébéiens qui n'ont pas même de la soupe naturelle : on leur fait maintenant un simulacre de bouillon avec des ingré¬dients qui sentent le lard rance, la chandelle et l'eau croupie. L'esprit de commerce va croissant, et ses fourberies accablent de plus en plus les classes inférieures.

La gastronomie ne sera louable qu'à deux conditions :


1˚ lorsqu'elle sera appliquée directement aux fonctions productives, engrenée, mariée avec le travail de culture et préparation, entraînant le gastronome à cultiver et cuisiner ; 2˚ lorsqu'elle coopérera au bien-être de la multitude ouvrière, et qu'elle fera participer le peuple à ces raffinements de bonne chère que la civilisation réserve aux oisifs.

Pour atteindre ce but, il faut engrener les fonctions du goût, les rallier toutes à la plus attrayante des quatre qui est la gourmandise. On est assuré que celle-là ne sera pas abandonnée, qu'elle sera toujours attrayante ; il faut donc la choisir pour base de l'édifice, si l'on veut qu'il soit régulier et durable.

Nos philosophes posent en principes que tout est lié dans le système de la nature, mais rien n'est lié passionnément dans notre système industriel : l'industrie doit for¬mer ses liens par les Séries gastronomiques ; elles conduisent, par passion, des débats de la table aux fonctions de cuisine et de conserve, puis aux cultures, enfin à la forma¬tion des échelles de tempérament et des préparations culinaires adaptées au régime sanitaire de chaque échelle. On s'efforcera donc en harmonie d'enrôler de bonne heure chaque individu aux 4 fonctions précitées, afin qu'il ne se borne pas au rôle ignoble de gastrolâtre, déshonneur de nos Apicius dont tout le savoir se réduit à jouer des mâchoires, sans aptitude à agir dans les 3 autres fonctions du goût.

Aucune passion n'a plus d'influence que celle du goût, pour opérer l'engrenage des fonctions. J'ai donné, chapitre XXVI, un exemple tiré de l'ail, où je suppose la per¬sonne entraînée à l'étude de la poésie par cabale pour le soutien de son goût, et par enthousiasme pour la branche de littérature qui l'a prôné (Essor de la Cabaliste et de la Composite). Si l'on veut spéculer de la sorte sur les manies gastronomiques de chaque enfant, appliquées à des Séries passionnées, on trouvera dans cette seule branche de fantaisies des moyens de passionner l'enfant pour les diverses branches d'étude, et de même les pères

et mères; car il faudra au début de l'harmonie faire l'éducation des pères, comme celle des enfants. Je ne saurais donc assez rappeler la nécessité de spéculer avant tout sur la gastronomie, comme semaille d'attraction plus efficace que toute autre, et moyen le plus prompt d'aller au but : engrener passionnément les fonctions, entraîner de l'une à l'autre par les stimulants de cabale et d'enthousiasme, enfin établir ces liens généraux que rêve la philosophie, sans savoir en former aucun, surtout dans l'enseignement qu'elle ne sait allier ni avec le plaisir, ni avec la pratique de l'agriculture.

Une fâcheuse lacune en ce genre est de n'avoir pas su lier la médecine avec le plaisir, et surtout avec Celui du goût. Chaque année voit éclore de nombreux systè¬mes en médecine, dont pas un, excepté celui de la médecine du cœur, n'a cherché à sortir de l'ornière. Une carrière bien neuve, mais peu fructueuse pour la faculté, serait la médecine du goût, la théorie des antidotes agréables à administrer dans chaque maladie. On a vu des cures opérées par des confitures, des raisins, des pommes rei¬nettes, de bons vins ; j'ai vu une fièvre coupée et dissipée par un petit verre de vieille eau-de-vie. Le peuple a contre le rhume un remède agréable, une bouteille de vin vieux, chaud et sucré, et le sommeil à la suite. Cette médecine sera une branche de la science dite gastrosophie hygiénique, méthode préservative et curative à la fois ; car elle préviendra tous les excès de table, par l'affluence, la variété de bons comestibles, par la rapide succession de plaisirs faisant diversion à celui de la table.

C'est pour nous amener dès le bas âge à ce régime, que la nature donne aux enfants la gloutonnerie pour passion dominante. Ils sont, dit-on, de petits gourmands, rien n'est plus faux ; ils ne sont pas gourmands, mais seulement gloutons, goinfres, goulus. Ils mangent avec avidité des fruits verts et autres vilenies ; s'ils étaient gour¬mands, connaisseurs, ils renverraient ces aliments grossiers aux pourceaux. Leur gloutonnerie est un germe qu'il faut amener à la gourmandise, à la gastronomie raisonnée et appliquée aux 3 autres fonctions du goût.

On observe partout que la classe la plus réservée à table, est celle des cuisiniers; ils sont juges sévères, dissertant bien sur les mets, sans en faire aucun excès ; ils sont proportionnément la plus sobre des classes qui ont la bonne chère à discrétion. Le meilleur préservatif des abus de la table serait donc, pour les enfants comme pour les pères, un ordre de choses où ils deviendraient tous cuisiniers et gourmands raffinés, alliant la gastronomie avec les 3 fonctions de cuisine, conserve, culture, et avec l'hygiène graduée selon les échelles de tempérament.

Et comme cette méthode gastrosophique est celle qui rencontrera le plus d'oppo¬sants parmi une société d'actionnaires ; comme on verra les uns, par préjugé de morale, et les autres par économie mal entendue, opiner contre la provocation ou tolérance de gourmandise, je dois les prévenir fortement contre cette erreur qui est l'écueil le plus à craindre en épreuve sociétaire.

On s'étonnera que j'attribue une si haute influence à l'emploi de la gastronomie, et que j'en fasse la condition sine qua non de succès d'une phalange d'épreuve, condition qui n'est pas imposée dans le Traité de 1822.

Cette opinion est le résultat d'une étude approfondie sur la dose d'influence qu'aura chacune des 12 passions, pour faire éclore et engrener les attractions indus¬trielles dans le canton d'épreuve, contrarié par de nombreuses lacunes d'attraction (IV, 575). Essayons, pièce à pièce, la revue de ces doses d'influence.

Ambition : elle fournira en émulation industrielle des ressorts nombreux et brillants, mais non pas au début ; par exemple : l'échelle de sceptres Citée 278 sera un stimulant magnifique, mais qui ne s'établira qu'après la pleine fondation par toute la terre. Voilà donc un levier dont l'emploi est différé de 4 à 5 ans ; or il faut des ressorts qu'on puisse mettre en usage dès la Ire quinzaine ; et pour effectuer ce prompt service, la gastronomie sera le moyen le plus applicable à toutes les classes. L'ambition four¬nira au début 4 aiguillons très notables, savoir : la perspective des récompenses de fondation, le bénéfice sur les curieux payants, les minuties honorifiques (Mondor 296), et les cabales émulatives ; mais pour créer subitement les attractions indus¬trielles, et engrener cabalistiquement ces attractions, aucun moyen n'équivaudra à la gastronomie appliquée.

Amour : il fournira des stimulants d'industrie si puissants, si efficaces, qu'à l'épo¬que de formation des séries amoureuses, organisation des libertés et contrepoids en amour, on verra, en moins de deux ans, le produit accru de moitié. J'ai dit que ce produit sera quadruple du nôtre au début, il serait sextuple en cas de liberté d'amour équilibrée. Mais on a vu (289) que le libre exercice de cette passion sera renvoyé à un demi-siècle ; il restera jusque-là au rang des crimes : ce n'est donc pas un objet de spéculation pour emploi subit, comme le sera la gastronomie qui n'a rien de criminel, même aux yeux de ses antagonistes ; car on voit tel prédicateur, à la suite d'un beau sermon contre la gourmandise, figurer très bien à une bonne table. D'ailleurs cette passion cessera d'être vice quand elle sera équilibrée, prévenant tout excès, et de plus hygiénique, faisant coopérer le plaisir au soutien de la santé.

Paternité : ses emplois en Attraction industrielle ne commenceront guère qu'au bout d'un siècle, sauf exceptions ; car au bout de dix ans, on en verra germer une branche, celle des adoptions industrielles : d'autres branches, comme les adoptions sympathiques, l'échelle d'amour paternel, seront différées plus longtemps encore ; tout cela est fort loin de remplir la condition d'emploi subit, applicable à toutes les classes.

Amitié : on en tirera un grand secours; mais le moyen de la développer en peu de temps, sera l'emploi des échelles et des cabales gastronomiques. Rien ne forme des liens si prompts que les affinités de goût sur tels mets, telle préparation, surtout s'il s'agit d'un goût bizarre, ambigu et raillé par la majorité. C'est donc favoriser l'amitié, que d'employer la gastronomie en mécanisme social. Il eût été plus noble d'attribuer à l'amitié ce système des engrenages d'Attraction industrielle que je fais reposer sur le sens du goût; mais si je donnais ici la priorité à l'amitié, ce serait placer l'effet en ire ligne et la cause en 2e. Je me garderai de cette erreur.

Jugeons plus régulièrement nos sens ; n'ayons pas honte de leur influence quand elle conduit au bien, à l'industrie, et aux accords sociaux. Dieu ne veut pas désho¬norer, mais utiliser la matière, en façonnant les sens aux convenances de l'âme, et en leur donnant une initiative (269), comme nous la donnons aux serviteurs qui prépa¬rent les voies pour le maître, avant son arrivée. C'est ainsi qu'on doit envisager l'initiative que je donne à la gastronomie, employée comme voie des premiers liens d'amitié entre les groupes industriels qu'assemble une affinité de goûts sur la consom¬mation, la préparation et la culture de chaque espèce ou variété.

Je n'examine pas quelles ressources fourniront les 3 passions mécanisantes, pour l'engrenage des fonctions industrielles ; toutes trois agissant sur les neuf autres, il suffit d'analyser les forces de chacune des neuf au début.

J'ai évalué l'influence des quatre affectueuses, comparativement à celle du sens du goût ; estimons celle des quatre autres sens dans une phalange débutante.

Tact, vue, ouïe, odorat : traitons-en cumulativement.

Aucun des quatre n'aura d'influence notable sur les paysans et ouvriers qui formeront la grande majorité d'une phalange d'essai, et qui auront reçu la grossière éducation populaire. Il faudra dans les débuts de l'harmonie, se contenter de ces brutes à figure humaine que forme la civilisation, de ces épais Limousins et Bas-Bretons qui n'auront jamais de commerce avec les muses. Indifférents sur les raffine¬ments de la vue, de l'ouïe, de l'odorat et du tact, ils ne convoitent que les jouissances du goût et le bénéfice pécuniaire : un fumier bien gras, bien fécondant a plus de char¬me pour eux que les fleurs du printemps qui ne donnent aucun profit. Le plus beau site, à leurs yeux, ne vaut pas un bon dîner ; ils vous dispenseront des beaux arts, pourvu que la table soit bien servie.

Laissez donc éteindre cette génération brute qu'a formée la civilisation perfec¬tible ; attendez quinze ans ou dix, avant d'essayer, en système général, l'empire des quatre sens nommés tact, vue, ouïe, odorat. jusque-là on en tirera parti, autant que possible, chez les individus susceptibles de ce genre de raffinement; mais à coup sûr ils seront en petit nombre, tandis que les gastrolâtres seront en immense majorité dans les trois classes. Il faut donc, en début, spéculer sur les moyens de circonstance, et non sur des perfections futures. Sous ce rapport, c'est la gastronomie qui méritera toute l'attention des fondateurs ; elle sera le germe provisoire des accords sociaux, jusqu'à ce qu'on puisse opérer sur une génération moins faussée, moins grossière, et applicable à l'exercice cumulatif des douze passions. Nos lois n'en tolèrent que dix, excluant l'amour et la paternité LIBRES (les deux affectives mineures; car la civilisation est hongrée en essor mineur).

À côté de la passion la plus puissante pour former les engrenages industriels, il convient de signaler la passion entachée des propriétés contraires, celle qui tend à rompre les liens et qui, par cette raison, est chérie des moralistes : c'est l'esprit de famille ou paternité, source de tous les désordres sociaux. Un aperçu de ses vices est nécessaire dans la notice des engrenages industriels, dont elle est l'obstacle principal.


Chapitre XXVIII

Du germe de discorde générale
ou lien de famille en mode simple.

En traitant des germes d'accords sociétaires, qui occuperont toute la 4e section, il est nécessaire de définir celui de discorde générale, germe bien inconnu : c'est le lien de famille tant prôné par les moralistes. Le monde civilisé est si fortement prévenu en faveur du lien de famille que, pour le désabuser, il faut placer les preuves avant la théorie, et renvoyer les principes à la fin du chapitre. Examinons les vices les plus saillants de l'industrie familiale, société la plus petite possible et, par suite, la plus opposée aux vues de Dieu, à l'économie, aux liens.


1° L'instabilité: rien n'est stable dans notre industrie la mort accidentelle du chef de famille peut d'un jour à l'autre désorganiser toutes ses entreprises; les partages d'hoirie, les disparates de caractère du père au fils, l'inégalité de connaissances, vingt autres causes bouleverseront tout l'ouvrage du père. Ses plantations seront abandon¬nées, morcelées, dégradées ; ses ateliers tomberont en désordre, sa bibliothèque ira au bouquiniste et ses tableaux au fripier. Le contraire a lieu dans une corporation civile ou religieuse : tout y est maintenu et perfectionné, l'inconstance ou la mort d'un individu ne troublent en rien les dispositions industrielles.

2° La contrariété en progéniture : un homme industrieux voudrait au moins un fils pour le remplacer et suivre ses travaux ; le sort ne lui donne que des filles en mariage, et il n'a de garçons que des illégitimes, proscrits par la loi; son nom s'éteindra. Il trouverait en industrie des continuateurs passionnés, mais dans des classes disparates par la fortune et les conditions. D'autres fois ses enfants refusent de le seconder, ou bien ils en sont incapables. Souvent c'est la surabondance d'enfants, la dépense d'éducation qui paralyse les entreprises du père ; son travail ingrat ne peut suffire à les élever et les établir ; et, pour prix de tant de fatigues, il en voit plusieurs désirer sa mort, par impatience de jouir de l'héritage.

3° Disgrâces conjugales et domestiques : c'est un sujet si étendu, qu'il convient de le franchir (voyez III, 69 et 96). L'homme industrieux sera rebuté par l'inconduite d'une épouse ou de quelques enfants, par les grivelages des coopérateurs, les calomnies et les procès des envieux, par la perte &un enfant sur qui reposaient toutes ses espérances. L'on voit des pères et mères civilisés tomber dans le délire à la perte d'un enfant préféré ; ils n'ont aucun contrepoids à opposer à cette disgrâce, ni à tant d'autres. C'est donc un trébuchet que cet état de famille ; c'est la boîte de Pandore. Comment présumer que Dieu ait voulu fonder l'industrie sur un état si critique pour ceux qui la dirigent, et plus encore pour les subalternes qui l'exécutent.

4° Piège industriel : la politique et la morale ne sachant pas créer l'Attraction industrielle, ont recours à la ruse : elles vantent les charmes du mariage sans fortune, et disposent tout le système social de manière à forcer le pauvre au mariage, afin que la surcharge d'enfants le force à travailler pour nourrir de petits affamés. Aussi tous les pères de la classe pauvre, les 7/8 des pères, s'écrient-ils : dans quelle galère je me suis fourré ! Ce piège est le but secret des moralistes dans leurs éloges du doux mariage ; ils y poussent le peuple, afin d'avoir abondance de conscrits et d'ouvriers faméliques travaillant à vil prix, pour enrichir quelques chefs.

5° Répugnance cumulative de l'industrie : la répugnance est déjà bien forte chez l'enfant : il ne travaillerait pas sans la crainte des châtiments ; mais ce désordre s'accroît par l'avènement en puberté ; l'amour (290) vient ajouter au dégoût pour l'industrie, le goût pour la dépense et pour les fréquentations contraires aux vues du père et à l'harmonie de la famille. Ce nouveau ressort, qui intervient à l'âge de 15 ans, devrait améliorer le mécanisme industriel ; car lorsqu'on ajoute une pièce à une méca¬nique, c'est pour en perfectionner le jeu. L'amour, chez les harmoniens, renforcera l'Attraction industrielle par double voie : par le charme nouveau que trouvera l'adoles¬cent dans les réunions des deux sexes, aux ateliers, étables, etc., et par l'initiation à la plus gracieuse des sciences, l'ANALOGIE, dont on ne peut pas donner connaissance aux impubères. Cette science, très séduisante, excitera chez les adultes une frénésie studieuse qui ne s'amortira qu'au bout d'une vingtaine d'années, lorsqu'ils connaîtront l'ensemble des règnes et des cent mille emblèmes de passions représentées dans les produits des différents règnes. Au lieu de ces deux stimulants à l'industrie et à l'étude, les amours civilisés n'engendrent que les deux vices opposés, et deviennent le tourment des pères, obligés de surveiller sans cesse, fournir à des frais de parure, de dot, et souvent à des dettes et autres écarts de la jeunesse. Il est donc certain que l'état conjugal est pour les pères un sentier de ronces, sauf rares exceptions dans les ménages riches ; et que l'amour ne naît chez les adultes, que pour les dépraver.

Passons de ces indices à l'analyse régulière du mal. J'observe que l'état conjugal, base de notre système social, est la plus petite combinaison possible ; on ne saurait en imaginer de moindre que celle d'un couple conjugal. Si pourtant Dieu, comme nous avons lieu de le présumer, veut former les plus grandes combinaisons sociétaires, et établir la plus grande liberté possible, il en résulte que le germe du mal, l'état le plus opposé aux vues de Dieu, se trouve dans la plus petite et la moins libre des réunions : c'est le régime conjugal exclusif d'où naît le lien de famille SIMPLE, limité à une seule branche, lien homogène avec la civilisation, parce qu'elle est la plus discordante des sociétés.

Le germe du mal doit nécessairement résider dans l'une des douze passions : ce ne peut être que dans celle qui établit les dispositions les plus opposées aux vues de Dieu. Il est évident, par le mécanisme de l'univers, que Dieu veut liberté et combi¬naison de l'ensemble, selon des lois de justice géométrique ; et nous adoptons un ordre familial où tout n'est qu'arbitraire, fausseté, injustice, désunion, oppression, contrariété des intérêts collectifs et individuels de chaque ménage.

Autre vice radical dans le groupe de famille : il West point libre et les trois autres le sont ; l'on peut à volonté changer d'amis, de maîtresses, d'associés en intérêt ; mais on ne peut rien changer au lien du sang : il est perpétuel, opposé au libre choix. C'est un vice qu'on n'a pas songé à remarquer, et qui est Si grave, que le régime d'harmonie lui opposera beaucoup de contrepoids absorbants, entre autres les adoptions indus¬trielles et participations d'hoirie.

Ces indices vont nous servir à expliquer le règne du mal : de tout temps il a dominé, son empire s'est même accru de nos jours, par le triomphe de l'esprit mer¬cantile qui a rendu les civilisés plus vils et plus faux qu'ils ne l'avaient été dès l'origine. Sur ce, les sophistes mettent en problème si l'homme est vicieux de sa nature, et la plupart opinent affirmativement : c'est raisonner comme les fatalistes mahométans qui décident que la peste est un mal inévitable, parce qu'ils ne veulent pas prendre la peine d'établir des quarantaines sanitaires. Nos philosophes donnent dans le même travers : pour se dispenser de trouver le remède du mal, ils le déclarent destin inévitable ; et pourtant ils publient des milliers de systèmes curatifs qui doivent perfectibiliser la civilisation par l'amour du commerce, et autres visions qu'ils donnent pour torrents de lumières et oracles de l'auguste vérité. Le moyen le plus sûr d'em¬brouiller une question ou une affaire, est d'y entremettre les beaux esprits. Jamais les chenilles n'ont tant pullulé dans certains cantons de la France, que depuis qu'elle a créé trois cents académies d'agriculture.

Les lois du mouvement universel démontreront que le mal, ou ordre faux, intervient pour un huitième dans le mécanisme de l'univers ; que son règne embrasse le huitième des temps, des lieux et des choses; et comme tout est lié dans le système de la nature, il faut bien que le mal se lie à l'ensemble du système par quelque point où il ait sa racine. Ce point, en affaires sociales, ne peut être que le groupe de famille, assemblage le plus restreint et le plus contraint. Pourrait-on voir la source du mal dans l'un des trois autres groupes ? Non ; car ils tendent tous trois à la liberté et aux vastes combinaisons, aux liens très étendus et variables à volonté. La morale même nous vante l'extension de ces liens ; car elle veut que notre amitié s'étende philan¬thropiquement à tous les humains transformés en une grande famille de frères, que notre ambition nous ligue avec les amis du commerce, par tout le globe. L'amour, de son côté, ne connaît pas de bornes, dès qu'on le laisse aller à sa pente naturelle : un homme libre et opulent aura bientôt, comme le sage Salomon, un millier de femmes; et une femme libre voudrait pareil assortiment d'hommes. Cette pluralité d'amours est si naturelle, que jamais on ne voit un sultan, même dans la caducité, se réduire à une seule femme ; tous conservent leur sérail. L'amour tend donc comme les autres groupes, aux plus vastes combinaisons.

Telle sera la marche du lien de famille, quand on saura et qu'on pourra l'élever du mode simple au mode composé, du mode forcé au mode libre, et procurer à chacun une famille aussi nombreuse que celle du sophi de Perse Feth-Ali-Schah. Dans l'âge futur, après trois ou quatre siècles d'harmonie, chaque vieillard, quoique borné à peu près à deux ou trois enfants directs, aura en collatéraux et adoptifs plus de trois cents enfants, y compris ses petits-fils et leurs rameaux. Alors les humains jouiront de tous les charmes de la paternité qu'ils cherchent en vain dans l'état actuel, notamment le charme d'unité d'intérêts, conciliant la cupidité avec les sentiments honorables, et amenant l'héritier à désirer, pour son propre bénéfice, la longévité du donateur (voyez la ce notice).

Les civilisés, qui ne raisonnent que d'équilibre et contrepoids, auraient dû s'aper¬cevoir que leur système familial est essentiellement dénué d'équilibre, car l'affection est toujours triple des ascendants aux descendants, et à peine tierce des descendants aux ascendants. C'est une vérité dont se plaignent amèrement tous les pères. Com¬ment cette disproportion est-elle restée indifférente à nos équilibristes qui veulent tout balancer et pondérer ; comment satisferont-ils les pères en leur procurant un retour d'amour filial, égal à la dose d'amour paternel ? La solution du problème est que l'amour filial doit provenir de trois branches.


1° Des consanguins ou fils et petits-fils directs sur qui repose aujourd'hui tout le domaine du père en affection.

2° Des adoptifs industriels ou héritiers des divers goûts du père, continuateurs de son industrie dans une trentaine de groupes et séries, où ils ont été des disciples.

3° Des sympathiques de double échelle ; ceux en identité de caractère, et ceux en contraste de caractère. Nos rêveurs de sympathies ignorent cette qualité obligée.


Ces classes 2e et 3e, qui obtiennent en harmonie une adoption et un legs, n'exis¬tent pas en civilisation, où l'on n'a point de continuateurs passionnés, et où l'on ne découvre point ses sympathiques d'un et d'autre genre (identité et contraste), les caractères étant tous travestis ; par l'éducation morale qui les étouffe, ou par la grossièreté populaire. D'ailleurs les familles sont si égoïstes, si jalouses, qu'elles ne souffriraient point de partage dans, l'attachement du père : forcé de s'en tenir à ses enfants, il ne rencontre souvent en eux que ses antipathiques de caractère, que les ennemis, les destructeurs de son ouvrage. On peut démontrer, par calcul régulier sur l'échelle des caractères, que lorsqu'un homme a 3 enfants et 3 petits-enfants, total 6 descendants directs, il y a DEUX CENTS à parier contre UN, que sur les 6 il ne trouvera ni un sympathique de caractère ni un sympathique : d'industrie ou continua¬teur passionné, surtout lorsque: cette industrie est bornée à un seul genre, comme il arrive en civilisation. Quelle triste perspective pour les pères civilisés, quel trébuchet que cet amour paternel! En conséquence de tous ces vices inhérents au groupe de famille, le régime sociétaire lui enlève toute influence en affaires d'intérêt et de répar¬tition, où il n'introduirait que l'injustice et la rapine. Ce groupe doit être ABSORBÉ pour devenir apte aux accords généraux ; on doit noyer l'égoïsme familial à force de ramifications et d'extension données aux 3 branches décrites plus haut. J'expliquerai cette méthode à la notice des ralliements.

Quelques lecteurs, par un scrupule déraisonnable, repousseront cette doctrine qui place le germe du mal dans le lien conjugal. S'il est l'arbre du mal, ce n'est pas à cause des vices qu'il engendre (III, 69, 77, 96), mais parce qu'étant le lien le moins nombreux possible, il est, par cette raison, le plus anti-économique, le plus contraire aux vues d'un Dieu suprême économe : à ce titre, il ne peut pas adopter pour pivot de système l'excès de complication et de morcellement, les 300 cabanes de familles hostiles entre elles, au lieu d'un édifice de relations combinées. Lorsqu'on voit des sciences qui se disent économiques préférer obstinément cette réunion la plus vicieuse qu'on puisse imaginer, n'est-ce pas le cas de dire avec Beaumarchais, « que les gens d'esprit sont bêtes ! ».

Mais, répliquent-ils, on n'en connaît point d'autre. Il fallait donc en chercher : quaerite et invenietis ; et il faut examiner la théorie du seul homme qui ait cherché et trouvé.


Section IV : Mécanisme et harmonies de l'attraction
Huitième notice

Accords intentionnels sur la répartition


Préambule

Nous approchons du problème de répartition, sur la solution duquel repose tout le mécanisme sociétaire. Si les accords faiblissaient sur ce point, on verrait bien vite crouler tout l'édifice ; la phalange d'épreuve serait dissoute au bout de sa Ire campa¬gne. Pour lui garantir l'accord de répartition, nous aurons deux moyens plus que suffisants : le 1er est la CUPIDITÉ qui ne manquera jamais chez les hommes ; or si on trouve moyen de la transformer en gage de répartition équitable, on sera déjà assuré du règne de la justice. Le 2e moyen d'équilibre en répartition sera la GÉNÉROSITÉ qui n'est pas praticable en civilisation ; les civilisés ne jugeant que d'après leurs mœurs, pourraient la croire également impossible en harmonie; il est donc indispensable de leur décrire en abrégé ces accords de générosité, d'où résultera le concert intentionnel, avant même qu'on ne procède à la répartition. Cet examen sera le sujet de quatre petits tableaux distingués en accords matériels, affectueux, mécanisants et unitaires.


Chapitre XXIX

De l'accord intentionnel
par les jouissances matérielles.

La 1re voie d'accord en association est l'enrichissement; aussi voit-on, dans toute compagnie de commerce, les associés se brouiller, se séparer quand l'entreprise ne donne pas de bénéfice. L'accord intentionnel ne pourra donc régner dans la phalange, qu'autant que chacun y verra, dans sa fortune et ses jouissances, un accroissement colossal, un revenu quadruple en effectif, trentuple et quarantuple en relatif Démon¬trons cette propriété du régime sociétaire, déjà expliquée (Préf. Art. II). Je ne l'envisage ici qu'en parallèle de l'effectif au relatif.

Une famille vivant dans les bonnes provinces de France, Touraine, Anjou, est, quant à la vie animale, dix fois plus riche que si elle vivait à Londres. Elle aura dans les campagnes voisines de Tours et Saumur des fruits et des vins au 10e de ce qu'elle les paierait dans Londres ; aussi voit-on beaucoup de familles anglaises habiter en Touraine, pour y faire des épargnes tout en vivant splendidement. Il est donc des circonstances qui peuvent élever certaines branches de richesse au décuple relatif, sans qu'on ait rien ajouté à la fortune effective; et si à ces moyens se joint un qua¬druplement du revenu effectif, il élèvera la richesse au quarantuple relatif, puisqu'on aura quatre fois plus de facultés pécuniaires pour se procurer un bien-être décuple.

La richesse relative en régime sociétaire peut, dans diverses branches, s'élever à un degré incalculable, même au centuple, en la combinant avec le quadruplement du revenu réel; en voici deux exemples tirés des plus somptueux et des plus minimes objets de luxe.

TRANSPORT. Il en coûte à Paris 6 000 f. par an à tout ménage qui veut rouler carrosse, avoir seulement trois voitures, une de ville, une de campagne et un cabriolet, entretenir les valets, renouveler les chevaux et équipages. Cette famille pourra en harmonie, moyennant 600 f. par an, jouir de l'abonnement aux voitures de tous degrés même de gala, et aux chevaux de selle.

Cette richesse décuple, quant aux frais du matériel, devient vingtuple si l'on porte en compte les avantages d'option sur un assortiment de voitures nombreuses de toute espèce, la dispense de débattre avec des marchands et ouvriers trompeurs, la dispense de laquais, de leurs voleries et intrigues, de leur espionnage et autres ennuis de surveillance qui font dire, avec raison, que la valetaille est le fléau des grands.

En fait de transport, les voitures et chevaux ne sont pas la seule voie sur laquelle il y ait des jouissances à désirer ; souvent les voitures ne sont qu'un pis-aller ennuyeux, comme dans Paris et Londres, où la voiture n'est guère. que plaisir négatif, moyen d'échapper aux boues, aux intempéries et aux longues courses; puis aux embarras de la campagne parisienne, où la classe riche est emprisonnée dans ses châteaux par les mauvaises routes et les pavés fatigants, bordés de deux haies de fange dégoûtante. Les routes des environs de Paris sont le supplice du promeneur et du chasseur: cloaques de boue pendant sept mois d'hiver, océan de poussière pendant cinq mois de belle saison, quelquefois dès le mois de mars, comme en 1825.

Le contraire a lieu en association, où l'on ménage au transport des chemins à variantes, ayant trottoirs à chariots, trottoirs à voitures légères, trottoirs à piétons, trottoirs à chevaux et zèbres, voies ombragées, sentiers arrosés, etc. Sur cette 3e bran¬che de transport, comme sur les deux précédentes, le bien-être sera au moins décuple du nôtre : nous voilà déjà au trentuple de jouissance comparative sur le transport.

Une quatrième branche de charme est celle des communications couvertes dans tout l'intérieur des logements, étables, magasins et ateliers ; le plaisir d'aller aux séances de travail, à l'église, en visite, aux réunions de spectacle, bal, etc., sans s'aper¬cevoir s'il fait chaud ou froid, sans courir aucun risque de rhumes ni fluxions au sortir d'un bal, d'où l'on s'en va chez soi par des couloirs chauffés. Si l'on s'en retourne à une lieue de là, on monte en voiture dans un porche chauffé, où les animaux partagent le bien-être des hommes. je ne dirai pas qu'en ce genre de jouissance le bien-être des harmoniens soit décuple du nôtre, car il n'en existe point pour nous. Les déplacements sont presque toujours gênants, souvent dangereux, même pour un roi : car le roi de France n'a pas de porche couvert et chauffé ; il faut, pour monter en carrosse, qu'il reçoive la neige et la bise. On voit des femmes gagner une fluxion de poitrine au sortir du bal ; un particulier, dans une matinée employée aux visites, aux affaires, est obligé de monter en voiture vingt fois, monter et descendre sans cesse des escaliers. L'on n'appréciera les embarras de ce genre de vie, que lorsqu'on pourra faire le parallèle du charme des communications couvertes, et se convaincre qu'en édifices comme en toutes choses, la distribution civilisée est le mondé à rebours.

En ajoutant ce bien-être, estimé vingtuple, au trentuple déjà énuméré, nous trou¬vons la somme de jouissance portée au cinquantuple dans la partie des transports et déplacements ; et comme on aura, pour jouir de ce bien-être, un quadruple revenu, la somme d'amélioration, en multipliant le quadruple effectif par le cinquantuple relatif, s'élèvera au deux centuple : c'est dire que l'accroissement de bien-être en harmonie est incalculable. Continuons sur le matériel ; je passe aux menus détails.

Les rois, avec leur attirail d'officiers de bouche, ne peuvent pas se procurer une chère aussi délicate que sera celle du bas peuple harmonien. Ils ne peuvent pas avoir option sur divers bouillons à parfum naturel ou légumineux ; on masque leurs bouillons par des jus et des coulis, leurs cuisiniers n'auraient ni le talent ni la patience de leur faire un assortiment en bouillons purs de viandes et légumes. Ces cuisiniers de cour sont encore plus inférieurs sur beaucoup de mets qu'ils croient au-dessous de leur dignité. Cependant l'estomac d'un prince comme d'un bourgeois a besoin de variété; on se blase sur les mets recherchés comme sur les communs : dernièrement une grande princesse en voyage, placée à une table somptueusement garnie par les soins des préfets et des maires, leur disait : « Tout cela est bien beau, mais je préfé¬rerais des pommes de terre. » Elle n'en trouvera pas aisément dans Paris où ce légume est si maladroitement cultivé et recueilli. D'ailleurs ses cuisiniers connaîtront-ils la méthode qui conserve le parfum du végétal, c'est la cuisson sous la cendre, opération des plus difficiles et dédaignée d'un cuisinier royal. S'informe-t-il en quelle espèce de terrain et selon quelle méthode un légume a été cultivé ? Ces raffinements de qualité, qu'un roi civilisé ne peut pas se procurer, seront assurés au plus pauvre des harmo¬niens. Ne mangeât-il qu'une omelette, une salade, il pourra se dire : je suis bien mieux servi que les rois civilisés. En effet, on ne connaît pas chez nous les distinctions de saveur sur les oeufs provenant de divers systèmes de nutrition des poules; un roi est obligé de se contenter d'œufs achetés au hasard, et dont quelques-uns sont de mauvais goût, avec une belle apparence.

En calculs de mécanique des passions, la régularité exige qu'on établisse les preuves sur les deux extrêmes de chaque série. J'ai cité en parallèle de jouissances, l'une des plus fastueuses, celle des équipages et voitures de gala; je vais descendre à l'une des plus vulgaires, n'en déplaise aux beaux esprits qui ne peuvent pas se façon¬ner à cette règle du contact des extrêmes, règle qui, disent-ils, n'est pas à la hauteur de la philosophie: elle va dédaigner un parallèle trivial, un sujet tiré du testament burlesque de Scarron qui lègue


À Molière le cocuage,
« Au gros Saint-Amand, du fromage ».


Si le fromage est digne de la poésie, et même de la muse lyrique (voyez l'ode de Lebrun sur le triomphe de nos paysages, y compris le fromage de Vanves sorti des mains de Galatée). Ce mets champêtre pourra d'autant mieux figurer dans ma prose bourgeoise, où l'on va voir une croûte de fromage s'élever à la hauteur de la plus sublime philosophie, en nous dévoilant le néant des grandeurs civilisées.

Humainement parlant : la thèse est qu'un roi, avec tous ses trésors, ne peut pas servir à sa table du fromage satisfaisant pour ses convives; car il faut, en service har¬monique de fromage, présenter trois séries, 1˚ des espèces, 2˚ des variétés de chaque espèce, 3˚ des âges de chaque variété. Cette distinction en trois échelles exigera environ cinquante morceaux de fromage fraîchement coupés, lors même qu'on ne tablerait que sur trois espèces, comme Gruyère, Gex et Brie, les plus employées à Paris où l'on voit, sur les meilleures tables, et sans doute chez le roi, servir à peine trois morceaux de fromage, sans aucune échelle, ni d'espèce, ni de qualités, ni d'âges. Les plus pauvres harmoniens jouiront de cette variété refusée à nos rois. Le fromage étant, ou très sain ou très malsain, selon son affinité avec les facultés digestives de chaque sujet, douze convives auront besoin de douze qualités de fromage qu'ils ne peuvent rencontrer que sur une girandole contenant, sous diverses cloches, un assorti¬ment d'une cinquantaine de variétés en trois séries d'espèce, qualités et âges; variété dont jouira chaque jour le moindre des harmoniens, et qui n'est pas possible aujourd'hui, même à un roi.

Il importe de remarquer, sur les plus minimes détails, comme cette minutie de fromage, que le bas peuple harmonien sera, en tous genres de jouissance, bien plus avantagé que nos grands et nos souverains. Un homme oserait-il dire à la table du roi, ces trois fromages ne sont pas ce qu'il me faut, je veux la sorte très salée, yeux moyens, larmes abondantes, chair compacte sans élasticité et rougeâtre vers la croûte ? Un tel homme serait traité de manant : on doit trouver tout bon à la table du roi, si on veut obtenir une sinécure. C'est ainsi que les civilisés sont à chaque pas harcelés par les convenances, obligés de modérer leurs passions. Le charme des harmoniens sera de ne les modérer en rien, et de pouvoir exiger telle qualité sur la croûte et la mie de fromage. Ils la trouveront sur l'assortiment en triple série et de même sur tout autre mets.

Concluons maintenant sur ce qui touche aux accords intentionnels qu'auront fait naître les jouissances matérielles, graduées de manière à procurer à tous des charmes à chaque moment, car le charme de la vie matérielle est de pouvoir à tout instant satisfaire minutieusement ses plus petites fantaisies. Les rois sont fort loin de ce genre de bonheur qu'on n'obtient que des Séries passionnées; et ce sera un des motifs pour lesquels un roi, après avoir vu la phalange d'essai, ne reverra ses palais, sa cour, son étiquette qu'avec un profond dédain.

On voit que j'ai estimé au-dessous de la réalité en disant quadruplement de riches¬se effective et quarantuplement de jouissances ; car dans plusieurs branches, comme les communications et transports, on excédera le centuple. Les mots vingtuple, qua¬rantuple que j'emploie, sont une expression modeste pour adoucir une vérité éblouissante.

On voit aussi que le mécanisme sociétaire observe exactement les règles de con¬tact des extrêmes et lien des parties : les jouissances qu'il procure s'étendent à toutes les classes et aux plus minimes détails.

En combinant avec ces plaisirs sensuels l'absence de soins matériels dont les pères et mères seront délivrés, le contentement des pères dégagés des frais de ménage, éducation et dotation, le contentement des femmes, délivrées de l'ennuyeux ménage sans argent, le contentement des enfants abandonnés à l'attraction, excités aux raffinements de plaisirs, même en gourmandise; enfin le contentement des riches, tant sur l'accroissement de la fortune que sur la disparition de tous les risques et pièges dont un civilisé opulent est entouré ; il est aisé de pressentir que la phalange d'essai n'aura dès le 1er mois d'autre sollicitude que de maintenir un si bel ordre; et sachant que le maintien va dépendre uniquement de l'accord en répartition, elle s'inquiétera des moyens d'opérer cet accord dont on doutera pendant le cours de la Ire campagne, parce qu'on ne l'aura pas encore vu; la répartition ne pouvant se faire qu'en janvier ou février, après la clôture de l'inventaire.

On verra donc les séries, les groupes, les individus, se concerter sur cet accord, prendre à l'envi les résolutions les plus généreuses, l'engagement à des sacrifices pécuniaires qui ne seront point nécessaires : chacun luttera de dévouement intention¬nel et de résolutions désintéressées. Chacun, à l'idée de retomber en civilisation, sera effrayé comme à l'idée de tomber dans les brasiers de l'enfer, chacun proclamera qu'il souscrit d'avance à abandonner, s'il faut, la moitié de son bénéfice. Dès lors le vœu d'unité, l'accord intentionnel sur le maintien de l'unité, s'élèvera au plus haut degré. Nous allons remarquer le même résultat dans les relations autres que les matérielles.


Chapitre XXX

De l'accord affectueux
opéré par la fusion des trois classes.

Nous passons des plaisirs des sens aux plaisirs de l'âme, aux impulsions de géné¬rosité qui en naîtront, et qui disposeront à un accord intentionnel en répartition.

Le premier acheminement est de faire disparaître les antipathies de classe à classe : les Petites Hordes (254) atteignent ce but en s'emparant des travaux méprisés : c'est lever le principal obstacle à la fusion des classes, et aux intentions conciliantes en partage des bénéfices.

Pour faire entrevoir la facilité de cette fusion, partons de quelque point de fait. Nous voyons que les caractères les plus nobles, comme HENRI IV, sont ceux qui inclinent le plus à se familiariser avec leurs inférieurs, valets ou autres, pourvu qu'ils rencontrent des subalternes dignes de cette bienveillance. Louis XVI était aussi très familier avec ses inférieurs, tels que les serruriers qui l'aidaient à sa forge. Il s'amusait à jeter les coussins du lit à la tête de son valet de chambre Cléry qui lui ripostait de même.

Ces exemples dénotent que la classe opulente serait heureuse si elle était entourée de subalternes assez probes, assez désintéressés pour qu'on pût, sans inconvénient, se rapprocher d'eux en quelques relations. Le contraire a lieu dans l'ordre civilisé, où les domestiques sont un cortège importun et suspect pour les grands, obligés de maintenir une police très sévère parmi ces dangereux serviteurs.

J'ai déjà décrit (298) le charme que procure la domesticité passionnée; insistons par quelques détails.

Damon est florimane : lorsqu'il habitait Paris, il dépensait beaucoup au soin de son parterre; il était mal secondé, trompé par les vendeurs, et volé par les jardiniers ou valets : aussi avait-il fini par se dégoûter de la culture des fleurs, sans cesser de les aimer.

Installé à la phalange d'essai, Damon se passionne de plus belle pour les fleurs, parce qu'il est secondé par des adeptes ardents qui, loin d'exciter sa défiance, vont au-devant de tous ses désirs, et exercent avec intelligence toutes les branches de travail dont il ne veut pas se charger. Il n'a aucun démêlé d'intérêt avec eux, puisque tous les frais sont au compte de la phalange; il est aimé et considéré d'eux par ses connais¬sances qui leur sont précieuses; il est festoyé d'eux comme appui de la corporation; il affectionne chacun des sous-groupes, surtout les enfants empressés d'aller, aux apparences de grande pluie, placer des tentes sur les lignes de fleurs : cette réunion de florimanes est pour lui une seconde famille; il y élit des adoptifs en industrie.

Par exemple : Aminte, jouvencelle pauvre, l'une des plus habiles sectaires, est enthousiasmée de Damon ; elle oublie qu'il a la soixantaine, elle voit en lui le soutien de ses cultures chéries; elle veut s'en reconnaître; et comme elle est membre du groupe des caméristes ou pagesses, elle se charge de la chambre de Damon, du soin de sa garde-robe (les fonctions de balayage, etc., sont dévolues aux Petites Hordes). Aminte est donc. par passion, la gouvernante de Damon ; ce n'est pas lui qui la paie, elle serait déshonorée par un salaire ; elle a, comme d'autres, son dividende au groupe des caméristes, car elle ne sert pas le seul Damon, mais il est celui dont elle affec¬tionne particulièrement le service. Sa passion pour la culture des fleurs se réfléchit sur Damon qui est, par ses lumières et sa fortune, la colonne de cette industrie.

Damon recueille ici double charme, deux services passionnés; l'un au parterre avec Aminte et autres coopérateurs qui secondent si bien ses vues, l'autre à son appartement, dont la belle Aminte a adopté la surveillance et les soins domestiques.

Il ne s'ensuit pas qu'Aminte sera maîtresse de Damon son service est hors du cadre des amours. Il est bien probable que Damon convoitera Aminte ; mais quelque épisode qui survienne à cet égard, il aura le charme de trouver en elle double service passionné, double sujet d'enthousiasme pour elle, au parterre et aux appartements.

Il trouvera donc son bonheur à être familier avec une personne qui fait pour lui fonction de deux domestiques civilisés, d'un garçon jardinier et d'un valet de chambre ; il ne manquera pas de la reconnaître pour adoptive industrielle, titre qui lui assure une part quelconque dans la succession de Damon.

Observons qu'ici je n'ai mis en jeu que des liens d'amitié, de coopération indus¬trielle, qui seraient bien plus forts chez l'enfance, car c'est chez les enfants que l'amitié peut prendre un bel essor : elle n'y est contrariée ni par la cupidité, ni par l'amour, ni par les intérêts de famille. L'amitié dans le bas âge confondrait tous les rangs, si les pères n'intervenaient pour habituer leurs fils à l'orgueil.

Dans l'âge d'adolescence, l'amour vient confondre les rangs et mettre un monar¬que au niveau d'une bergère qu'il recherche. Nous avons donc, même dans l'ordre actuel, des germes de fusion des classes inégales; on en trouve jusque dans l'ambi¬tion : elle habitue le supérieur à se familiariser avec l'inférieur en affaires de parti, en intrigues électorales; on a vu les Scipion et les Caton aller au-devant d'un rustre et lui serrer la main pour obtenir son suffrage; que de bassesses commettent les lords anglais pour capter un bourg-pourri, tout en le payant chèrement!

Nous avons donc, dans l'état actuel, beaucoup de germes tendant à ébaucher la fusion des classes, mais par des voies d'abjection, de sordide cupidité. On voit déjà ces vils moyens opérer des rapprochements entre gens de classes antipathiques ; ces rapprochements seront vingt fois plus faciles quand on opérera par des moyens nobles, des liens de franche affection, comme ceux que je viens de décrire entre Damon et Aminte.

Outre ces liens formés par Damon sur la culture des fleurs, il en aura formé vingt autres sur divers travaux dans chacun desquels il sera lié avec la plupart des sectaires. Il y aura contracté des affections corporatives; et ce lien est d'autant plus actif en harmonie, que chacun recueille de ses compagnons un tribut de flatteries bien sincè¬res, parce que l'exercice parcellaire, borné à une seule branche du travail, applique chaque sectaire à la branche où il peut exceller.

La flatterie perpétuelle, ou récolte journalière d'encens, est un des principaux charmes du riche harmonien ; elle dérive de deux sources, de son habileté dans les travaux parcellaires (chacun excelle dans les parcelles attrayantes pour lui), et des services qu'il rend à ses séries, à ses groupes, en munificence industrielle. Damon, homme riche, a pu faire des dépenses pour tirer de pays lointain des espèces de fleurs précieuses dont la régence n'aurait pas fait les frais; à ce titre, il est considéré de tous les sectaires : ils le choisissent pour chef d'apparat, colonel de la grande série des florimanes ; chacun d'eux est conservateur passionné de ces espèces rares que Damon a fait venir et qui, en civilisation, seraient volées ou fripées par les valets. Damon est donc payé de son présent par double lien affectueux, par sa gratitude pour des coopérateurs zélés, intelligents, et par leur amitié, leur considération et celle des voisins rivaux : il recueille d'eux tous un tribut de flatteries, et il en recueille autant dans beaucoup d'autres séries où il est sociétaire de premier ordre par son habileté parcellaire. C'est ainsi que ce prétendu vice, maudit par la morale,


Détestables flatteurs, présent le plus funeste
Qu'ait pu faire aux humains la colère céleste,


devient comme tous nos soi-disant vices un encouragement à l'industrie, une source d'harmonie sociétaire : les pauvres même sont comblés de flatteries dans les groupes où ils excellent; mais en civilisation il n'y a d'encens que pour le riche, et on ne lui en donne que pour le duper ou l'exciter au mal.

Si tant de motifs affectionnent les riches aux pauvres, il en est bien davantage pour affectionner les pauvres aux riches; tels sont les suivants :


Esprit de propriété sociétaire, part au bénéfice,
Service indirect du riche envers le pauvre (298),
Éducation de l'enfant pauvre par les riches adoptants,
Adoption industrielle et participation d'hoirie,
Fruit recueilli des dépenses du riche pour la phalange,
Desserte des tables de 1er degré, livrée à demi-prix,
Festins corporatifs payés par les riches,
Flatterie cabalistique distribuée par les riches,
Abandon de part aux enfants pauvres (Ve sect.).


Tant de liens nouveaux établiront bien vite l'unité entre ces deux classes, dont les relations n'engendrent aujourd'hui que haines réciproques, spoliations et perfidies.

Ce qui charmera un homme riche dans l'état sociétaire, ce sera de pouvoir accorder pleine confiance à tout ce qui l'entoure, oublier toutes les astuces dont on est obligé de se hérisser dans les relations civilisées, sans pouvoir éviter les duperies. Dans la phalange, un riche s'abandonnant en pleine confiance, n'aura jamais aucun piège à redouter, aucune demande importune à essuyer. les Petites Hordes pourvoient aux secours nécessaires ; ce cas est bien rare parce que les harmoniens, pourvus d'un minimum suffisant, n'ont rien à demander à personne en affaires d'intérêt, assurés qu'ils sont de recevoir, en chaque branche d'industrie attrayante, une rétribution pro¬portionnée à leur travail, à leur talent et à leur capital, s'ils en ont. C'est une jouissance pour eux que l'absence de protection, la certitude que toute protection serait inutile à leurs rivaux comme à eux-mêmes, que la rétribution et l'avancement seront équitable¬ment répartis, en dépit de toute intrigue. L'on verra ce mécanisme dans les notices 9 et 10.

Les liaisons entre inégaux seront donc très faciles en harmonie: les réunions y séduiront l'homme par la gaieté, le bien-être, la politesse et la probité des classes infé¬rieures, par l'appareil fastueux du travail et le concert des sociétaires. Les plus pauvres seront fiers de leur nouvelle condition et des hautes destinées de leur pha¬lange qui va changer la face du monde; ils tiendront à se distinguer des civilisés par une probité, une équité qui seront l'unique voie de bénéfice (voyez Ve sect., IXe notice). Ils auront adopté en peu de temps l'esprit et les manières de ceux qu'un coup de fortune fait passer subitement d'une chaumière dans un hôtel, et ce bon ton s'établira fort aisément chez la classe pauvre de la 1re phalange, si on la choisit dans les régions où le peuple est poli, comme aux environs de Tours et Paris.

Ce sera en partie par haine pour le peuple civilisé que les riches se passionneront d'emblée pour celui de la phalange : ils le considéreront comme une autre espèce d'hommes, et se familiariseront avec lui par redoublement d'horreur pour la fausseté et la grossièreté civilisée. Ils oublieront leur rang auprès du peuple harmonien, aussi facilement qu'ils l'oublient aujourd'hui près des grisettes polies, qui sont pourtant femmes du peuple, mais prétendant aux belles manières.

J'estime donc que la fusion s'ébauchera dès le 2e Mois; que la classe riche sera la première à s'indigner contre le principe de politique civilisée: Il faut qu'il y ait beau¬coup de pauvres, pour qu'il y ait quelques riches; principe qui sera bien vite remplacé par celui-ci: Il faut que les pauvres jouissent d'une aisance graduée, pour que les riches soient heureux.

Rappelons qu'un des principaux moyens pour opérer cette en sera le progrès des enfants sur l'éducation naturelle ou entraînement à l'industrie et aux études par plaisir, sans aucune impulsion de pères ni de maîtres. C'est surtout ce prodige qui enthou¬siasmera les chefs de familles opulentes, et les disposera à la fusion.

L'accord de répartition n'échouerait pas, lors même qu'on ne parviendrait pas à opérer la fusion dès la Ire année. On verra en IXe notice qu'il existe pour cet accord un moyen indépendant de la fusion des 3 classes : elle ne pourrait pas s'opérer promp¬tement, si la phalange d'essai était composée d'une populace grossière.

Et en spéculant sur le choix d'un peuple poli, cette fusion manquera encore de 2 ressorts ; car le peuple élevé en civilisation sera toujours en arrière de la haute édu¬cation, et d'autre part les familles riches, passant à l'état sociétaire, n'auront point contracté avec leur peuple des liaisons d'enfance.

Malgré ces deux obstacles, la fusion sera déjà possible par suite de l'enthousiasme général; et bientôt les riches ne voudront connaître les distinctions de rang que dans les cérémonies publiques et les réunions d'étiquette. Partout ailleurs l'amitié collective l'emportera et donnera naissance à la passion inconnue des civilisés, l'unitéisme, dont je donne quelques aperçus au 32e chapitre.

Si les relations sociales sont chez nous un sujet de discorde générale, c'est qu'elles vexent partout la majorité pour les plaisirs de la minorité. Cent personnes s'amusent dans un bal, mais cent cochers et valets se gèlent en plein air, ainsi que les chevaux stationnant à la neige, à la bise ; même ennui pour les cuisiniers et valets qui prépa¬rent la fête, sans aucun goût pour ce travail : il deviendrait attrayant dans les Séries passionnées, soit par les intrigues de préparation, soit par la distribution des édifices; mais surtout par la domesticité indirecte qui, dans diverses fonctions, transforme le riche en serviteur passionné du pauvre.

Et comme ces accords feront le charme du riche, bien autant que celui du pauvre, on verra de part et d'autre égal empressement, concours d'intentions généreuses pour faciliter la répartition d'où dépendra le maintien du bel ordre sociétaire. Mais quel sera l'étonnement des coopérateurs, lorsqu'ils apprendront que pour établir concorde et justice dans cette répartition, il n'est d'autre ressort à entremettre que la cupidité ou amour de l'argent, désir d'obtenir les plus grosses parts ! On verra en Ve section, l'éclaircissement de cette étrange énigme, qui sera géométriquement expliquée: n'en déplaise à la morale, on verra que l'amour de l'argent est la voie de justice et de vertu dans les Séries passionnées.


Chapitre XXXI

De l'accord intentionnel
par le charme de mécanisme.

Nous touchons à l'un des côtés merveilleux du lien sociétaire : ce ne sont pas des prodiges qu'on va lire, mais de doubles prodiges. Nos esprits forts contestent à Dieu le pouvoir de faire des miracles; on va voir chez le monde sociétaire une faculté plus surprenante, celle des DOUBLES MIRACLES, pouvoir d'opérer dans chaque branche de relations deux prodiges, cumulativement et non pas un seul.

Ce n'est pas sans raison que la nature nous donne du penchant pour les féeries : ces illusions romantiques sont nature de l'homme sociétaire, mais en sens fort différent de celui qu'ont adopté les romanciers qui ne nous présentent que des pro¬diges simples. Ils sont, à cet égard, moins clairvoyants que le peuple, qui aperçoit et définit fort bien la destinée de l'homme, bonheur ou malheur composé et jamais simple.

Ce principe est exprimé dans deux adages vulgaires, appliqués l'un à la richesse, l'autre à la pauvreté.


R: La pierre va toujours au tas.
P: Aux gueux la besace.« Abyssus Abyssum invocat. »


En effet, si un homme est riche, on lui jette à la tête les sinécures : Bonaparte donnait aux riches banquiers des sénatoreries de 25 000 F de rente. Si un homme est pauvre, on ne veut pas même lui donner de l'emploi; sa probité est suspectée; on ajoute l'outrage à sa misère : le bien et le mal ne sont jamais simples pour l'homme social, sa destinée est la dualité en bonheur ou en malheur, le mode composé et non pas simple.

Ignorant ce principe, nos sciences politiques, morales et métaphysiques ont toutes donné le SIMPLISME, dans l'erreur d'envisager le mouvement social et la nature humaine en mode simple, croire que l'homme est fait pour le bonheur simple ou pour le malheur simple : ce faux principe, que je nomme SIMPLISME, les a conduits d'égarement en égarement, jusqu'au plus honteux de tous, au matérialisme et à l'athéisme, qui sont deux opinions simplistes, réduisant la nature à un seul principe, au matériel ; et le siècle tombé dans cette absurdité ose vanter son vol sublime ! je reviendrai sur ce sujet : dissipons d'abord le préjugé de destinée simple; démontrons par trois exemples sur la richesse, la santé et l'économie, que dans nos relations domestiques et industrielles tout sera bonheur composé, charme dualisé, lorsque l'homme sera rendu à sa nature, au mécanisme sociétaire.

1° Double prodige en richesse. Les civilisés s'estiment heureux lorsque, pour fruit de leurs travaux, ils parviennent à l'aisance après quelques années de privations. Les 7/8 d'entre eux sont réduits à supporter le dénuement pendant la jeunesse, pour n'atteindre, en fin de compte, qu'à la pauvreté dans la vieillesse. On peut donc nom¬mer classe avantagée celle qui, pour prix d'une jeunesse laborieuse, acquiert l'aisance ou petite fortune, dans l'âge moyen, à 40 ans, où l'on est encore à temps de jouir. Un tel succès est un demi-prodige, vu les difficultés à surmonter; et il y a prodige complet, lorsqu'en débutant sans capitaux, on arrive par industrie à la grande fortune dès l'âge de 40 ans. Mais si on arrivait à la grande fortune de bonne heure, sans versement de capitaux, sans autre effort que de se livrer immodérément aux plaisirs de toute espèce, le charme serait double : il y aurait prodige de faire grande récolte sans semailles apparentes, et prodige d'obtenir la fortune par l'exercice des plaisirs qui, en civilisation, la font perdre si souvent à qui la possède.

Chacun, en harmonie, voit s'opérer en sa faveur ce double miracle ; en effet, les travaux y étant transformés en plaisirs lucratifs et attrayants, chacun arrive à la fortune par l'exercice des plaisirs; et on y arrive de bonne heure, à 20 ans, à 10 ans, et même à 5, puisque un harmonien jouit de tous les biens enviés par nous : voitures, chevaux, meutes, bonne chère, spectacles et fêtes continuelles; tous ces agréments sont, en harmonie, l'apanage du plus pauvre des êtres; il a les voitures, meutes et chevaux de minimum, valant le train d'un Parisien renté à trente mille francs, et qui ne jouit pas d'un assortiment à option.

Et comme les plaisirs sont payes dans cet ordre social qui les utilise, comme on rétribue d'un dividende les groupes qui s'adonnent à la chasse, à la musique, ainsi que ceux qui exercent à la charrue, devenue attrayante, il arrive :


1° Que l'harmonien, dès son jeune âge, recueille sans semailles, puisqu'il n'a songé qu'à se divertir.

2° Qu'il s'enrichit par l'exercice de ces nombreux plaisirs, qui aujourd'hui le ruineraient en peu de temps.

C'est donc en sa faveur un double prodige, un charme composé et non pas simple en acquisition de richesses. Passons à d'autres miracles composés.


2° Double prodige en santé. Une règle, qui nous paraît fort sage, est d'user modé¬rément des plaisirs, afin de ménager le corps; et l'on regarde comme prodige l'avantage bien rare de conserver la santé en se vautrant dans la débauche. L'antiquité s'étonna que Néron conservât une pleine vigueur, après 18 ans d'excès habituels.

Si cet usage immodéré des plaisirs devenait voie de santé, si celui qui s'adonnerait le plus aux jouissances quelconques devenait l'homme le plus robuste, un tel effet serait double prodige, très inconcevable dans les mœurs civilisées, où chaque plaisir entraîne d'ordinaire à des excès qui compromettent la santé ; tandis que dans les Séries passionnées, où il existe partout des contrepoids fondés sur la variété des jouissances, chacun gagne en vigueur, selon son activité à figurer dans les plaisirs de toute espèce.

Démontrons: l'homme qui aura parcouru dans le cours de la journée trente sortes de jouissances, aura donné à chacune environ une demi-heure ; celui qui n'en aura goûté que quinze, y aura donné le double de temps, environ une heure par séance, ou deux heures s'il s'est borné à 8 plaisirs. Il est évident que le premier, bornant chaque plaisir à une demi-heure, aura beaucoup moins abuse, moins approché de l'excès que le 3e, qui aura donné deux heures à chaque séance. Quatre hommes se plaignent d'indigestion le lendemain d'un grand et long repas; on peut assurer que trois d'entre eux auraient échappé à l'indigestion, si le repas eût duré moitié moins. Les généraux d'Alexandre firent une orgie d'ivrognerie et gloutonnerie qui se prolongea pendant toute la nuit ; quarante-deux d'entre eux en moururent le lendemain : si l'orgie n'eût duré que deux ou trois heures, il n'en serait pas mort un seul ; car on aurait évité les excès qui d'ordinaire n'ont lieu qu'à la fin du repas et dans les séances trop prolongées.

Selon ce principe, plus les plaisirs seront nombreux et fréquemment variés, moins on risquera d'en abuser; car les plaisirs, comme les travaux, deviennent gage de santé quand on en use modérément. Un dîner d'une heure, varié par des conversations animées qui préviennent la précipitation, la gloutonnerie, sera nécessairement modé¬ré, servant à réparer les forces qu'userait un long repas sujet aux excès, comme les grands dîners de civilisation, les réunions morales d'électeurs, francs-maçons, corpo¬rations, et autres qui passent une demi-journée à table, en l'honneur de la douce fraternité. Ces longues fêtes de civilisation, ces repas et bals interminables, ne sont que pauvreté, absence de diversion et de moyens.

L'harmonie qui présentera, surtout aux gens riches, des options de plaisir d'heure en heure, et même de quart d'heure en quart d'heure, préviendra tous les excès par multiplicité de jouissances; leur succession fréquente sera un gage de modération et de santé. Dès lors chacun aura gagné en vigueur, en raison du grand nombre de ses amusements : effet opposé au mécanisme civilisé, où la classe la plus voluptueuse est partout la plus faible de corps. On ne doit pas en accuser les plaisirs, mais seulement la rareté de plaisirs d'où naît l'excès, qui semble autoriser les moralistes à condamner la vie épicurienne : ils prêchent la modération inverse ou résistance à l'appât du plai¬sir ; ils ignorent le régime de modération directe ou abandon à une grande variété de plaisirs contrebalancés l'un par l'autre, et garantis d'excès par leur multiplicité, leur enchaînement.

Ce n'est pas en civilisation que peut s'établir ce mécanisme; il est réservé aux Séries passionnées. Toute notre sagesse est d'ordre inverse, notamment en médecine où nous employons la sobriété, la privation spéculative, au lieu de la gastrosophie ou gourmandise équilibrée par la variété qui satisfait à la fois le goût, l'imagination et l'estomac, bien plus fort en facultés digestives, quand on le soutient par une échelle de variétés adaptées au tempérament.

L'ordre sanitaire naîtra donc de l'affluence même des plaisirs, aujourd'hui si pernicieux par l'excès que provoque leur rareté. Un tel résultat sera double prodige, ou charme composé, relativement à la santé. 1° Il transformera en gage de vigueur cette vie épicurienne qui, dans l'état actuel, est voie de perdition, tant de la santé que de la fortune. 2° En prodiguant aux riches ces alternats continuels de plaisirs, il trans¬formera en voie de santé la richesse qui, aujourd'hui, n'est que voie d'affaiblissement; car la classe la plus riche est toujours la plus sujette aux maladies : témoins les gouttes, rhumatismes et autres maux qui s'acharnent sur le prélat et le ministre, et n'entrent pas dans la cabane du paysan, où d'autres maladies, comme les fièvres, ne pénètrent que par les excès de travail et non de plaisir.

3° Double prodige en économie. Je l'ai déjà énoncé c'est la propriété qu'ont les Séries passionnées d'élever les économies en raison de la multiplicité des caprices et raffinements. Une phalange peut fabriquer vingt sortes de pain, à moins de frais qu'un seul pain qui, par sa solité d'espèce, aurait le vice de ne point exciter les rivalités cabalistiques, et qui par suite ne répandrait aucun charme sur les travaux, ne mettrait pas en jeu le levier économique d'attraction industrielle.

Au premier moment on est choqué d'entendre dire qu'il en coûtera moins de servir cinquante sortes de salades qu'une seule, de fournir des voitures de cinquante espèces que d'une seule; quelques lignes vont lever les doutes.

La phalange cultive plusieurs sortes de salade, et en reçoit chaque jour d'autres sortes de ses voisines, selon la règle exposée (131). Elle peut donc, à un service de 1 600 personnes (petits enfants déduits), fournir sept sortes de salades qui, assaisonnées chacune de 7 à 8 manières pour satisfaire tous les goûts, forment une cinquantaine de salades différenciées en qualité et préparation. Qu'on veuille, par illusion d'économie, se réduire à trois au lieu de cinquante, tout le mécanisme d'attraction industrielle est renversé ; plus de débats cabalistiques sur les qualités, sur les variantes d'assaison¬nement ; plus de ligues pour les subdivisions parcellaires, cultivant selon diverses méthodes, et variant les saveurs du légume ; plus de rivalités actives avec les pha¬langes voisines : l'émulation tombe ; la série des saladistes n'a plus de ressorts, ses produits dégénèrent, ses travaux sont dédaignés, on ne peut les soutenir que par entremise des corvéistes ; et (182) il en coûtera plus cher pour avoir une mauvaise salade, que pour une option sur cinquante sortes raffinées en qualités et en assaison¬nement. Même théorie s'applique aux voitures et à tout autre objet.

Nous regarderions déjà comme un prodige économique l'art de mener un train de vie fastueux, sans dépenser plus que si l'on vivait dans la médiocrité ; que sera-ce de l'art de dépenser beaucoup moins dans le grand faste, que si l'on végétait dans la vie parcimonieuse. Il y aura encore dans ce résultat miracle redoublé ou composé : vingtupler, centupler les jouissances, en réduisant la dépense au-dessous de celle d'une vie monotone, d'un régime de privations.

Les miracles de mécanique sociétaire, que je borne ici au genre composé ou redoublé, s'élèveront dans diverses branches au sur-composé ou triple, et au bi-com¬posé ou quadruple prodige (III, 186). Ces merveilles incompréhensibles, et pourtant certifiées par ceux qui auront vu la phalange, causeront sur le globe une telle stupéfaction, que tous les gens aisés voudront faire le voyage et voir de leurs yeux des effets si inconcevables : c'est ce qui garantira à la phalange d'essai un bénéfice de quarante millions sur les curieux, admis à cent francs par jour, dans le cas où elle prendra ses mesures pour opérer en pleine échelle, et étaler l'harmonie des passions dans toutes les branches qu'elle peut comporter au début.

À l'aspect de cette féerie sociétaire, de ces accords, de ces prodiges, de cet océan de délices produit par la seule attraction ou impulsion divine, on verra naître une frénésie d'enthousiasme pour Dieu, auteur d'un si bel ordre; et l'infâme civilisation perfectible sera couverte de malédictions universelles. Ses bibliothèques politiques et morales seront conspuées, déchirées dans le premier instant de colère, et livrées aux plus vils emplois, jusqu'à ce qu'on les ait réimprimés avec la glose critique, placée en regard du texte, pour en faire la risée perpétuelle du genre humain. (Voyez IV, 477 et 560.)

Plaçons ici une remarque sur l'erreur fondamentale des sciences philosophiques, le simplisme. Elles envisagent toujours la nature et la destinée humaine en mode simple; elles s'obstinent à dissimuler le malheur social, à n'y voir qu'une disgrâce ou privation simple, quand elle est communément double, quadruple, décuple ; et quand aux perspectives de bonheur moral ou politique dont elles nous leurrent, ce n'est toujours qu'un bonheur simple et trompeur, comme celui d'aimer la vertu pour elle-même, sans bénéfice, ni gloire, ni grandeurs attachées à l'exercice de cette vertu. Une telle mesquinerie ne saurait convenir à l'homme; sa destinée est le mode composé, en bonheur comme en malheur.

Il eût convenu d'ajouter à ce tableau un contraste ou parallèle des malheurs com¬posés qui pèsent sur le civilisé : on n'en finirait pas si l'on voulait à chaque chapitre dire seulement le nécessaire (voyez III, 191 et 555). l'ébauche de ce tableau renfer¬mant vingt-quatre disgrâces qui accablent les civilisés pauvres. On pourra aisément porter au double cette série des misères actuelles, effets nécessaires du régime subversif, qui produit en tous sens l'opposé des bienfaits sociétaires.

D'après l'admiration qu'excitera le mécanisme des Séries passionnées, on peut juger de l'empressement des associes, qui en recueilleront le fruit, à consentir tout sacrifice qui serait nécessaire pour assurer l'accord de répartition. J'ajoute un dernier chapitre sur cette harmonie intentionnelle dont, je le répète, on n'aura aucun besoin; car la cupidité, à elle seule, suffit pour établir l'exacte justice, quand les séries indus¬trielles sont régulièrement organisées.


Chapitre XXXII

De l'accord intentionnel par les trois unités
matérielles, affectueuses et mécaniques.

L'UNITÉ est le mot le plus profané par le monde savant; convaincu qu'elle devrait être le but en mécanique sociale, mais ne sachant par quelle voie y arriver, il est borné à rêver des unités en accords sociaux, unités plus illusoires les unes que les autres, depuis celle des trois pouvoirs, dont l'un dévore les deux faibles, jusqu'à celle des ménages où un sexe opprime les deux faibles.

Un des prodiges que les curieux viendront de tous les points du globe admirer dans la phalange d'essai, sera l'unité d'action, l'accord des passions abandonnées à la pleine liberté.

Ce n'est pas un accord de passions qu'un état de choses violenté, où les sbires empêchent les disputes : nous savons, par la crainte des prisons et des gibets, amener les 400 familles d'une bourgade à ne point se battre ; elles ne sont pas pour cela amicales, affectueuses, unitaires; il en est de même de l'intérieur des familles où le père, au moyen du fouet et de la morale, établit un calme qui n'est point un accord passionné.

Il faudra donc, dans une phalange de 1 800 personnes, que chaque individu aime passionnément tous les autres, qu'il soit porté à les soutenir de sa bourse au besoin.

Aimer tous les autres sociétaires, cela est matériellement impossible, dira-t-on, puisque chaque caractère a ses antipathies. Répétons à ce sujet que toute assertion générale en mouvement, sous-entend l'exception d'un huitième : aimer tous les autres, parmi 1 600 sociétaires au-dessus de 4 ans, c'est en aimer 1 400 par affection directe, et les 200 autres par affection indirecte, par spéculation sur tels services qu'on tire d'eux. Si l'affection directe s'étend seulement aux 7/8, il y aura accord unitaire. Décrivons-le d'abord, nous en examinerons ensuite les propriétés.

Tel ménage d'ouvriers est aujourd'hui fort indifférent au millionnaire Dorimon qui habite l'hôtel voisin. C'est une famille de menuisiers ; si Dorimon les emploie, il les paie; tout est fini là, il n'y a point entre eux de relations amicales.

Il arrive dans la phalange que tous ces individus rendent à Dorimon de précieux services : le père a présidé en partie à l'éducation industrielle du fils aîné de Dorimon qui, âgé de 6 ans, voulait monter des chérubins aux séraphins. L'enfant avait à faire sept preuves de talent en divers genres; comme il avait pour la menuiserie un goût très prononcé, il a choisi ce travail pour une de ses sept épreuves; et le menuisier Jacques l'a si bien dirigé, qu'il a été admis d'emblée sur cette branche d'industrie.

Dans six autres branches, il a été de même enseigné par six individus envers qui Dorimon se trouve reconnaissant, parce que ces services ne sont point payés directe¬ment. L'enfant et le maître s'assemblent par convenance mutuelle, par attraction et sympathie; et comme le fils aîné de Dorimon a, dès l'âge de 6 ans, plus de trente passions en exercice de l'industrie et des arts, Dorimon se trouve obligé, non pas envers trente instituteurs, mais envers cent qui ont, par pure affection, coopéré à cette instruction; car un enfant harmonien trouve communément trois à quatre instituteurs passionnés dans chaque branche où il exerce.

Dorimon a deux autres enfants de quatre à deux ans, et les soins donnés à leur éducation seront pour lui un sujet de gratitude envers deux cents autres personnes tenant aux séries des bonnes, des bonnins, des mentorins, etc. Il verra ses enfants profiter dix fois plus vite que ceux de civilisation; charmé de leurs progrès, il aimera tous ceux qui y auront coopéré par affection pour les enfants mêmes.

Voilà donc, sur une seule branche de relations, sur l'éducation de ses enfants, trois cents liens amicaux que Dorimon aura formés avec des hommes, femmes et enfants de la phalange qu'il habite : je place dans ce nombre les enfants ; car parmi les institu¬teurs on compte bon nombre d'enfants qui, par amitié, enseignent à leur inférieur en âge ce qu'ils ont appris un an avant lui.

Ajoutons que Dorimon est lui-même instituteur de beaucoup d'enfants en qui il découvre instinct et vocation pour les branches d'industrie qu'il préfère. C'est un charme pour tout le monde que de donner l'enseignement à de jeunes élèves intelli¬gents et zélés, en qui l'on voit des successeurs industriels. Les soins qu'il donne à ces enfants lui valent, de la part des parents, une affection égale à celle qu'il porte aux instituteurs de ses enfants. C'est ainsi que l'enseignement, à lui seul, crée pour Dorimon une masse de liaisons amicales qui s'étendent au quart de la phalange. Et si Dorimon est un homme âgé, qui ait des petits enfants en 2e et 3e degré, ses liens de gratitude en service d'éducation seront d'autant plus nombreux.

Si nous examinons les autres branches de relations où Dorimon pourra former des liaisons affectueuses, telles que la gastronomie, les sciences et arts, l'agriculture, les amours, etc., on verra qu'il se trouve lié passionnément, par affection corporative, avec les 7/8 des sociétaires de sa phalange, et que le peu d'entre eux avec qui il n'a pas de lien direct, sont encore considérés de lui pour service indirect : il n'aime pas Géronte, il y a entre eux une antipathie prononcée; mais il arrive que Géronte est le sectaire le plus intelligent de la culture des asperges dont Dorimon est grand amateur. Sous ce rapport, il protège les travaux de Géronte; il le considère, il a pour lui une affinité indirecte, une amitié spéculative.

Cette multiplicité de liens, cette alliance passionnée avec tous les sociétaires, se fonde sur l'emploi des trois moyens indiqués au chapitre VI, savoir : séances courtes et variées, exercices parcellaires, séries compactes; moyens qui ne sont en d'autres termes que l'exercice des trois passions mécanisantes, chapitre V, auxquelles le système d'attraction industrielle est coordonné dans tous les détails.

Comment pourrait-on, sans les courtes séances et l'exercice parcellaire, mettre chaque individu en relation avec trente séries et cent groupes ou sous-groupes, et par suite avec la phalange entière ?

C'est sur cette multiplicité de relations, et notamment sur les intrigues de gastro¬nomie combinées avec celles de culture, que repose le lien général des sociétaires. Ils seraient insouciants les uns pour les autres, si chacun d'eux s'occupait isolément, comme en civilisation, d'un travail qu'il exercerait dans toutes ses branches et sans collaborateurs nombreux.

Les philosophes nous disent que tout est lié et doit être lié dans le système de la nature : il faut donc établir d'abord les liens dans la plus basse des relations, qui est celle de régime domestique. Nous ne savons pas même former les liens dans une petite famille de six personnes : tout tomberait en discorde sans l'intervention de la loi, ou du fouet et de la morale. Il faut, sans le secours de ces trois agents, organiser les liens passionnés entre 1 800 personnes composant l'état domestique, le plus bas degré des réunions sociétaires. Si on y réussit, il sera évident qu'on peut établir pareille harmonie entre 1 800 phalanges formant 3 000 000 d'individus, et entre 18 000 et 1 800 000 phalanges, puisque le mécanisme est le même pour une ou pour l'ensemble des phalanges du globe, qui s'élèveront au nombre de 3 millions, quand la population sera portée au complet de 5 milliards.

Lorsqu'il sera avéré par l'aspect de la Ire phalange qu'elle atteint à l'unité domes¬tique et industrielle, à l'accord passionné en relations de caractères et en relations d'intérêt ou de dividendes à répartir, on en conclura que l'unité va s'établir dans toutes les relations du globe; et pour faire juger de l'enthousiasme qu'excitera cette espé¬rance, il suffira d'énumérer ici quelques emplois de l'unité: elle régnera


1° En langage, signes typographiques et voie de communication ;
2° En mesures sanitaires, quarantaines et purgations collectives de l'espèce humaine ;
3° En extinction des genres hostiles ou nuisibles du règne animal, et de quelques végétaux, des marécages, etc. ;
4° En restauration des espèces animales et végétales, substitution des races précieuses aux mauvaises ;
5° En restauration composée des climatures (voyez la note A, II, 84) ;
6° En relations matérielles, monnaies, poids, mesures, méridiens, etc., jusqu'au diapason ;
7° En relations industrielles, travaux publics des armées, entreprises relatives aux sciences et arts ;
8° En relations commerciales et fiscales, approvisionnements combinés du globe, et garanties de minimum proportionnel aux classes ;
9° En accords généraux de passions, art de les lier et développer coopérativement par tout le globe.


À ne parler que du 1er de ces accords, celui de langage, signes typographiques et autres voies de communication , comment le monde civilisé ose-t-il parler d'unité, se vanter de perfectionnement, de vol sublime, quand il n'est pas même arrivé au plus bas ressort d'harmonie, en voies de communication ? Deux civilisés, un Français et un Allemand, qui se disent perfectibilisés par la métaphysique de Kant ou de Condillac, ne savent pas même s'entendre, se parler; ils sont, dans cette branche de relations, fort au-dessus des brutes; car chaque animal sait de prime abord établir entre lui et son semblable toutes les communications dont leur espèce est susceptible.

Cependant l'unité de langage et d'écriture, qui est voie d'acheminement à toutes les autres, est matériellement possible en civilisation; car on y en voit de beaux germes. La langue italienne est unitaire pour toutes les côtes maritimes de la Méditerranée et même pour le Portugal, Maroc et la mer Noire. La langue anglaise est unitaire pour toutes les côtes maritimes du Nord, au-dessus de la Manche. Les signes musicaux et leurs mots italiens sont unitaires en tous pays civilisés, malgré les diversités typographiques.

Si donc la civilisation échoue sur les unités les plus urgentes, celles de communi¬cation dont elle possède tous les germes, que sera-ce des unités sur lesquelles elle est réellement entravée, comme les quarantaines sanitaires, l'extirpation générale de toutes les maladies accidentelles, virus psorique, variolique, siphylitique, épizootique, etc., qui seront extirpés par toute la terre dès la 5e année d'harmonie ?

On est d'autant plus arriéré sur la purgation des fléaux matériels non inhérents à l'espèce humaine, la destruction des loups, des bêtes féroces, des malfaisantes, comme sauterelles, rats, chenilles, des insectes malpropres, des reptiles de marécages, et autres vices qui disparaîtront dès la Ire génération d'harmonie.

On peut voir sur les unités les articles (II, 149,et III, 586), notamment la note (III, 586), sur le faux système métrique établi ou tenté par les Français qui ont choisi le faux pour base, le nombre DIX, au lieu du nombre DOUZE; et qui, selon l'usage civilisé, ont fait des travaux gigantesques pour chercher ce qu'ils avaient sous la main, la mesure nature& donnée fortuitement par le pied-de-roi de Paris. Pour établir la différence des méthodes unitaires aux méthodes civilisées, j'ai démontré (III, 592) qu'une élection qui, dans l'état actuel, coûte à chaque électeur cinq à six jours en voyages, intrigues préparatoires, dîners électoraux, scrutins, etc., coûte moins d'une minute en harmonie, lors même qu'il s'agit d'une élection universale, dans laquelle interviendront les 300 millions d'hommes, Ou 300 millions de femmes, Ou 300 millions d'enfants du globe.

On peut, sur l'unité des relations scientifiques, voir les détails (II, 358 à 363), et juger par là de la duperie des savants qui préfèrent, à cette immense fortune, le rôle abject de flagorner la civilisation qui les tient comme des écoliers sous la férule, et flagorner l'agiotage qui les nomme gredins de savants à qui il ne faut qu'un grenier à 50 francs par mois. Le corps législatif les traite d'écrivains de galetas, salariés à 1 200 francs par mois. C'est un contresens : on n'habite plus au galetas, quand on reçoit 1 200 francs par mois.

Ce qu'il y a de plus clair dans ces verbiages, c'est que le monde savant est bafoué par les autres classes., qui paient ses torrents de lumières par des torrents de mépris. Quelle est leur servilité de se passionner pour cette civilisation qui les traîne dans la boue ? Que ne saisissent-ils l'occasion d'en sortit et s'élever subitement à une haute fortune, en provoquant la fondation de l'état sociétaire qui, par besoin de leurs talents, sera obligé de se les disputer à force de largesses, et qui, à ce pactole inespéré, en joindra trois autres : l'exploitation des sciences neuves, les récompenses unitaires produisant des millions là où la civilisation ne paie qu'en stériles médailles, et les critiques à publier sur la civilisation et les sciences philosophiques, sujet fécond qui, pendant plus de 20 ans, sera pour les écrivains exercés une voie de bénéfices incalculables. Voyez la Postface.

J'ai démontré dans ces quatre chapitres que l'accord intentionnel régnera dans les quatre branches de relations ;

Dans celles du Matériel ou de l'intérêt ;
Dans celles du Spirituel ou des liens affectueux ;
Dans celles du Mécanisme interne ou domestique ;


Et par suite dans celles de tendance à l'Unité d'action extérieure, source de charmes et de bénéfices gigantesques pour tout le genre humain.

Lorsque le désir d'un accord collectif sera si général, il sera bien aisé de parvenir à l'accord de répartition, pour peu que les méthodes soient régulières et assorties au vœu des passions. L'on va juger dans la section suivante si elles rempliront cette condition.


Résumé sur l'application

Pour décrire les relations d'harmonie, pour appliquer les principes exposés aux sections I et II, j'ai adopté trois divisions.

La section IlIe traite des relations de l'âge impubère, borné à dix passions, igno¬rant l'amour et la paternité.

La section IVe traite des relations de l'âge pubère, qui est pourvu des douze pas¬sions, dont deux, amour et paternité LIBRES, seront comprimées au début de l'harmonie.

La section Ve traitera des relations d'équilibre passionnel communes à ces deux classes, répartition des bénéfices, et ralliement des antipathies sociales.

J'ai dû décrire d'abord l'âge impubère, parce qu'il est le plus susceptible de pleine harmonie, étant dégagé des deux passions qui sont criminelles selon nos coutumes, et qu'on sera obligé d'entraver pendant les premières générations.

En traitant de l'âge pubère, section IV, j'ai été fort limité, ne pouvant parler, ni de l'amour libre, ni de la paternité libre, deux passions qui seront interdites pendant un demi-siècle, et dont l'engorgement causera d'énormes lacunes dans le mécanisme d'harmonie.

J'ai rallié les relations de l'âge pubère à deux grandes questions de mécanisme, savoir :

L'engrenage des attractions industrielles, 7e notice ;

Les accords intentionnels sur la répartition, 8e notice.

Récapitulons brièvement les sujets les plus importants de ces deux sections : les effets les plus éloignés de nos coutumes.

En éducation. L'on a vu que nos systèmes pèchent sur tous les points; on n'a pas même connaissance du but à atteindre, on n'ose pas l'envisager : il s'agit d'élever l'enfant à sa destinée industrielle. Si l'homme doit vivre du travail agricole et manu¬facturier, il faut le faire cultivateur et fabricant avant de le faire savant. Telle est la marche de l'éducation harmonienne où un enfant, fût-il héritier du trône du monde, est élevé dans les jardins, colombiers, ateliers et cuisines d'une phalange, dès qu'il peut marcher ; il y devient cultivateur et manufacturier avant de s'occuper des études ; il ne les aborde que peu à peu, et comme accessoires des travaux productifs auxquels il s'entremet constamment de 2 à 4 ans. Ensuite il sollicite l'enseignement, pour l'appli¬quer à ces travaux où il est impatient de se perfectionner, et il obtient l'enseignement intégral donné en toutes méthodes, sur lesquelles il peut opter, sans être assujetti au système de tel sophiste.

Dans cette éducation la marche est directe, l'enfant va droit au but, à l'industrie. L'étude est sollicitée par l'enfant pour emploi industriel, pour favoriser les travaux où il trouve son bonheur. Hors de cette application, l'étude est toujours un ennui pour l'enfant, sous quelque forme qu'on la lui présente ; et nos méthodes ont l'inconvénient de ne savoir pas la présenter. Les élèves de nos meilleures écoles sont fatigués de l'étude, et ne s'y livrent qu'avec dégoût; les maîtres sont aussi ennuyés de donner l'enseignement que les enfants de le recevoir; le salaire est l'unique mobile des instituteurs, ils ignorent tout à fait l'attraction réciproque ou double affinité du maître et de l'élève, pour eux personnellement, et pour l'objet enseigné.

Aujourd'hui chaque maître, chaque pensionnat prétend avoir inventé des métho¬des nouvelles; et, ce qu'il y a de certain, c'est qu'aucune n'approche du but, qui est l'application à l'industrie et l'attraction réciproque, telles que je viens de les expliquer.

On n'a guère vu dans l'éducation moderne qu'une idée neuve, c'est l'enseignement mutuel, méthode essentielle de l'harmonie où un professeur, exerçant par attraction, ne pourrait pas abonder à soigner un cent d'élèves; à peine en admet-il aux leçons particulières 7. 8, 9, dont quelques-uns transmettent la science à pareil nombre, et ainsi de suite.

On assure que ce mode est renouvelé des Grecs de qui on reproduit tant d'idées qu'on nous donne pour neuves. (Voyez l'ouvrage de DUTENS, Origine des décou¬vertes attribuées aux modernes, ouvrage peu répandu, parce qu'il fourmille de vérités fâcheuses pour l'orgueil et le plagiat. Il démontre que le génie moderne est, dans tous ses détails, une réminiscence des ébauches de l'école grecque, à qui les moyens manquaient pour approfondir les sciences dont elle avait su découvrir tous les germes, notamment la théorie de Newton sur l'attraction, entrevue par Pythagore.)

Une école civilisée ayant à peine parmi ses élèves un dixième de passionnés désireux de la science, l'enseignement mutuel n'y est praticable qu'en ébauche, parce qu'on ne peut pas classer la troupe en plusieurs échelles d'étudiants passionnés chacun dans leur degré, tant pour l'étude que pour la transmission.

Les antagonistes de cette innovation la dépeignent comme plagiat sur l'école de Pythagore; à supposer que ce soit l'ouvrage des modernes, c'est encore un sujet de honte pour eux ; il leur faut donc 3 000 ans pour pénétrer le moindre mystère de la nature, un procédé dont elle suggère l'idée à tout maître un peu surchargé d'écoliers; et à peine ce procédé est-il mis en scène, qu'il cause quadruple scandale :


Il est dénigré comme inutile et dangereux ;
Il est ravalé comme réchauffé de l'antiquité ;
Il devient un levier de l'esprit de parti ;
Il est l'objet d'un plagiat sur l'école lancastrienne.


Que de malfaisance dans les esprits civilisés! que de lenteurs dans leurs inventions, que de scandale dans l'emploi qu'ils en font! Quel chaos d'impéritie et de vices dans cette gasconne société qui vante son progrès vers la perfectibilité ! Si elle connaissait les lois du mouvement social, elle saurait qu'en éducation, comme en tout, il faut d'abord conduire l'homme au premier but de l'attraction, au luxe interne et externe (santé et richesse); or la classe qui reçoit le plus d'éducation est la plus ennemie du travail ACTIF en culture et manufacture, c'est aussi la moins robuste : elle manque donc les 2 voies de luxe, richesse interne ou santé, et richesse externe qui ne peut provenir que du travail productif. Dès lors les systèmes d'éducation civilisée sont tous aussi faux les uns que les autres. Quelques légères différences n'empêchent pas que tous ne tombent dans les fautes capitales que je viens d'énumérer.

La 8e notice, qui traite des 4 genres d'accords intentionnels, présente un contraste surprenant du mécanisme harmonien au mécanisme civilisé. Celui-ci, qui autait grand besoin d'accords intentionnels pour contrepoids aux discordes qu'il engendre, ne produit aucun de ces accords ; tandis que l'harmonie crée ces accords à profusion, quoiqu'elle n'en ait pas besoin, ayant d'autres moyens suffisants pour concilier les prétentions ambitieuses.

La nature ici semble inconséquente au premier coup d'œil : elle prive de ressorts une société qui en a besoin, elle les prodigue à celle qui peut s'en passer. Est-ce une distribution vicieuse ? Non, elle est fort juste selon la règle du mouvement composé ou dualisé, chapitre XXXI; on y a vu que l'homme est fait pour le double bonheur ou le double malheur, et non pour le simple : c'est en partie l'ignorance de cette règle qui a jeté les philosophes dans l'athéisme : on incline à suspecter Dieu, quand on ne con¬naît pas la cause de cette loi de mouvement composé; la voici :

Dieu ayant créé les passions pour l'état sociétaire, qui durera sept fois plus que le chaos social, et ayant donné à l'ordre sociétaire la propriété de bonheur composé, miracles redoublés, chapitre XXXI, l'ordre civilisé qui est le jeu subversif des passions doit opérer à contresens ; les ressorts, les 12 passions étant les mêmes dans l'un et l'autre état, ils ne peuvent manquer de produire un effet double en bien ou en mal. Si le malheur des civilisés n'était que simple, il s'ensuivrait que le bonheur des harmoniens ne serait que simple ; or il serait fâcheux que pour favoriser les temps malheureux, Dieu eût rédimé le bonheur des temps heureux qui dureront sept fois davantage.

D'ailleurs plus nos misères sont cumulées dans l'état civilisé, mieux le génie est avisé de son égarement et stimulé à chercher l'issue du labyrinthe. Si le malheur et l'injustice n'y étaient que médiocres et simples, on pourrait croire que cet ordre civi¬lisé, est réellement perfectible, comme le persuadent les sophistes pour se dispenser d'en inventer un meilleur. Nous avons à nous préserver de cette erreur; et pour nous la faire apercevoir, il est utile que le malheur composé, ou double mal, soit le fruit constant de toutes nos réformes philosophiques.

En lisant le chapitre XXIX, on a dû revenir des préventions civilisées contre le genre ambigu qui tient place dans les passions et caractères, comme dans les produits de tous règnes. On l'a méprisé de tout temps, on n'a dressé aucun tableau des ambi¬gus ; et dernièrement un écrivain passant d'un extrême à l'autre, a voulu faire de l'ambigu un règne à part sous le nom de psychodiaire ; c'est une erreur : l'ambigu n'est pas un règne spécial, mais lien de tous les règnes; de même que les transitions ne sont pas branche particulière d'un écrit, mais lien des diverses parties.

Une autre erreur où tombent les beaux esprits, est de ravaler le genre trivial (323), comme l'ambigu (300), et vouloir qu'on exclue des calculs de mouvement la partie triviale qu'ils accusent de n'être pas à la hauteur de la philosophie. Disons, plus exactement, que la philosophie n'est point à la hauteur du mouvement ; elle ignore la règle du contact des extrêmes, selon laquelle un système de preuves, en mécanique de passions, doit passer des effets les plus sublimes aux plus triviaux.

En théorie de mouvement il faut, non pas des fleurs académiques, mais de la jus¬tesse mathématique et de l'intégralité. Or la preuve n'est complète, intégrale, qu'autant qu'elle s'applique aux deux extrêmes et par suite aux degrés intermédiaires. Exclure le trivial, c'est raisonner comme un chirurgien qui ne voudrait pas opérer sur certaines parties du corps parce qu'elles sont triviales, ou comme un chimiste qui refuserait d'analyser les substances triviales. Il faut se garder de cette erreur des critiques pari¬siens qui m'ont blâmé de mettre en scène, quand il le faut, l'ambigu et le trivial, selon la loi de contact des extrêmes : si j'avais exclu de mes recherches ces deux genres, je n'aurais déterminé ni la corporation du vestalat, ni celle des Petites Hordes qui sont les deux ressorts les plus puissants en éducation naturelle, quoique leurs emplois tiennent à l'ambigu et au trivial.

Les littérateurs civilisés tombent en déraison sur tout ce qui touche aux questions de mouvement : ils n'ont sur ce sujet aucun principe fixe, aucune direction raisonnée ; et comme le dit fort bien l'Évangile, ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. (St. MATTH., chap. XV.) Si on en doutait, il suffirait pour s'en convaincre, de la versatilité de leurs doctrines qui, après avoir prêché de tout temps le mépris des richesses, nous excitent aujourd'hui à l'amour du trafic.

Un journal (Gazette de France) a dénoncé avec raison la dépravation de la morale dont il dit : « Elle s'est bien humanisée ! douce, complaisante, elle ne nous enseigne plus à combattre, mais à céder. » Ce serait bien le vœu de la nature qui veut que nous cédions à l'attraction, pourvu que ce bonheur s'étende à tous, dans un régime social où chacun ait la faculté de se livrer à l'attraction et où tout soit lié, selon le principe des philosophes qui enseignent que tout est lié dans le système de la nature, et doit être lié de même dans le système social.

Pour opérer ce lien, il faut que le peuple participe aux jouissances, qu'elles ne soient pas limitées à la classe riche : or que veut le peuple ? Il tient avant tout à la nourriture, à la bonne chère : j'ai prouvé que le monarque même ne peut pas être bien servi si le peuple ne l'est pas ; il fallait donc découvrir un ordre industriel (Séries passionnées) qui assurât ce genre de bien-être à toutes les classes, en proportion de leurs moyens pécuniaires; un ordre qui établît le lien recommandé par la philosophie, et qui l'appliquât d'abord aux subsistances du peuple, d'où on l'aurait étendu au régime des subsistances générales du globe (voyez III, 564), en y organisant le système lié et le mode composé, qui sont la nature de l'homme (chap. XXXI).

Au lieu de proposer ces grands problèmes, nos moralistes professent le mépris du peuple et l'insouciance pour ses besoins, pour les fourberies commerciales dont il est victime. Ils ne songent qu'à s'introduire dans les salons de la finance : le veau d'or enchaîne à son char tout le monde savant; nos philosophes dédaignent la gargotte morale, le brouet noir des Spartiates, les raves de Curius Dentatus et les ragouts à l'eau de la citoyenne Phocion; habitués maintenant aux volailles truffées des publi¬cains, ils oublient que le peuple souffre et qu'il faut, pour le faire participer au bien-être, un système où tout soit lié, où le bonheur s'étende jusqu'aux dernières classes populaires.

J'ai observé cette règle de lien général dans les relations décrites aux sections III et IV ; j'y ai toujours fait marcher de front le beau et le bon : tous deux y sont liés sans cesse; je n'y ai pas négligé les fleurs pour les pommes de terre., comme aux beaux jours de 1793, où l'on plantait moralement des pommes de terre au jardin des Tuileries: je n'y ai pas non plus négligé les pommes de terre pour les fleurs, comme le font aujourd'hui nos perfectibiliseurs qui, sous prétexte de s'élever à la hauteur de la philosophie, veulent proscrire certaines fonctions qu'ils disent triviales, et dont l'absence fait avorter les fonctions nobles. Aussi voit-on les Parisiens aussi ignorants sur le beau que sur le bon : leurs parterres, tout remplis de pissenlits arborescents, sont aussi mal tenus que leurs potagers; vandales sur la culture des fleurs qu'ils détrui¬sent en automne quand elles pourraient durer encore un mois (surtout le souci), ils sont également vandales sur le soin des pommes de terre que la philosophie juge au-dessous de sa dignité. Ainsi tout est lié ; si on échoue sur le beau, on échouera sur le bon : c'est un écueil inévitable hors des Séries passionnées.

En conséquence, il faudra refaire l'éducation sur le beau comme sur le bon ; la morale veut n'occuper les femmes que du pot-au-feu, il faudra les habituer à l'appré¬ciation des fleurs qu'elles ne connaissent point ; elles ne font cas que des roses, et leurs maris n'estiment que les choux; de là vient que pour faire l'éducation harmo¬nienne des pères et mères engagés dans la première phalange, il faudra employer les champs de fleurs concurremment avec la gastronomie élevée au mode GASTRO¬SOPHIQUE (308). Motivons cette préférence.

Quelles sont les branches de culture sur lesquelles la phalange d'essai pourra opérer ? Il en est neuf.


Grande culture, grains, vignes,
Fleurs et serres, Bestiaux,
Vergers, Colombiers,
Jardins, Viviers et chasses,
Forêts,
Cuisines et conserve.


La plupart de ces branches ne fourniront que peu ou point d'intrigues industrielles dans le début : on ne pourra pas encore s'occuper des forêts; les vergers seront sans intérêt, à moins de transplantation indiquée au devis ; le grand bétail occupe trop de temps pour une phalange peu experte et qui doit créer promptement des intrigues acti¬ves ; la grande culture, graminées et vignes, aura le même inconvénient ; les viviers seront probablement réduits à peu de chose; les fleurs et serres fourniront quelques amorces, mais le fort de l'attraction ne pourra porter que sur les jardins et les colombiers, deux objets qui se lient intimement avec le travail de cuisine et conserve : les trois branches réunies tiennent à la gastronomie; on ne pourra donc les intriguer vivement et promptement que par application des intrigues gastronomiques.

Je n'avais pas autant approfondi ce sujet, lorsque j'écrivis le Traité de 1822 : par déférence pour les préjugés de trivialité, j'insistai trop peu sur la nécessité de la gas¬tronomie, ressort le plus efficace au début : je craignais que cette branche de théorie ne parût manquer de gravité ; je ne la produisais qu'étayée de calculs très rigoureux, comme ceux de l'article III, 135.

Aujourd'hui, après six ans d'observations qui ont mûri d'autant la théorie, j'insiste sur la nécessité de spéculer principalement sur la gastronomie appliquée aux travaux culinaires et agricoles ; c'est le plus sûr moyen de faire éclore en peu de temps les attractions industrielles.

Il faudra surtout désabuser les femmes, toutes prévenues contre cette passion, les façonner à l'amour de la table par les repas de corps et de fantaisie alternés, par les mélanges de sexe et les serviteurs aimables : une réunion de 10 à 12 hommes entre en gaieté si elle voit le service du dîner fait par 2 ou 3 jolies filles; le repas sera beaucoup moins gai si on le fait servir par 2 ou 3 béates.

Il faudra, dans la phalange d'essai, ménager de même aux tables de femmes un service de beaux jeunes gens, ce sera un moyen de plus pour ramener le sexe aux raffinements gastronomiques. Je parlerai des antiennes, qui sont un moyen très puissant (9e notice) ; d'ailleurs la table plaira aux femmes par le choix de compagnies passionnément assorties au moyen des négociations faites jour par jour à la bourse. Les femmes n'auront plus l'ennui d'un comité mâle, qui, à table, ne les entretient que de la charte, du budget, du 3 0/0, des élections, du commerce et autres pesanteurs assommantes pour elles. Quand aux hommes et aux enfants, on ne sera pas en peine de les passionner promptement pour la gastronomie appliquée.

Il est encore de nombreux ressorts d'attraction industrielle qui influeront puissam¬ment sur les femmes et les enfants; tels seront, à la culture, les champs de fleurs cultivées, sous tente mobile, pour la parfumerie (188) et pour les graines (191) ; aux ateliers, une chance très propre à passionner les femmes, sera celle du travail de faveur, de bienveillance, de courtoisie, tel que celui de Céliante pour Bastien (298) ; la faculté assurée à chaque femme de travailler pour tel jeune homme, en passionnera bon nombre pour les fonctions qu'elles dédaigneraient sans cette amorce, et dont l'amour leur donnera le goût, l'initiative, pas le plus difficile à franchir.

Une conclusion à tirer des tableaux contenus dans les sections III et IV, c'est que plus le sexe mâle donne de liberté aux deux autres sexes, femmes et enfants, plus il est riche et heureux. On a vu qu'en harmonie un père est délivré du fardeau dispen¬dieux nommé ménage, entretien de femme et enfants, frais d'éducation, de placement, dotation, etc. ; tout le monde est placé dans sa phalange même, à la culture, aux fabriques, aux sciences, aux arts, dont il tire d'amples bénéfices : le père n'a d'autre tâche que de féliciter ses enfants, sans dépenser une obole pour eux. Le produit, estimé aujourd'hui :


Enfant 1 devient Enfant 7 Différence de 7 à 28.
Mère 1 Mère 9
Père 5 Père 12


Tel sera le fruit de la vraie liberté fondée sur l'essor de l'attraction. Les résultats en richesse et bonheur seront plus brillants encore, quand on pourra, au bout d'un demi-siècle, organiser l'amour et la paternité libres.

Entravé sur ces deux passions, l'état sociétaire ne sera point entravé sur l'ambition, qui nous paraît la plus indomptable de toutes. On verra en Ve section qu'elle est la plus flexible, et que rien n'est si aisé que de concilier César et Pompée, Bonaparte et Louis XVIII. C'est un problème qui doit répandre de l'intérêt sur la Ve section, à laquelle nous allons passer, et qui enseignera l'art d'établir d'autant plus de justice et d'harmonie sociale, que les ambitions seront plus insatiables de grandeurs et de richesses. Le problème peut sembler gigantesque aux yeux des philosophes, il n'est qu'un jeu d'enfant pour qui connaît la théorie du mécanisme sériaire des passions.

J'ai omis un préalable bien utile qu'il eût convenu de placer avant le procédé de répartition; c'est le calcul des ralliements passionnels ou accords des seize antipathies sociales. J'ai expliqué un de ces ralliements, en traitant de la domesticité passionnée ; j'ai préludé sur quelques autres. On peut donc renvoyer l'ensemble du sujet à la 9e notice, et passer dès à présent au mécanisme de répartition, que le lecteur se lasserait d'attendre.



Section V : De l’équilibre général des passions
Neuvième notice

De l’accord en répartition


Chapitre XXXIII

De la classification des Séries.

Rien n'est plus aisé que de répartir en proportion du capital : c'est une opération purement arithmétique, bien connue de tout le monde ; mais la rétribution du travail et du talent, l'art de contenter chacun sur ces deux points est tellement ignoré, que tous les civilisés se plaignent d'injustice et passe-droits vexatoires sur l'une et l'autre dette. Il serait impossible de satisfaire ces deux prétentions, s'il fallait donner à chaque individu le produit direct de son travail dans une trentaine de séries et une centaine de groupes dont il est coopérateur ; on serait obligé de vendre séparément chaque récolte, partager le montant d'un carreau de choux à plusieurs groupes qui l'ont soigné en exercice parcellaire : tel groupe en labourage, tel autre en plantation ou semis; celui-ci en arrosage, celui-là en soins des grains. Ce serait une complication indéchiffrable ; il faut une méthode expéditive qui abrège, comme l'algèbre en com¬paraison de l'arithmétique.

Pour expliquer ce mécanisme de répartition abréviative, il faut enseigner d'abord à classer les séries selon leur degré d'importance et de droits à un dividende plus ou moins fort. Chaque série étant associée et non pas fermière de sa phalange, elle perçoit un dividende, non sur le produit de son travail spécial, mais sur celui de toutes les séries; et sa rétribution est en raison du rang qu'elle occupe dans le tableau des fonctions, divisé en trois classes : nécessité, utilité et agrément.

Par exemple : telle série qui produit les graminées ne perçoit ni demi, ni tiers, ni quart du produit de ses grains recueillis : ils entrent dans la masse du revenu à vendre ou à consommer ; et si la série qui les a produits est reconnue de haute importance en industrie, elle est rétribuée d'un lot de 1er ordre dans la classe où elle figure. La série qui produit les grains est évidemment de la ire classe dite nécessité ; mais dans cette classe on peut distinguer environ cinq ordres de séries, et il est probable que celle qui produit les grains, froment, seigle, orge, avoine, maïs, etc., sera tout au plus de 3e ordre en échelle de nécessité ; car le travail de labour et celui de manutention du grain ne sont pas répugnants, et doivent être classés après les répugnants qui sont au 1er des 5 ordres de nécessité.

Le travail des Petites Hordes est le premier de tous; vient ensuite celui de bou¬cherie, où elles interviennent pour la partie fétide ou triperie. Les fonctions des nourrices, des pouponnistes et des infirmistes étant répugnantes, doivent être classées avant celles du labour; il en est de même des fonctions chirurgicales et médicales, ainsi que du travail des corvéistes : ces emplois comprennent plusieurs séries qui figurent en 1er ordre dans la classe de nécessité.

Répétons que ce n'est pas sur la valeur du produit qu'on règle les rangs, c'est sur l'influence d'un travail en mécanique d'attraction et d'harmonie : voici à cet égard, un problème sur lequel se tromperont tous les civilisés. Laquelle des deux séries de FLORICOLES ou FRUCTICOLES doit être placée avant l'autre ? Chacun répondra que ce n'est pas un sujet de doute, que les fruits sont infiniment plus précieux que les fleurs; donc la grande série qui cultive les vergers, les espaliers, doit non seulement être classée avant celle qui cultive les fleurs, mais celle des fructicoles doit être placée en catégorie d'utilité, et celle des floricoles en catégorie d'agrément qui est moins rétribuée. Ainsi opineront les civilisés : n'ayant pas besoin d'attraction industrielle, ni d'harmonie, ils n'en estiment pas les ressorts.

C'est juger au plus mal, et tomber dans double contresens; la série des vergers, des fructicoles, quoique infiniment productive, reste dans la catégorie d'agrément ; tandis que la série des floricoles qui produit à peine autant qu'elle coûte, passe en catégorie d'utilité : expliquons les motifs de ce classement, déduits des influences de l'attrac¬tion.

Les vergers, en harmonie, sont des séjours délicieux ; leur soin est le plus récréatif de tous les travaux. Les rencontres des cohortes vicinales et les amours, dont je n'ai pas parlé, s'y joignent à mille autres amorces. Tout verger est parsemé d'autels de fleurs, entouré de cordons d'arbustes : le travail n'y exige guère de tentes mobiles, parce que les arbres en tiennent lieu. En ajoutant le charme spécial de cette culture, les rivalités émulatives, la réunion des sexes, le repas fort gai servi au castel à la fin de la séance, on pensera que sur 1 000 personnes, il doit s'en trouver 990 en attraction pour le soin des vergers, au moins dans quelque branche : ce sera une série infinitési¬male ou d'attraction générale, comme celle du poulailler (IV, 336).

La secte des fructicoles, abstraction faite de son produit, est donc la dernière en titres au bénéfice, parce qu'elle est la plus forte en dose d'attraction. D'autres sectes recourront aux expédients pour se renforcer d'attraction ; celle-ci ne cherchera qu'à diminuer l'intensité d'appât, et ralentir l'empressement général à s'y enrôler.

Quant à la secte des floricoles, elle est fort mal appréciée en civilisation. Si son produit a du charme, son travail n'en a guère; il exige beaucoup d'assiduité, de con¬naissances, de soins délicats pour un plaisir de courte durée ; mais il est précieux pour façonner les enfants et les femmes aux exigences de la culture, aux études et aux raffinements agronomiques : et c'est pour en faire une école d'agriculture, que la nature donne ce goût des fleurs aux femmes et aux enfants. D'ailleurs le travail des vergers n'est pas en tous sens à portée des enfants, tandis que celui des fleurettes et même des grandes fleurs convient en tous points au bas âge. A ces titres, la série des floricoles sera placée en 2e catégorie, au rang d'utilité.

On peut juger, par ce parallèle des fruits et des fleurs, que les harmoniens, en appréciation de travail, se règlent sur des bases fort différentes de celles admises chez les civilisés ; et que la quantité ou valeur réelle du produit, qui serait parmi nous boussole exclusive d'estimation es travaux, ne le sera point dans l'état sociétaire.

Il placera au dernier rang l'industrie fructicole, qui est la plus précieuse peut-être; car deux sexes d'harmoniens, les femmes et les enfants, vivront de fruits, soit crus, soit en compote, soit en marmelade, bien plus que de graminées. Nous en avons l'indice dans le bas prix actuel des sucres cultivés par des indigènes, comme en Indoustan. Le fruit allié au sucre est nourriture essentielle des harmoniens (III, 564) : le pain, substance commune, est un mets de civilisé, de goujat, quand il est pris pour base comme chez le peuple, et fabriqué en farines communes.

D'autre part, des fonctions qui nous semblent de pure superfluité, comme L'OPÉRA, seront en harmonie au 2e ordre de nécessité, immédiatement après les répugnantes. « Cependant, diront les civilisés, on peut se passer d'opéra et non de boulangers ni de meuniers. » L'objection est juste quant à l'Ordre civilisé, qui n'est pas susceptible d'attraction industrielle ; mais on a vu, aux chapitres de l'éducation, que l'opéra est un des plus puissants ressorts pour former l'enfant à la dextérité, à l'unité en fonctions industrielles : sous ce rapport l'opéra est de Ire nécessité, et rétribué comme tel.

En définitive, le classement des séries est réglé selon les convenances générales, et non selon les produits. Posons plus régulièrement le principe : on estime leur priorité de rang, en raison composée des bases suivantes :


1° En raison directe de leur concours aux liens d'unité, au jeu de la mécanique sociale ;
2° En raison mixte des obstacles répugnants ;
3° En raison inverse de la dose d'attraction et d'engrenage que peut fournir chaque industrie.


1° Titre direct : LE CONCOURS À L'UNITÉ. Le but est de soutenir le lien sociétaire dont on obtient tant de richesse et de bonheur; la série la plus précieuse est donc celle qui, productive ou improductive, concourt le plus efficacement à serrer le lien sociétaire. Telle est la série des Petites Hordes, sans laquelle tout le mécanisme de fusion des 3 classes et harmonie intentionnelle serait impraticable. Cette série est donc la ire en titre direct, en concours direct aux liens d'unité; elle est de même la ire en titre mixte.

2° Titre mixte : OBSTACLES RÉPUGNANTS. Tel est le travail des mineurs, des infirmistes et des bonnes. L'obstacle purement industriel est souvent un sujet d'amuse¬ment, divers athlètes s'en font un jeu ; mais on ne peut pas se faire un jeu d'une répugnance qui fatigue les sens, comme serait le curage d'un égout, la descente dans une mine : on peut surmonter cette répugnance par point d'honneur, par esprit religieux, comme le font les Petites Hordes et les infirmistes ; elle n'est pas moins lésion sensuelle, tandis que la fatigue simple et sans dégoût, comme celle d'un ouvrier qui monte sur des noyers et cerisiers, peut devenir amusette, plaisir réel. De là vient que l'ordre sociétaire n'estime et n'admet en priorité de rang que les fatigues répugnantes.

3° Titre inverse : DOSE D'ATTRACTION. Plus un travail excite d'attraction, moins il a de valeur pécuniaire : dès lors l'opéra et le soin des vergers devraient être deux séries de 3e classe ou agrément, car il n'est rien de plus attrayant dans les campagnes que le soin des arbres à fruit; et, dans les villes, que le tripot de comédie, les intrigues de coulisse : tous les gens riches aiment à s'y faufiler, même à titre d'actionnaires, au risque d'y perdre de bonnes sommes.


La série des vergers est renvoyée au 3e rang, à l'agrément, parce qu'elle n'a de mérite qu'en titre inverse, en forte dose d'attraction; elle ne concourt pas plus à l'unité que les autres fonctions agricoles. Quant à la série de l'opéra, elle concourt à l'unité par des services exclusifs, par sa propriété de former l'enfant à toutes les harmonies matérielles. Cette série est donc précieuse à double titre, en direct et en inverse; elle doit prendre place au 1er rang dans la catégorie de nécessité.

C'est en combinant bien les trois règles ci-dessus, qu'on parvient à classer exactement les rangs de chaque série en prétentions au dividende pécuniaire alloué au travail. Du reste quelques erreurs sur ce point ne seraient pas un préjudice notable pour la phalange d'essai; elle compensera ce défaut de méthode par la force des accords intentionnels (8e notice), par le noble orgueil de changer la face du monde et voir accourir les sages de toutes les régions pour admirer le germe de l'unité univer¬selle. Observons que cette affluence de curieux rendra à la phalange d'essai une somme de 40 à 50 millions, à n'estimer le prix d'admission que cent francs par jour, subsistance aux frais de chacun.

Je dois redire que les erreurs sur le classement des séries ne préjudicieront point à l'accord collectif, car ces débats subalternes seront absorbés dans la passion générale d'UNITÉISME (chap. XXXII), qui n'est pas connue des civilisés, et qui naîtra chez les harmoniens dès les premiers jours. Nos philosophes, qui croient connaître toutes les passions, sont comparables à des enfants de dix ans qui, enchantés de leurs globules de marbre, pensent qu'à l'âge de vingt ans ils n'auront point de plaisirs plus séduisants. Juger des passions d'harmonie par les passions civilisées, c'est imiter un paysan qui, n'étant jamais sorti de son nid, croit que le clocher de son village est le plus beau clocher du monde et que son curé est le plus savant homme de la terre. Quand ce paysan aura vu le monde, parcouru les capitales" il trouvera bien à décomp¬ter en fait de clochers et de savants.

Il en sera de même des passions futures, et surtout du LIBÉRALISME, dont on profane aujourd'hui le nom sans avoir aucune idée de la chose. (Voyez chap. XXXV.) Parmi ces passions à naître, la principale sera l'unitéisme ou philanthropie réelle, fondée sur la plénitude, la réplétion de bonheur, le besoin de répandre autour de soi le charme dont on est pénétré. Nous voyons une ombre de cette passion dans les événements qui remplissent de joie une population entière. Lorsque Troie, après dix ans de siège, est enfin délivrée des assaillants, les Troyens sortent en foule, panduntur porta, juvat ire : l'ivresse est telle, que les rangs se confondent; on se félicite récipro¬quement, on se redit les détails du siège. Ici étaient Achille et les Thessaliens; ici étaient les Dolopes. C'est vraiment l'instant de la fraternité rêvée par les moralistes; c'est une ombre de la passion unitéisme, fusion des classes, réplétion de bonheur qui régnera sans cesse chez les harmoniens, et qui aplanira tous les obstacles relatifs aux accords de répartition. D'ailleurs on va se convaincre que, pour établir l'harmonie dans les partages, il suffit, comme je l'ai annoncé, de l'amour des richesses.


Chapitre XXXIV

De l'accord direct en répartition,
ou équilibre par la cupidité.

Enfin nous arrivons à l'objet principal, à l'effrayant problème d'établir une justice éclatante, une pleine harmonie dans le partage des bénéfices et une rétribution satis¬faisante pour chacun, selon ses trois facultés industrielles : travail capital et talent. Ce prodige tient à élever la cupidité du mode simple au mode composé.

Voici le triomphe de la cupidité tant diffamée par les moralistes; Dieu ne nous aurait pas donné cette passion s'il n'en eût pas prévu un emploi utile en équilibre général. Déjà j'ai prouvé que la gourmandise, également proscrite par les philosophes, devient voie de sagesse et d'accords industriels dans les Séries passionnées. On va voir que la cupidité y produit le même effet, qu'elle y devient voie de justice distri¬butive, et qu'en créant nos passions, Dieu fit bien tout ce qu'il fit.

L'homme civilisé ne trouvant son bénéfice que dans la rapine et la rapacité, il doit s'abandonner à ces vices tant qu'on ne sait lui créer d'autres stimulants de justice que l'honneur d'être philosophe, d'obéir à Sénèque et Diogène : ce ne sont pas là des con¬trepoids à la cupidité. Il est connu que le monde n'estime que la fortune acquise per fas et nefas ; qu'on n'a que raillerie et duperie à recueillir en pratiquant l'équité; dès lors le civilisé s'en garde comme d'un piège. Il faut donc, pour l'y rallier, un régime où l'individu trouve son bénéfice personnel dans la justice distributive ; il ne la prati¬quera qu'à cette condition. Les harmoniens seront justes en répartition, parce que l'équité leur vaudra bénéfice, bonheur et plaisir; puis elle procurera mêmes avantages à la masse, qui aujourd'hui est froissée en tout sens par les prétentions individuelles : notre cupidité est donc simple, égoïste, étrangère aux intérêts de nos voisins; elle deviendra COMPOSÉE quand elle servira leur intérêt et le nôtre à la fois. Examinons :


Si chacun des harmoniens était, comme les civilisés, adonné à une seule pro¬fession, s'il n'était que maçon, que charpentier, que jardinier, chacun arriverait à la séance de répartition avec le projet de faire prévaloir son métier, faire adjuger le lot principal aux maçons, s'il est maçon; aux charpentiers, s'il est charpentier, etc. Ainsi opinerait tout civilisé ; mais en harmonie où chacun, homme, femme ou enfant, est associé d'une quarantaine de Séries, exerçant sur l'industrie, les arts, les sciences, personne n'a intérêt à faire prévaloir immodérément l'une d'entre elles; chacun, pour son bénéfice personnel, est obligé de spéculer en sens inverse des civilisés, voter sur tous les points pour l'équité. Décrivons d'abord ce mécanisme en action, j'en expli¬querai ensuite la théorie.


Je distingue en générales et spéciales les impulsions qui entraînent tout harmonien à l'équité.


1° Impulsions générales appliquées aux 3 facultés, capital, travail et talent : Alcippe est un des riches actionnaires; telle somme dont il tirait en civilisation 3 à 4 0/0 (revenu des domaines), lui rendra dans la phalange 12 à 15 %, selon les aperçus d'inventaire, si l'on parvient à s'accorder en répartition. Il lui importe donc d'opiner pour la justice distributive, et de repousser toute mesure qui léserait une des trois facultés. Si à titre de fort capitaliste il veut faire allouer moitié du produit aux capitaux, par exemple : capital 6/12, travail 4/12, talent 2/12, les 2 classes nombreu¬ses qui n'ont à percevoir que sur les deux autres facultés, travail et talent, seront mécontentes : l'attraction se ralentira, le produit et les accords diminueront, et dès la 3e année le lien sociétaire se dissoudra. Alcippe voit que pour son intérêt même il faut fixer la répartition comme il suit : capital 4/12, travail 5/12, talent 3/12. Calculée sur ce pied, elle donnera encore à Alcippe un revenu quadruple de celui qu'il avait en civilisation ; elle garantira en outre le contentement des deux classes peu fortunées et le maintien du lien sociétaire. Alcippe incline d'autant mieux pour cette justice, qu'il a lui-même bon nombre de lots à percevoir, dans diverses séries, sur le capital et le talent ; car les plaisirs, tels que chasse, pêche, musique, art dramatique, soin des fleurs, des volières, sont payés comme le travail des champs et des vignes. En outre, il a formé beaucoup de liaisons amicales avec la classe des non-capitalistes; il la protège, il veut que justice lui soit rendue.

Dans ce cas, la cupidité qui l'aurait poussé à voter un lot de moitié pour le capital, se trouve contrebalancée par deux impulsions honorables ; ce sont: l'affection qu'il a conçue pour les divers sociétaires des séries qu'il fréquente, et où il a de plus des lots de travail et talent à percevoir, puis la conviction de trouver son intérêt dans l'intérêt collectif, dans le contentement de la phalange entière, dans le progrès de l'attraction industrielle, source de richesses à venir.

Ainsi l'impulsion véhémente, celle de cupidité qui aujourd'hui pousserait aux pré¬tentions outrées, rencontre ici deux contrepoids qui la maintiennent dans la juste mesure, dans la voie d'équilibre et de justice satisfaisante pour les 3 facultés et les divers individus. Ce bel accord de passions est calqué sur la propriété fondamentale des séries mathématiques, égalité de la somme des extrêmes, au double du terme moyen. (Dans la Série 2, 4, 6, deux fois 4 équivalent à 2 et 6.)

Analysons mêmes contrepoids, même équilibre, dans les impulsions de la classe pauvre.

Jeannot n'a point de capitaux, point d'actions; opinera-t-il à favoriser la faculté de travail aux dépens du capital ou du talent ? faire adjuger en proportion de

travail 7/12, capital 3/12, talent 2/12 ?


Ici l'impulsion dominante est pour favoriser le travail, au préjudice des deux autres facultés, capital et talent. Tel serait l'avis de tout civilisé pauvre ; le paysan dit : C'est moi qui produis tout ; il croit de bonne prise tout ce qu'il vole au seigneur qui, de son côté, se croit en droit de tout ravir au paysan. Tel est l'équilibre des passions dans l'état civilisé, une lutte de pillage et d'astuce, nommée perfectibilité.

En harmonie, le pauvre Jeanne pensera bien différemment. Sa plus forte impul¬sion est de favoriser le travail, puisqu'il n'a rien à prétendre sur les dividendes alloués au capital; mais deux autres impulsions viennent contrebalancer cet essor brut de la cupidité : Jeannot a des lots à prétendre sur le talent; il brille dans certaines parcelles de divers travaux, il lui convient que le talent conserve ses droits. D'autre part, il connaît l'importance des capitalistes dans une phalange, les avantages que le pauvre tire de toutes leurs dépenses, la participation aux spectacles gratuits, aux voitures et chevaux, aux repas de corps, aux dessertes de tables riches, aux adoptions indus¬trielles pour ses enfants ; lors même qu'il ne saurait pas apprécier le fruit de toutes ces chances de bénéfice, il l'apprendrait dans la compagnie des 40 groupes qu'il fré¬quente : les corporations ne se trompent pas sur leurs intérêts.

Ces deux impulsions disposent Jeannot à ménager le talent et le capital, et à se réduire de 7/12 à 5/12 sur le lot du travail; réduction qui, tout balancé, tourne à son avantage ; car il ne peut être heureux qu'en soutenant la phalange et l'attraction, qui péricliteraient du moment où le capital et le talent seraient mal rétribués. Ici la cupidité brute, la passion dominante qui chez nous absorberait tout, se trouve pondérée par deux contrepoids, deux impulsions favorables au talent et au capital, facultés sur lesquelles Jeannot a le moins de prétentions. C'est, comme chez Alcippe, l'influence de deux forces extrêmes balançant la double influence de la force moyen¬ne. Les harmoniens des trois classes, riche, moyenne ou pauvre, sont constamment entraînés à ces vues de justice, par impulsion de deux intérêts collectifs luttant contre la rapacité déraisonnée qui, chez les civilisés, ne rencontre aucun contrepoids, aucune chance de bénéfice fondée sur le soutien de l'intérêt général, sur la justice distributive.

J'insisterai, dans les 2 chapitres suivants, sur ce penchant de tout harmonien pauvre à soutenir la classe riche et le lot de capital ; je donnerai, sur cette impulsion, des preuves irrécusables. En attendant, observons que le pauvre, en harmonie, a de nombreuses chances de fortune : il n'est point découragé comme nos salariés qui n'entrevoient aucun moyen de s'élever au rôle de maître ; il a l'espoir de voir ses enfants parvenir à de hautes dignités, par la science, le talent, la beauté, les alliances monarcales ; il a une petite fortune croissante du fruit de ses économies que la caisse d'épargne reçoit écu par écu; il ne fait pas de dépense, parce qu'il est bien nourri et bien vêtu aux frais de la phalange qui lui fournit tous les habits de travail, et trois uniformes de parade pour les trois saisons ; il ne songe pas comme nos ouvriers à fréquenter la guinguette et le cabaret, parce qu'il trouve à ses cinq repas excellente chère, vins à option, joyeuse compagnie; dès lors il économise, et place en coupons d'actions tout le bénéfice qui lui reste après le paiement de son compte de frais ; il est petit propriétaire, il a l'esprit de propriété, le droit de vote en divers conseils, et de suffrage en toutes élections ; il ne peut donc pas ressentir d'aversion pour les riches qu'il fréquente, dont il a sans cesse à se louer, et dont il espère devenir l'égal. Sans cet espoir d'avènement à la fortune, la vie devient un fardeau pour l'homme.

2° Impulsions spéciales : Analysons maintenant l'équilibre de cupidité dans les détails. Philinte est membre de 36 séries qu'il distingue en trois catégories, A, B, C; dans les 12 séries de l'échelle A. il est ancien sectaire, expérimenté, tenant l'un des premiers rangs en importance et en droits au bénéfice. Dans les 12 séries C, il est nouveau sectaire, peu exercé, ne pouvant espérer que de faibles lots ; et dans les 12 de l'échelle B, il est en moyen terme d'ancienneté, de talent et de prétentions. Ce sont trois classes d'intérêts opposés, stimulant Philinte en triple direction et le forçant, par cupidité et par amour-propre, à opter pour la stricte justice.

En effet : s'il y a fausse estimation du mérite réel de chaque série, Philinte sera lésé, d'abord sur les dividendes à recueillir dans les 12 séries où il excelle, et où il a droit aux plus fortes parts; en outre, il sera piqué de voir leur travail et le sien mal appréciés. À la vérité, cette injustice pourra favoriser les 12 séries C ; mais comme il n'est que subalterne, rétribué de faibles lots, il ne serait pas compensé des réductions à éprouver sur les 12 séries A, où il obtient les lots supérieurs. D'autre part il ne veut pas qu'on ravale les séries C, où son penchant l'a enrôlé récemment ; il estime et protège leur industrie ; il les soutient par amitié cabalistique et par amour-propre. Quant aux 12 séries B, où il est sectaire de moyen rang, obtenant des lots moyens, il convient à ses intérêts qu'elles aient ce qui leur est dû, sans empiéter sur les catégories A et C.

Sous tous les rapports, il se trouve entraîné à vouloir l'exacte justice en répar¬tition ; elle est l'unique moyen de satisfaire à la fois son intérêt, son amour-propre et ses affections. Ajoutons une preuve de détail.

S'il parvenait à faire favoriser les 12 séries A, où il perçoit de forts dividendes, il serait dupe ; l'injustice, dans l'état sociétaire bien organisé, tourne au détriment de son auteur ; je le démontre.

Les 12 séries A sont de 3 ordres : environ 4 de nécessité, 4 d'utilité, 4 d'agrément (chap. XXXIII) ; or, si Philinte réussissait à faire dominer la faveur, il ne pourrait pas l'étendre aux trois ordres de nécessité, utilité, agrément, mais seulement à l'un des trois ; dès lors, obtenant du gain sur 4 de ces 12 séries A, il perdrait d'autant sur les 4 de l'ordre opposé, et ne gagnerait rien sur les 4 moyennes. Il n'aurait aucun bénéfice réel sur l'ensemble des 12 ; il ne recueillerait de cette injustice que le déshonneur, la défiance générale et la perte de tous les suffrages pour divers emplois lucratifs qui sont très nombreux. La défaveur de l'opinion est très préjudiciable à un harmonien ; elle est indifférente à un civilisé, car les places lucratives ne sont pas électives, et quand elles le seraient, ce ne serait pas l'honnête homme qui les obtiendrait en civili¬sation, où la masse électorale est toujours le jouet des intrigues.

Le besoin de justice distributive existera donc dans les détails comme dans l'en¬semble de la répartition. Le régime des séries passionnées est un mécanisme qui sue la justice, et qui transforme en soif de justice le prétendu vice nommé soif de l'or. Nos passions deviennent toutes bonnes, si on les développe dans l'ordre sériaire auquel Dieu les destine ; mais ce développement doit être conforme aux règles d'engrenage (établies chap. V et VI, et notice 7e). Si on observe bien ces règles, il arrivera que chaque individu sera attiré dans une masse de séries bien échelonnées en tous sens, en nécessité, utilité et agrément ; qu'il y figurera en échelle de rôles, expérimenté dans un tiers, novice dans un 2e tiers, et mixte dans un 3e tiers ; une fois engrené de cette manière, il ne ressentira que des impulsions de justice, tant sur l'ensemble que sur les détails de répartition aux 3 facultés, capital, travail et talent.

C'est pour atteindre ce but que la sollicitude des fondateurs devra se porter sur les moyens d'engrenage des passions : mes instructions à cet égard seront suffisantes si on les suit exactement, si on consent à ne point lésiner sur les frais de semailles d'attraction, sur les moyens de variété fréquente en fonctions, et d'enrôlement à un grand nombre de séries. Il faut que chacun soit entraîné à les parcourir successive¬ment, à quitter une série pour entrer dans une autre, en restant sociétaire émérite, et adjoint auxiliaire aux séries quittées.

La méthode, pour répartir aux groupes d'une série et aux membres d'un groupe, est la même que pour répartir aux classes et aux ordres de séries; le mouvement étant, selon l'idée de Schelling (p. 49), miroir de lui-même en tous sens, analogie univer¬selle.

Le lot de talent, borné à 3/12 et peut-être 2/12, est encore très copieux, parce qu'il y a dans chaque branche d'industrie une masse de sectaires novices et dépourvus de titre aux lots de talent : leur nombre est au moins d'un tiers en chaque fonction, souvent moitié; ce qui assure une forte part à l'autre moitié, seule rétribuée en talent. Les lots de travail ne présentent pas cette chance; car tout sectaire d'un groupe y travaillant du plus au moins, a droit à une part quelconque. C'est pourquoi le travail mérite au moins 5/12 du bénéfice ; et il est douteux si on ne l'élèvera pas plus haut, selon le rapport : Travail 3/6, Capital 2/6, Talent 1/6.

On peut déjà entrevoir que nos passions sont les rouages d'une mécanique où règne la justesse mathématique. Je n'ai point eu recours aux systèmes pour surmonter la difficulté en répartition, je me suis borné à appliquer au jeu des passions les règles élémentaires de mécanique et d'arithmétique, la balance et la série, ce qui est la même chose; car la balance est, comme la série, un accord de deux forces extrêmes faisant contre poids à la double force moyenne. Si chacune des balances doit porter un quin¬tal, il faut que le fléau puisse porter deux quintaux.


Les détracteurs prétendent que ma théorie repose sur des idées extraordinaires, bizarres, abstruses. Qu'y a-t-il de plus ordinaire que les théorèmes élémentaires de mathématiques ? Le calcul de la mécanique des passions sera étayé en tous sens de ce genre de preuves; la nouvelle science de l'attraction passionnée est dans tous ses détails coordonnée aux mathématiques; les passions, lorsqu'on les distribue par séries, sont les mathématiques en action; par exemple : les propriétés des 4 courbes élémen¬taires, nommées sections coniques, sont très exactement les types des propriétés des 4 groupes distingués en mode majeur et mineur :


MAJEUR. Amitié, cercle,
Ambition, hyperbole.

MINEUR. Amour, ellipse,
Paternité, parabole.


En conséquence, ma théorie, loin de tomber dans l'esprit systématique, est au contraire la première et la seule qui ait évité ce vice, et rallié l'étude des passions à des principes puisés dans la nature. Elle ouvre enfin la voie de ces équilibres si vainement rêvés par la philosophie ; car on a vu ci-dessus, dans le mécanisme de répartition, la propriété

D'absorber la cupidité individuelle dans les intérêts collectifs de chaque série et de la phalange entière, et d'absorber les prétentions collectives de chaque série, par les intérêts individuels de chaque sectaire dans une foule d'autres séries.

On peut réduire ce brillant effet de justice à deux impulsions, dont l'une milite en raison directe du nombre de séries que fréquente l'individu, et l'autre en raison inverse de la durée des séances de chaque série.

1° En raison directe du nombre de séries fréquentées. Plus ce nombre est grand, plus l'individu se trouve intéressé à ne point les sacrifier toutes à une seule, mais à soutenir les droits de 40 compagnies qu'il chérit, contre les prétentions de chacune d'entre elles.

2° En raison inverse de la durée des travaux. Plus les séances sont courtes et rares, plus l'individu a de facilité à s'enrôler dans un grand nombre de séries, dont les influences ne pourraient plus se contrebalancer, si l'une d'entre elles, par de longs et fréquents rassemblements, absorbait le temps et la sollicitude de ses sectaires et les passionnait exclusivement.

Dans ces équilibres de mécanisme des séries, observons que la boussole est UNE; c'est toujours la déférence rigoureuse au vœu des trois passions rectrices, développées de manière à se satisfaire l'une par l'autre : la Papillonne, par la plus grande variété possible en fonctions attrayantes; la Cabaliste, par le classement trinaire des intrigues de séries (105), leur contraste méthodiste, et l'échelle bien nuancée des espèces et variétés ; la Composite, par le double charme, les miracles redoublés, d'où naît le bo¬nheur composé (332). Voyez le chapitre d'une journée de bonheur, 10e notice.

Je n'ai décrit dans ce chapitre 34 que l'équilibre direct ; il sera un peu incomplet la première année : le défaut d'expérience et les lacunes d'attraction causeront quelques irrégularités; mais la force des accords intentionnels y suppléera amplement, et l'on arrivera, au bout de deux ans, à des données expérimentales et certaines sur tous les détails relatifs à l'accord en répartition. Les moyens qu'on vient de lire sur l'accord direct, ont besoin de deux appuis qu'on va trouver dans les deux chapitres suivants, où je traite de l'équilibre indirect et des ralliements d'antipathies.


Chapitre XXXV

De l'accord inverse en répartition,
ou équilibre par générosité.

DISTINGUONS les deux accords direct et inverse. L'accord par cupidité est DIRECT, parce qu'il naît de la Ire passion qui dirige l'homme en partage de bénéfices; il naît de l'impulsion d'égoïsme que les idéologues nomment le moi, sur lequel ils assoient leurs systèmes. Ce moi, cet égoïsme, est très odieux en civilisation, où il ne pousse qu'à la rapine et à l'injustice.

Nos sciences métaphysiques ont illustré ce moi égoïste, au lieu de chercher à lui substituer un moi équitable. Tel est leur usage : vanter chaque vice dominant pour se dispenser d'en trouver le remède. Quand on encense l'anarchie commerciale et men¬songère, on peut bien faire par système l'apologie de l'égoïsme.

Venons à l'accord indirect en répartition. La nature ne se borne jamais à un seul ressort en équilibres; la générosité qui va fournir le 2e ressort, donnera un accord opposé à l'impulsion naturelle qui nous fait désirer la plus forte part, ou tout au moins la portion due à notre industrie.

Je vais traiter d'un sentiment généreux qui, fondé sur ce que les réunions de travail ont été des séances de plaisir, excite le riche sociétaire à refuser ce qui lui est dû pour coopération à ces séances. On verra naître de cette impulsion des accords magna¬nimes et géométriquement disposés, ainsi que les précédents. C'est l'application du fameux théorème newtonien sur l'équilibre de l'univers, en raison directe des masses, et inverse du carré des distances.

Je vais décrire cet accord dans un petit groupe de 10 individus : A, B, C, D, E, F, G, H, J, L. je les suppose exerçant en culture de fleurs : leur travail a été rétribué à 216 fr. d'où résultent les lots suivants, provenant du travail seulement et non du capital ni du talent, qui forment deux lots à Part :


A. opulent, 28 fr.
B. riche, 32 fr.
C. aisé, 24 fr.
D. moyen, 20 fr.
E. juste, 16 fr.
F. gêné, 36 fr.
G. pauvre, 40 fr.
H. enf. pauv., 12 fr.
J. enf. nov., 8 fr.
L. aspirant, 0 fr.


A et B, quoique opulents, obtiennent des lots copieux ; ce n'est point par faveur, les plus riches sont quelquefois ceux qui ont le plus travaillé et le plus mérité ; tout se faisant par passion, ce n'est pas le besoin qui est mesure du travail.

A et B, gens fortunés, déclarent qu'ils s'en tiennent au revenu de leur capital et qu'ils ne veulent pas être payés pour un travail fait par plaisir avec des amis qui servent leur culture favorite; ils n'acceptent que le minimum ou 8e de leur lot, car l'usage défendra de refuser le tout. Ce minimum est 4 fr.; il reste de ces lots deux sommes de 24 et 28 à distribuer, = 52.

C et D opinent dans le même sens; mais, moins riches, ils se bornent à recevoir moitié. Reste deux sommes de 12 et 8 à répartir, = 20 + 52, total 72, qui tourneront au profit des sociétaires pauvres, dans la proportion suivante ; E, 24 : F, 18 : H, 12 : J, 9 : L, 9, d'après scrutin.

Il résulte de cette générosité que les gens pauvres, lorsqu'ils ne se sentent pas fondés à obtenir les lots supérieurs, aiment à les faire allouer aux riches; car ces lots reviendront indirectement aux pauvres et à leurs enfants. On voit qu'ici les enfants H et J, que je suppose pauvres, obtiennent deux lots de supplément, 12 et 9 fr., sur la portion abandonnée par les riches. L'aspirant L en reçoit de même une petite part dont il peut avoir besoin. En supposant qu'un enfant pauvre obtienne dans une trentaine de groupes ce supplément d'environ 12 fr., ce sera 360 fr. en sus de ses bénéfices, et trente motifs pour le Père de s'affectionner aux riches.

La principale part est donnée à G, sectaire qui ne tient qu'un rang médiocre en industrie; c'est un lot de faveur, usage d'harmonie; on y tient à se livrer à ses passions, en dépit de la morale : un groupe, une série, ont toujours favori ou favorite. je sup¬pose que G est une fameuse vestale, ornement de la contrée, les riches A et B se plaisent à l'attirer à leur travail préféré, les pauvres l'aiment également; tous les groupes la recherchent. Peut-être ne lui revenait-il qu'un lot de 24 fr., on lui donne celui de 40; mais les riches A et B, satisfaits de cette déférence, abandonnent d'autant mieux leurs lots dont les pauvres tirent 72 fr., en compensation de 16 qu'ils ont cédé à la vestale Galatée. La faveur, aujourd'hui source d'injustice, devient en harmonie une des plus fécondes sources d'accords; aussi établira-t-on en tous degrés des sceptres de favoritisme, en masculin et féminin depuis le bas degré qui ne comprend qu'une phalange ou canton, jusqu'au degré 13e qui est l'omniarchat du globe.

On peut voir au traité (IV, 496), cette répartition indirecte exposée plus ample¬ment, et appliquée à un groupe de 30 personnes qui fournit des accords plus variés, mieux échelonnés; mais il suffit de ce petit nombre de 10 pour analyser le mécanisme indirect en répartition.

Examinons maintenant la partie géométrique de cet équilibre. Si les plus riches sociétaires ont voulu recueillir le moindre lot possible; si, loin de prétendre à la plus forte part, en raison de leur fortune, ils abandonnent ce qui leur échoit en sus du mini¬mum, il en résulte qu'ils tendent au luxe, au bénéfice, en raison inverse des distances de capitaux, car ils possèdent la plus forte part des capitaux actionnaires; s'ils ne veulent accepter en lot de talent que la plus faible part de bénéfice, leur tendance au luxe est, sur ces deux points, talent et travail, en raison inverse des distances de capitaux : c'est l'une des deux conditions d'équilibre indirect en répartition.

L'autre condition est de tendre au luxe (1er foyer d'attraction, 89) en raison directe des masses de capitaux. Sur la somme de 4/12 qui sera répartie aux capitaux, les riches actionnaires percevront d'autant plus qu'ils ont plus d'actions, les moyens et les pauvres ne concourant que pour peu au partage de ce lot ; les riches, sur ce point, tendent au luxe, en raison directe des masses; plus ils sont opulents, plus ils béné¬ficient. Cette 2e condition forme le contrepoids à la Ire, et toutes deux réunies constituent l'équilibre INDIRECT de répartition conforme à celui du monde sidéral.

Dans tout le système de la nature, les équilibres s'opèrent par le concours de forces opposées qu'on nomme en physique centripètes et centrifuges ; l'équilibre de répartition a de même son impulsion centripète, celle de la cupidité, et son impulsion centrifuge, celle de la générosité. (Loi d'analogie, page 49.)

Nous voyons l'effet contraire dans tout le mécanisme civilisé, où règne l'absence d'impulsions contrastées. L'homme riche tend et arrive au bénéfice, en raison DIRECTE des masses et DIRECTE des distances de capitaux ; car dans toute entreprise où le riche intervient à la fois de ses capitaux et de son travail, comme dans une maison de commerce, une régie de banque publique, enfin dans toute société d'actionnaires, celui qui coopère des deux manières, par gestion active et versement de fonds, veut non seulement un dividende proportionnel à sa masse d'actions, ce qui est fort juste, mais il veut encore une levée ou traitement plus fort que celui des commis sans capitaux, à qui pourtant il laisse les plus pénibles fonctions.

Il tend donc au bénéfice en raison DIRECTE de la masse de capitaux, et DIRECTE des distances de capitaux ; ce qui constitue l'absence de contrepoids, la subversion du principe d'équilibre indirect, opéré par générosité. Il résulte de ce vice que le mécanisme civilisé ne peut produire que des monstruosités, que des fourmi¬lières d'indigents à côté de quelques fortunes colossales : aussi, à la honte de nos verbiages de balance, contrepoids, garantie, équilibre, ne voit-on qu'indigence, four¬berie, égoïsme et duplicité d'action.

L'accord que je viens de décrire, la générosité qui excitera les gens riches à renon¬cer aux 7/8 de leurs dividendes en travail et talent, et les gens moyens à renoncer à 1/2 de leur lot, cet accord, dis-je, sera traité de vision romantique, si on veut en juger d'après les mœurs actuelles. je réplique à ces doutes que je n'ai pas encore fait connaître les ressorts de cette générosité. D'avance j'ai réfuté l'objection de romantis¬me, en disant que l'accord direct, celui de la cupidité (chap. précédent), suffira à la 1re génération d'harmonie et même à la 2e; je n'en dois pas moins décrire l'accord de générosité, ou accord indirect, pour expliquer en plein le mécanisme sociétaire. On ne pourra établir ce 2e accord qu'à l'époque où le genre humain passera aux harmonies d'amour libre et paternité libre, d'où naîtront les séries puissancielles et mesurées : expliquons ces mots.

On connaît en mathématiques deux sortes de séries.

Les arithmétiques 2, 4, 6, 8, 10, 12, 14, 16.
Les géométriques 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256.


La 2e est puissancielle, parce qu'elle est formée de termes qui sont multiples du 1er ; dans l'autre, les termes ne sont qu'addition du 1er. La 2e est donc de nature supérieure, comme seront les séries qui réuniront les accords mineurs d'amour libre et paternité libre, aux accords majeurs d'amitié et d'ambition, auxquels l'âge impubère est limité.

Lorsqu'on pourra réunir les accords majeurs aux mineurs, combiner le jeu des uns et des autres, les faire intervenir cumulativement dans la répartition, ils donneront en tous sens les harmonies indirectes décrites dans ce chapitre, et qui, romantiques selon les mœurs actuelles, seront bienséance obligée et passionnée chez les générations parvenues à la pleine harmonie.

Les séries mesurées, dont je ne traite pas dans cet abrégé, ne s'établiront, comme les puissancielles, que lorsqu'on pourra développer combinément les accords mineurs avec les majeurs.

On pourra élever sur cet accord indirect plusieurs objections, entre autres celle de défaut apparent d'analogie mathématique, en disant qu'ici l'équilibre est en raison inverse des distances, et non pas inverse du carré des distances. J'ai prouvé au Traité que cette anomalie apparente est une régularité selon l'échelle des créatures. (Voyez IV, 514, le chapitre qui répond à cette objection et à d'autres.)

Il reste à parler du lot distinct qu'on affecte au talent; c'est un avantage consi¬dérable pour les vieillards peu fortunés, qui sont toujours expérimentés dans diverses branches et précieux dans la direction des travaux, où les jeunes sectaires ne peuvent pas avoir acquis de connaissances notables. L'industrie du talent qui doit établir la balance entre les bénéfices de capital et de travail, n'est parmi nous qu'un marchepied pour l'injustice, parce que chaque agent supérieur s'attribue les connaissances qu'il emprunte de Son TEINTURIER, d'un subalterne pauvre.

Ce 2e mode de répartition, l'accord par générosité, ou accord indirect, est le ressort le plus efficace pour établir l'intimité des classes riche et pauvre; elle est à tel point, qu'un monarque, en harmonie, sourirait de pitié si on lui proposait une garde. Ceux qui l'entourent sont tous ses gardiens de cœur et sans aucune solde; ils l'escor¬tent dans le cérémonial auquel il préside; il a donc sans frais et par pure affection ce que les monarques civilisés ne peuvent se procurer à aucun prix, la sûreté person¬nelle : nos rois civilisés ne se croient pas en sûreté au milieu de leurs sujets, ils s'entourent d'étrangers stipendiés, et sont encore fréquemment assassinés.

C'est par l'extrême inégalité des fortunes, qu'on arrive à ce bel accord de générosité : il suffirait d'une ombre d'égalité, d'un rapprochement de fortunes, pour empêcher ce genre d'accord : aucun homme de moyenne richesse ne donnerait l'im¬pulsion en abandon de ce qui excède le lot de minimum ; il faut, pour cet acte bienveillant, des sociétaires assez satisfaits du revenu considérable qui leur échoira en dividende alloué aux actions. Ainsi, en dépit des diatribes morales contre les grandes fortunes, la phalange où les inégalités de fortune seront les plus grandes et les mieux graduées, sera celle qui atteindra le mieux à la double harmonie de cupidité et de générosité. Combien la pauvre morale était loin de pénétrer ce secret de la nature sur l'harmonie de répartition, comme sur toutes les autres harmonies dont celle-ci est la base !

À la suite de cette solution sur le problème principal d'harmonie sociétaire, je suis fondé à m'élever contre les détracteurs qui prétendent que ma théorie est bizarre, incompréhensible ; on voit qu'au contraire elle est partout exempte d'arbitraire, et appliquée aux théorèmes géométriques, fort intelligibles pour eux, s'il faut les en croire : on ne doit pas s'étonner que cela paraisse bizarre à des écrivains qui, dans toutes leurs conceptions sociales, n'ont pour règle que leur fantaisie, pour ressort que la contrainte fardée du nom de loi. Lequel est l'interprète présumable de la nature, lequel est digne de confiance et d'essai, ou de leur science qui, procédant par violence légale, n'engendre que pauvreté et fausseté, ou de la mienne qui procède par la liberté et l'attraction, et qui borne à un canton d'une lieue carrée l'essai que ces sophistes veulent toujours étendre à un empire entier, pour n'aboutir souvent qu'à le baigner dans le sang, au lieu du bonheur dont on l'a leurré ? Ici on ne peut craindre aucun leurre, puisque le pis-aller d'un essai des Séries passionnées serait de doubler le produit par un concours de moyens vraiment neufs, tels que les courtes séances, l'exercice parcellaire, les échelles cabalistiques, l'attraction industrielle qui naît de ces 3 ressorts combinément employés, l'extension de la mécanique, l'emploi opportun des sexes, les économies incalculables de ce nouvel ordre, et le perfectionnement qu'il garantit en tous genres de produits.

Tâchez de vous concilier avec vous-mêmes, philosophes ! Vous vantez Newton comme le premier des génies modernes, parce qu'il a commencé le calcul de l'attrac¬tion, en se bornant à une branche; pourquoi déprimer l'homme qui continue ce calcul, et qui l'étend du matériel au passionnel, branche bien autrement utile que celle qu'a traitée Newton?

Vos encyclopédistes vantent la série et prennent pour devise, tantum series juncturaque pollet : ils se déclarent donc partisans des séries et de l'application des séries aux relations sociales; ils invoquent la science que j'apporte, le moyen d'établir SÉRIE ET LIEN dans toutes les branches du mécanisme social.

Vous vantez l'analogie comme règle de justesse, je suis le seul qui observe cette règle; ma théorie est la seule qui soit calquée sur les lois immuables de la nature, sur les harmonies mathématiques; il n'est pas un théorème de géométrie qui ne soit appli¬cable à l'attraction passionnée; pas une branche d'analogie dont ma théorie ne donne la clé.


Mais vous craignez que cette nouvelle science ne nuise au trafic de systèmes philosophiques; rassurez-vous : le but du trafic n'est autre que de gagner; or, pourvu que vous arriviez tous à une fortune subite, que vous importe quels systèmes on vendra ? Du reste, pour juger sainement sur ce qui touche à vos intérêts pécuniaires, attendez l'explication annoncée deux fois, et renvoyée à la postface; elle vous convaincra que votre industrie actuelle est un champ de ronces. Vous vantez l'esprit d'association; puisque vous avez l'art d'écrire et non d'inventer, sachez vous associer à quelqu'un qui ait l'art d'inventer et de vous fournir des sujets, vous ouvrir la mine des sciences vierges, plus nombreuses que les sciences connues.


Chapitre XXXVI

Des accords transcendants,
ou ralliements des seize antipathies naturelles.

En traitant de l'accord indirect de répartition (accord par générosité), j'ai annoncé des moyens très puissants et très inconnus qui y coopéreront; je vais en donner un aperçu fort insuffisant. (Voir de plus amples détails IV, sect. VII.)

Le créateur tient tellement à établir l'harmonie des passions, qu'il nous a ménagé des moyens d'accords surabondants, afin que les concerts sociaux soient poussés au degré d'enthousiasme véhément.

De tous les accords inconnus en civilisation, la branche la plus riche est celle des ralliements, art de concilier les classes les plus antipathiques, telles que

riches et pauvres en relations d'amitié ;
jeunesse et vieillesse en relations d'amour.

On obtient tous ces ralliements dans l'ordre sociétaire, par la seule influence du nombre et des Séries passionnées appliquées à des masses de 1 600 à 1 800 per¬sonnes.

Le régime civilisé produit par exception quelques ralliements; par exemple en amour, on voit les grands s'humaniser avec une réunion de petites bourgeoises. Il s'agit de créer, dans toutes les relations, ce rapprochement de classes extrêmes et divergentes, les amener à une pleine intimité, malgré les antipathies, les disparates de fortune et de rang.

J'ai observé que le moyen est très facile, puisqu'il ne tient qu'à opérer sur des mas¬ses très nombreuses, pourvu qu'elles soient organisées en Séries passionnées. Dans ce cas, les passions les plus inconciliables aujourd'hui s'élèvent au plein accord. J'en vais donner la preuve, tirée de quatre antipathies ralliées : une en amitié, une en ambition, une en amour, une en paternité.

AMITIÉ. C'est un sujet que j'ai traité aux articles de la Domesticité passionnée (328, 298). J'y ai prouvé que le service personnel qui est, dans l'état actuel, une source de haines, peut devenir un germe d'amitié, même entre les personnages et les âges les plus disparates.

AMOUR. Ce groupe, de même que les 3 autres, est sujet à quadruple antipathie ; si je les distingue en


simple directe, composée directe,
simple inverse, composée inverse ;


il suffira de cet appareil méthodique pour épouvanter le lecteur; je vais me borner à décrire une des quatre sortes de ralliement, sans déterminer auquel des genres elle appartient.

Valère est âgé de 20 ans, Urgèle de 80. Si elle aime Valère, elle trouvera chez lui antipathie naturelle en amour. Voyons comment les liens de circonstance vaincront cette répugnance, en y opposant 4 liens affectueux : 2 liens amicaux A, et 2 liens fédéraux F.


A. 1° Valère est sectaire de 40 groupes, dans plusieurs desquels il se trouve en relation très intime avec Urgèle. Dès l'âge de 5 ans, il s'est enrôlé au groupe des hyacinthes bleues, il y excelle, et il doit son talent à Urgèle, présidente du groupe; elle a été son institutrice passionnée, elle lui a enseigné tous les raffinements de l'art.

A. 2° Valère a des prétentions en gravure, il est vanté dans ce genre d'industrie; c'est encore à Urgèle qu'il doit ce trophée. Doyenne de ce groupe, elle a pris plaisir à instruire cet enfant en qui elle a reconnu, dès le bas âge, d'heureuses dispositions.

F. 3° Valère a du goût pour une science fort inconnue en civilisation, l'algèbre d'amour, ou calcul des sympathies accidentelles en amour : c'est l'art d'assortir pas¬sionnément une masse d'hommes et une masse de femmes qui ne se sont jamais vus ; faire en sorte que chacun des 100 hommes discerne d'emblée celle des 100 femmes pour qui il éprouvera amour composé, convenance parfaite des sens et de l'âme, sympathie de circonstance en rapports de caractère et en fantaisies accidentelles. Cette science exige une longue pratique jointe à la théorie. Urgèle qui est la plus experte des sympathistes du pays, instruit Valère; c'est sur elle qu'il fonde son espoir de succès dans ce genre de science, voie de célébrité et de fortune en régime sociétaire.

F. 4° Valère désire d'être admis à une armée industrielle de 9e degré (environ 300 000 âmes dont 100 000 femmes) qui va faire campagne sur le Rhin, y construire, dans le courant de la belle saison, des ponts, des encaissements, et y donner chaque soir des fêtes magnifiques. Pour s'y faire admettre, il faudrait que Valère eût fait 8 campa¬gnes, il n'en compte que 2 ; il est inadmissible à une armée de 9e degré hors les cas d'exception.

Urgèle occupe le poste de Haute Matrone, ou Hyperfée de l'armée du Rhin, exerçant le ministère des sympathies accidentelles Pour les 300 000 hommes et femmes. Elle déclare que Valère lui sera utile dans telle branche de travail; c'est cas d'exception pour lui, il sera admis à cette belle armée quoiqu'il manque de titres; il part, comme attaché aux bureaux de l'Hyper-fée.

Voilà entre Valère et Urgèle quatre liens de ralliement tendant à absorber la répugnance naturelle ; deux liens amicaux A pour les services passés, deux liens fédéraux F pour les services futurs : le résultat sera d'exciter chez Valère, non pas une passion d'amour direct pour Urgèle, mais un penchant de gratitude, affinité indirecte, lien neutre qui tiendra lieu d'amour, et conduira au même but. Urgèle obtiendra Valère par pure affection. Les 80 ans ne seront point un obstacle pour Valère habitué avec Urgèle dès le bas âge; la jeunesse est intrépide en amour, lorsqu'elle a des stimulants suffisants; et Valère le premier déclare à Urgèle qu'il s'estimera heureux, s'il peut se reconnaître de tout ce qu'il lui doit. Il ne deviendra pas pour elle un amant habituel, mais elle aura quelque part à sa courtoisie ; ce sera pour Urgèle une conquête dégagée d'intérêt, de motif sordide, et bien différente de celles que peut faire aujourd'hui une femme de 80 ans, qui n'obtient un jeune homme qu'à force d'argent, et ne peut se procurer aucun AMOUR COMPOSÉ, lien satisfaisant pour l'âme et les sens.


(Nota. Observons que dans ce ralliement je spécule sur une belle vieillesse com¬me celle d'harmonie, où l'on verra des femmes courtisées ainsi que Ninon après 80 ans, et des vieillards aussi verts que le Valaisan SUMMERMATTER qui eut des enfants à la suite d'un mariage contracté à 100 ans.) On voit des philosophes anticiper sur ces harmonies futures; le moraliste Delille Dessales, auteur de la soi-disant philosophie de la nature, s'est marié à 77 ans avec une jouvencelle de 17 ans. La différence d'âge n'était que de 60 ans, voilà nos vrais sages, exempts de passions, oracles de raison, régénérateurs de la perfectibilité perfectibilisante.

On a pu remarquer dans ce lien amoureux d'Urgèle et Valère, quatre moyens de ralliement, qui ont absorbé l'antipathie naturelle et l'ont transformée en sympathie très active. Le ralliement serait déjà suffisant, quand il serait borné à deux absorbants au lieu de quatre; c'en serait assez pour créer le charme composé, chapitre XXXI.

La génération actuelle ne sera pas suffisamment pourvue en ressorts d'harmonie, pour opposer ainsi quatre absorbants à chacune des antipathies naturelles; mais on pourra approcher plus ou moins du but, mettre en jeu deux absorbants ; cela sera déjà très brillant dans un début; c'en sera assez pour faire entrevoir les prodiges de l'har¬monie future, et ébaucher dès cette génération un système de ralliements réguliers, contrebalancés, opérant l'absorption des rivalités et antipathies collectives de chaque classe, par les accords que forment ses individus disséminés dans divers groupes où ils ont leurs antipathiques pour coopérateurs passionnés et directs, comme Valère et Urgèle, ou indirects, comme Géronte.

Il reste à décrire deux ralliements, en ambition et en paternité : je vais les appli¬quer à des antipathies plus fortes encore que celle d'amour entre âges de 20 et 80 ans.

AMBITION. Traitons d'abord de l'ambition et de ses caractères haineux. Il existe en civilisation seize classes, non compris l'esclavage (IV, 388); on voit régner parmi toutes ces classes des haines corporatives; l'ordre civilisé, avec ses verbiages de douce fraternité du commerce et de la morale, n'engendre qu'un labyrinthe de discordes qu'on peut distinguer :


en échelle ascendante de haines,
en échelle descendante de mépris.


Observons cette échelle dans les cinq classes nommées la cour, la noblesse, la bourgeoisie, le peuple et la populace; les cinq castes se haïssent, et chacune des cinq est subdivisée en trois sous-castes, comme haute, moyenne et basse noblesse ; haute, moyenne et basse bourgeoisie, etc. : la haute méprise la moyenne qui, à son tour, méprise la basse ; puis la basse hait la moyenne qui, réciproquement, hait la haute.

Examinons plus en détail ce ricochet de haines en échelle ascendante, et de mépris en échelle descendante. La noblesse de cour méprise la noblesse non présentée ; la noblesse d'épée méprise celle de robe; les seigneurs à clocher méprisent les gentillâ¬tres; Ceux-ci méprisent les parvenus anoblis, qui méprisent les castes bourgeoises. On retrouve dans la bourgeoisie pareille échelle de mépris ; les banquiers et financiers méprisés des nobles, s'en consolent en méprisant les gros marchands et gros proprié¬taires ; ceux-ci tout fiers de leur rang d'éligibles, méprisent le petit marchand et le petit propriétaire qui ne sont qu'électeurs, mais qui, à ce titre, méprisent les savants et autres castes moins pécunieuses. Ensuite la basse bourgeoisie méprise les trois castes de peuple dont elle se pique d'éviter les manières; enfin parmi le peuple et la populace, combien de subdivisions haineuses, telles que les compagnons du devoir et du gavot !

Telle est la douce fraternité du commerce et de la morale; tel est le savoir-faire de nos sciences philanthropiques; ricochet de mépris des supérieurs aux inférieurs, et ricochet de haines des inférieurs aux supérieurs.

Lorsqu'on voit en civilisation quelques lueurs de ralliement entre castes, comme à Naples où la noblesse protège les lazzarones, en Espagne où le clergé riche protège les mendiants, cette alliance de castes extrêmes n'est qu'une source de vices, l'état civilisé ne créant que des ralliements subversifs et malfaisants, soit en amour, où les rapprochements entre les grands et les femmes du peuple ne sont que des germes de désordre, par la naissance d'enfants bâtards, ou par des mariages disparates qui brouillent les familles ; soit en ambition, où la classe opulente ne se rapproche du peuple que pour machiner des intrigues funestes au repos public, des affaires de parti, des lignes d'oppression.

Il s'agit de rallier, pour le bien, toutes ces castes hétérogènes, surtout en débats d'ambition. Posons sur ce sujet un principe fort neuf, c'est que les hommes civilisés, même les plus insatiables de pouvoir, de conquêtes et de richesses, n'ont pas le quart de l'ambition nécessaire en harmonie.

Après la chute de Bonaparte, on cita de lui, comme acte de démence, une médaille qu'il avait fait frapper à Moscou, et qui portait cette exergue : Dieu au ciel et Napoléon sur la terre : il voulait donc laisser à Dieu l'empire du ciel, et s'emparer de celui de la terre ; prétention bien effrayante pour des Français, qui n'osent pas con¬voiter une province française placée à sept marches de leur capitale (Liège est de langage et de circonscription française).

L'intention de monarchie universelle, décelée par cette médaille, est ce qu'il y a eu de plus sensé dans les vues de Bonaparte. Chaque harmonien, femme ou homme, sera élevé dès l'enfance à ambitionner l'empire du monde; on regardera comme pauvre sujet, eunuque politique, celui ou celle qui inclinera à se contenter d'une souveraineté subalterne, comme le trône de France.

La thèse peut sembler bizarre au premier coup d'œil ; son examen va nous servir à expliquer l'un des beaux ralliements d'ambition que j'ai annoncé en disant (352) : Rien n'est plus aisé que de concilier César et Pompée. On y réussira par la variété et la multiplicité des sceptres qui ouvriront à chacun une carrière adaptée à son génie. César et Pompée régneront tous deux peut-être au même lieu, mais dans des emplois différents, et en degrés différents (278). Voyez sur les emplois ou titres monarcaux la note .

Ces sceptres, en tous titres et en tous degrés, seront une chance ouverte à tout homme ou femme, sans en excepter le titre héréditaire, comme celui des monarques civilisés, et le titre adoptif, dont nos souverains n'ont pas la faculté d'user, privation qui les rend souvent très malheureux; c'est le tourment de leur vieillesse.

Le souverain et la souveraine en titre héréditaire devant choisir un géniteur ou une génitrice dans chaque division territoriale de leur domaine, à tour de rôle, chaque harmonien peut espérer que ce choix tombera sur lui; ou s'il est âgé, sur l'un de ses fils ou petits-fils. D'autre part, tout monarque héréditaire ayant la faculté d'élire un successeur partiel, à son choix, pour succéder à certaines branches de la souveraineté, chaque harmonien peut encore prétendre à cette dignité adoptive, moyennant laquelle ni le prince ni les citoyens ne sont lésés comme en civilisation, où les citoyens ne peuvent pas prétendre au trône par alliance, tandis que le monarque ne peut pas transmettre à qui lui plaît, son sceptre ou partie de ses fonctions monarcales.

Mais où puiser les trésors nécessaires à payer tant de têtes couronnées ? J'ai dit à ce sujet (278) qu'on ne paie pas les degrés 1, 2, 3, 4, 5, de chaque titre, sauf les frais de localité; le traitement ne s'étend qu'aux degrés 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, et >< pivotal, qui sont peu coûteux par leur petit nombre ; car le no 6, régissant environ 500 phalanges, est 500 fois moins nombreux que le n° 1. L'économie va croissant sur le no 7, qui régit environ 1700 phalanges, le no 8 environ 7 000, le no 9 environ 20 000, le 10, 83 000 ; le 11, 250 000. On n'aura, au début, point de monarque en 12e degré, qui régirait environ 1 million de phalanges ; il n'en existera que 500 000. On établira donc un couple seulement en degré Il. 3 couples en degré 10, Puis 12 couples en degré 9, et ainsi de suite en chacun des 16 titres. Cette échelle s'élèvera aux degrés 12 et ><, lorsque la population du globe sera portée avec le temps au complet de 5 milliards. Le traitement monarcal se compose d'une somme prélevée sur toutes les pha¬langes à l'époque de l'inventaire, avant répartition, et sans déboursé de la part du peuple qui tient fortement à cet impôt; il y trouve une chance de loterie perpétuelle et coups de fortune, presque sans avoir mis au jeu, car cet impôt frappe sur les capitaux dont le peuple ne possède qu'une faible part, et sur le lot de talent, qui est l'apanage de la vieillesse, plus riche que la jeunesse. Grâce à la perspective de ces souverainetés, presque toutes éligibles, un jeune homme, une jeune fille peuvent se flatter de devenir monarques du globe, élus de 1er degré (omniarques) ; un père augure aisément que ses enfants obtiendront cette dignité en quelque titre et en quelque degré, sinon en omniarcat, au moins en 2e degré, qui règne sur un tiers du globe, ou en 3e degré, qui règne sur un douzième. D'ailleurs il est tant de sortes et degrés de sceptres à obtenir, qu'on peut raisonna¬blement nourrir des espérances. Telle jeune fille peut avoir des sceptres à titre de roitelette, dès l'âge de douze ans, ensuite des sceptres de vestale, à 16, 17, 18 ans; puis des sceptres de fakiresse, à 20 ou 25 ans ; ensuite des sceptres d'armée, de haute paladine, d'hyper-fée; puis des sceptres en titres de sciences et d'arts. Il en est même une espèce, le titre de CARACTÈRE, qui est donné par la nature (voyez chap. XXXVII), et qui échoira nécessairement à ceux qu'elle aura doués du degré spécial de caractère. Chacun peut donc, sans trop d'illusion, se persuader que lui ou ses enfants atteindront à quelqu'une des couronnes supérieures. Tel qui n'a pas le talent de devenir le plus grand poète ou le plus grand peintre, peut espérer que son fils y par¬viendra, et obtiendra les trônes attachés à ce rôle, sceptres qui ne sont qu'annuels ou biennaux, afin qu'on puisse en gratifier successivement tous ceux qui en sont dignes. Dans un tel ordre, chacun pouvant à tout instant compter sur d'agréables surprises, comme de voir son enfant, son ami, promu à un trône de haute importance, il conviendra de désirer beaucoup, d'ambitionner les sceptres du monde et non pas un trône de moyen ordre comme celui de France. Nous raillerions celui qui ambition¬nerait de devenir un poète médiocre, un peintre médiocre ; l'artiste doit et devra aspirer au 1er rôle et par conséquent au trône du monde, lorsque diverses couronnes en tous degrés seront le prix des arts et des sciences. Il suit de là que ceux qui ont ambitionné l'empire du monde, comme Alexandre, César, Bonaparte, ont été les plus rapprochés de la nature. Ce ne sont pas nos passions qu'il faut critiquer, mais la civili¬sation qui ne leur ouvre aucune carrière, surtout en ambition ; un homme aujourd'hui ne peut pas s'élever au-dessus du rang de ministre amovible; encore en voit-on cent y échouer, pour un qui y réussit. Quelle pauvreté en chances laissées aux ambitieux! Une autre branche mal à propos critiquée dans l'ambition populaire, est celle des coups de fortune par loterie ou incidents romanesques. Le peuple est destiné à ce genre de jouissance ; chaque jour un plébéien pauvre pourra, soit pour lui, soit pour ses enfants ou amis, obtenir quelque rang éminent, quelque bonne fortune inespérée ; c'est une loterie où on ne peut que gagner sans y perdre, et où il survient périodi¬quement pour chacun des aubaines de bonheur; par exemple : une petite fille de 11 à 12 ans est nommée maréchale des Petites Hordes en tel empire, comprenant 3 à 4 califats comme la France; nomination d'autant plus honorable qu'elle provient du suffrage d'environ 20 millions d'enfants dont nulle intrigue ne peut capter la majorité. C'est pour elle un acheminement à la place de haute roitelette du globe, qu'elle pourra obtenir l'année suivante par quelque action d'éclat. Le traitement, quoique modique, sera déjà une haute fortune pour l'enfant ; si elle obtient à 12 ans un honoraire de 3 francs par 20 000 phalanges dont elle est maréchale pour un an, c'est 60 000 francs ; si à 13 ans elle est nommée haute roitelette au traitement de 1/2 franc, c'est 250 000 francs fournis par les 500 000 phalanges du globe, haute fortune pour une enfant pauvre. Le peuple aime à se repaître de ces espérances, de ces loteries de dignités pour lui et les siens. Tous ces coups de fortune étant en harmonie le prix du vrai mérite, stimuleront les pères et mères à exciter chez leurs enfants l'amour des sciences, des arts, de l'industrie honorable, et des hauts faits en tout genre. La classe inférieure se réjouira de voir une petite somme d'impôts 1/50 du bénéfice, appliqué au traitement de ces nombreuses fonctions en souverainetés, ministères, généralats masculins, féminins et enfantins; dignités dont les enfants, comme les pères, goûtent le charme à tout âge ; une petite fille enfant est promue aux dignités dès l'âge de 12 ans, elle et son père en concluent qu'elle pourra, douze ans plus tard, devenir favorite du globe . Les choix, en favoritisme, ne se fondant que sur la préférence aveugle, il faut savoir charmer une région, un empire, un césarat, le monde entier représenté dans les grandes armées et congrès d'une cinquantaine d'empires. La jeune femme qui sait mettre 50 armées à ses pieds est élue favorite du globe. Tous les moyens innocents, talent, beauté, amabilité, lui sont permis; elle peut même, selon la décision de SANCHEZ, mettre en jeu le fichu transparent que ce casuiste tolère, quand il s'agit de solliciter les juges et gagner un procès; il le permettra d'autant mieux lorsqu'il s'agira de captiver des armées et s'élever au trône du monde. Quelle carrière pour les femmes aimables dont l'empire est si borné en civilisa¬tion, et de même pour les hommes distingués par l'esprit ou les talents! Quel moyen puissant de rallier le peuple aux grands et aux grandeurs, dont il est aujourd'hui l'ennemi, parce qu'il ne peut pas y participer ! Cette perspective de sceptres et de dignités (IV, 436, note H) absorbera toutes les haines du peuple contre les castes supérieures; elle opérera un des plus beaux ralliements en titre d'ambition. je vais en citer un 4e, le plus difficile de tous. 4° En PATERNITÉ, en affections paternelle et filiale. C'est un sujet qu'il n'est pas possible d'abréger exactement; je ne puis que l'indiquer, en renvoyant au traité (II, 444 à 451), encore bien succinct sur ce problème. Décrivons des faits avant de poser des principes. Il faut spéculer sur des hommes de 140 à 150 ans : l'harmonie en donnera 1 sur 12. On en voit dès à présent : derniè¬rement la Revue Britannique a cité une cinquantaine d'individus de 140 à 180, tous d'époque assez récente. Ithuriel, décédé à 150 ans, a vu sa 7e génération ; en tout 120 descendants à mentionner au testament. N'ayant en 1er degré qu'un fils et qu'une fille déjà enrichis, il donne de fortes parts aux 6e et 7e descendants. S'il léguait tout à sa Ire génération, il exciterait les 6 inférieures à désirer la mort de la 1re. Il donne à sa lignée des 7 degrés, une échelle d'environ 120 legs, comprenant moitié de sa fortune; les deux autres quarts sont répartis entre une centaine d'adoptifs industriels qu'il a titrés dans le cours de sa vie, et une centaine d'amis et collatéraux, y compris ses épouses qui sont riches et n'ont pas besoin de fortes hoiries. L'héritage, ainsi distribué, se répartira indirectement sur la phalange entière; car il échoit à plus de 300 personnes, dont chacune peut avoir dans la phalange, soit en consanguins, soit en adoptifs, 5 à 6 héritiers autres que les 300 d'Ithuriel. Au moyen de ce ricochet, la succession se distribuera avec le temps entre les 1 800 sociétaires. Et lors même qu'un huitième d'entre eux serait excepté de cette participation, l'hoirie serait encore distribuée unitairement, puisqu'elle s'étendrait, par voie indirecte, aux 7/8 qui, en mouvement, sont comptés pour le tout. D'ailleurs ce 1/8 exclu participera aux héritages de quelques autres gens riches. Si donc la phalange contient 40 riches, tout pauvre les considère en masse, comme ses donateurs ; car il peut espérer de 35 d'entre eux une portion d'hoirie, soit directement, soit indirectement : et il devient partisan des gens riches, quand il peut se croire participant à l'hoirie de 35 riches sur 40. C'est le point où il faut atteindre pour établir l'équilibre dans l'affection familiale, en faire une voie de ralliement entre inégaux. Il n'y a équilibre dans une passion qu'autant qu'elle est développée de manière à contenter la masse de population, collectivement et individuellement. Mais pour amener les relations de famille à ce point, il faudra combiner, avec le régime des séries, une longévité qui ne naîtra que par degré en 7 à 8 générations. Jusque-là on se bornera à des approximations de mécanisme. La morale nous engage à nous considérer comme une grande famille de frères : c'est un verbiage vide de sens. Lazare, jeune homme très pauvre, peut-il considérer comme frère le riche patriarche Ithuriel, s'il n'obtient de la grande fortune de ce patriarche aucune parcelle, ni en héritage, ni en autres prestations. Lazare peut, en harmonie, espérer ces avantages ; il est peut-être l'un des descendants directs, ou des adoptifs continuateurs d'Ithuriel, ou l'un des collatéraux, ou l'un des héritiers indirects. En attendant, Lazare se rencontre avec Ithuriel dans divers groupes, où ils sont collègues ; et dans les repas que ce vieux magnat donne à ses groupes, à titre de doyen, vétéran d'une industrie où il a brillé et dont il aime à s'entretenir. Lazare qui aujourd'hui n'obtiendrait pas les miettes de la table de ce riche, devien¬dra, en harmonie, participant à sa fortune; il aura pour lui des sentiments de frère, et de même pour d'autres magnats de la phalange sur qui il fondera pareille espérance. Quant à présent, Lazare peut-il ressentir quelque affection fraternelle pour des égoïstes de qui il n'a rien à attendre, ni au présent ni à l'avenir ? Les philosophes nous disent que tout doit être lié dans un bon système ; eh ! quel lien peuvent-ils voir entre les riches et les pauvres, dans leur civilisation toute pétrie de haines et d'égoïsme ? Un des effets à obtenir en ralliement de paternité est la franche affection de l'héritier, le désir sincère de prolonger la carrière du donateur. Il n'est guère en civilisation de côté plus dégoûtant que les sentiments secrets des légataires pour leurs bienfaiteurs. L'état actuel met aux prises l'affection et l'intérêt ; il est clair que les 9/10 des héritiers n'écouteront que la voix de l'intérêt, et souhaiteront un prompt départ à celui dont ils attendent l'hoirie. D'autre part la civilisation habitue chaque père à oublier tout sentiment de philanthropie et de charité, pour enrichir sa lignée directe, ne voir le monde social que dans cette réunion d'enfants, et souvent dans un aîné à qui l'on immole les cadets et les filles. En tout pays, où les pères ne sont point réprimés par la loi, ils exposent et vendent leurs enfants; ils les jouent aux dés; ils les mutilent par la castration pour en faire commerce. Le ralliement familial doit remédier à cette double dépravation des pères et des enfants ; le problème est : d'établir entre les testateurs et les légataires, soit consan¬guins, soit adoptifs, une affection assez vive pour que l'héritier désire prolonger la vie du testateur, qu'il est aujourd'hui si impatient de conduire au monument. Sur ce problème, la solution est la même que celle du ralliement précédent : une loterie de bonnes aubaines, d'héritages périodiques; le plaisir d'hériter, si rare en civilisation, devient en harmonie aussi fréquent que le retour des 4 saisons. En effet, quelle que soit la longévité des harmoniens, il en meurt quelques-uns chaque année, ne fût-ce qu'un centième, 18 sur 1 800; il s'en trouvera 3 de haute fortune, 4 de moyenne, 5 de basse, 6 pauvres. Si l'hoirie se répartit, comme je l'ai dit, à 1/8 directement et à 6/8 indirectement, chacun aura, dans le cours de l'année, au moins 1 à 2 hoiries directes et 4 indirectes. Il faut cette périodicité d'héritages dans un ordre de choses qui doit élever à l'infini tous les plaisirs. La soif d'héritages est entièrement calmée par cette dissémination que je viens de décrire ; elle habitue le jeune homme à des aubaines périodiques en lots de lignée ou d'adoption. La fréquence de ces récoltes le rend d'autant moins avide, qu'il a très peu de besoins en harmonie, où il trouve sans dépense les plaisirs de son âge, la plupart lucratifs pour lui : il s'habitue à considérer les héritages comme fruits successifs dont on attend patiemment les époques, On n'est guère désireux de raisins quand on 'Duit de la cerise et de la fraise; mais si on n'avait dans tout le cours de l'année qu'un seul fruit, d'une semaine de durée, on aurait cinquante semaines de vive impatience. Telle est la situation des héritiers civilisés; elle est pire encore pour le grand nombre qui n'a aucune hoirie à espérer La jeunesse en harmonie n'a rien du caractère ignoble et vorace des légataires civilisés, réduits à souhaiter la mort du détenteur. Un harmonien, recueillant chaque année quelque legs ou branche d'héritage, patiente sans peine sur les successions différées ; il les envisage comme une réserve assurée, comme les bois dont on diffère la coupe afin d'en augmenter la valeur. Tel un héritier harmonien souhaite, pour son intérêt même, la longévité du testateur qui grossit le trésor ; et lorsque l'hoirie lui échoit, il peut dire avec vérité : j'aurais désiré qu'elle fût différée, j'aurais un ami de plus, et autant en richesse; car il conservait et grossissait ma portion dont je n'ai aucun besoin. Nota. L'affluence de dignités et fonctions publiques produit en harmonie même générosité chez tous les prétendants, aujourd'hui si impatients de la mort des titulaires. Quand on possède une vingtaine de dignités, on n'est pas avide d'en obtenir une 21e au prix de la mort d'un ami ou d'un supérieur estimé. Résumons sur le ralliement familial, objet des vœux de tous les pères; le thème est, Que l'état sociétaire, en donnant à chaque passion le plus vaste développement, l'essor en tous degrés (III, 356), est assuré d'en voir naître des gages de concorde générale, et des ralliements entre les classes les plus antipathiques, riches et pauvres, testateurs et héritiers, etc. Mais pour appliquer ce principe au lien de famille, que de conditions à remplir ! et dont la plupart exigeront plus d'un siècle : telles sont la longévité, qui ne sera bien recouvrée qu'à la 8e race harmonienne, et la lignée en majorité, effet à définir. Sur 1 800 individus de la phalange, le patriarche Ithuriel est parent de la majorité : ses descendants vivants, en ligne directe, s'élèvent à 120; ses adoptifs au même nombre, total 240, formant au-delà du 8e du canton; en y ajoutant les collatéraux de cette lignée directe, qui doivent être en nombre quadruple, on a 1 200, les 2/3 de la phalange en parents d'Ithuriel. Sa lignée forme la MAJORITÉ ; de sorte que par esprit de famille il est forcé à désirer le bien public, le bien de toute la phalange, dont le tiers, non parent avec lui, se compose d'anciens amis et amies, et de leurs enfants. Ici l'intérêt familial se trouve d'accord avec l'intérêt public, dont il est sans cesse isolé en régime civilisé. On a vu que ce 4e ralliement, cette fusion de la famille et de l'état, tient à absorber l'esprit de famille, le disséminer, le noyer dans la masse énorme de ses rameaux; ce qui confirme le principe, que tout ralliement d'antipathies s'établit en donnant à la passion de souche les plus vastes développements dont elle est susceptible. Cette théorie, je l'avoue, devient très aride en application au groupe de famille ; elle serait excessivement gaie si on l'appliquait au groupe d'amour dont les dévelop¬pements, lorsqu'ils s'étendent à un grand nombre, au moins un millier d'acteurs, fournissent les combinaisons les plus gracieuses, les plus piquantes qui existent en jeux de passions. Malheureusement cette charmante branche de théorie ne peut pas être exposée à des lecteurs civilisés ; notre politique sociale est trop pygmée, trop bouffie de préjugés pour pouvoir s'initier à ce nouveau grimoire ; j'ai dû, par défé¬rence pour ses opinions, établir un ralliement d'amour sur la plus petite combinaison possible bornée à deux personnes, quoique les trois ralliements d'amitié, d'ambition et de paternité s'étendent aux plus nombreuses combinaisons qui sont en amour la voie des hautes harmonies. Mais quoique le ralliement de paternité soit une théorie ardue, il convient de la faire entrevoir, pour garantir au lecteur qu'aucune partie des calculs n'a été négligée ; j'ai dû insister sur cet accord, plus exactement encore que sur les autres accords, parce que le groupe de famille est pivot du mécanisme civilisé où il joue, parmi les 12 passions, le même rôle que JUDAS parmi les 12 apôtres ; c'est de ce groupe que naît le vice radical, morcellement et fausseté; c'est donc sur ce groupe qu'il faut porter la cognée, par un régime d'association propre à absorber complètement les influences de la famille dans les intérêts de la masse. En terminant cet aperçu des ralliements dont je n'ai fait qu'effleurer la théorie, observons que ce genre d'accords est de tous les phénomènes passionnels le plus propre à dissiper les préjugés d'impénétrabilité et de voiles d'airain, car il prouve que pour enlever le voile, il suffisait d'oser sortir de l'ornière philosophique, de ne pas spéculer sur la plus petite réunion domestique, mais sur la plus grande possible, et y appliquer la distribution recommandée par les philosophes mêmes, tantum series juncturaque pollet. LA SÉRIE ET LE LIEN; la série qui est méthode adoptée par Dieu dans toute la distribution des règnes, et d'où naissent les liens les plus sublimes, les ralliements d'antipathies, les ressorts d'enthousiasme industriel et de perfection émulative, lorsqu'elle est appliquée à des masses de 1 800 sociétaires. Complément L'équilibre de population. Parmi les inconséquences et les étourderies de la politique moderne, il n'en est pas de plus choquante que l'oubli de statuer sur l'équilibre de population, sur la proportion du nombre de consommateurs, avec les forces productives. En vain découvrirait-on des moyens d'atteindre au quadruple et même au centuple produit, si le genre humain était condamné à pulluler comme aujourd'hui, amonceler toujours une masse de peu¬ple triple et quadruple du nombre auquel on doit se fixer, pour maintenir l'aisance graduée parmi les diverses classes. De tout temps l'équilibre de population a été l'écueil ou l'un des écueils de la politique civilisée. Déjà les anciens, qui avaient alentour d'eux tant de régions incultes à coloniser, ne voyaient d'autre remède à l'exubérance de population que de tolérer l'exposition, le meurtre des enfants, égorger le superflu d'esclaves, comme le faisaient les vertueux Spartiates, ou les faire périr dans les naumachies pour l'amusement des citoyens de Rome, fiers du beau nom d'hommes libres, mais fort éloignés du rôle d'hommes justes. Plus récemment on a vu les politiques modernes avouer leur déconvenue sur le problème de l'équilibre de population. J'ai cité (74) Stewart, Wallace et Malthus, seuls écrivains dignes d'attention sur ce sujet, parce qu'ils confessent l'impéritie de la scien¬ce. Leurs sages opinions sur le cercle vicieux de la population sont étouffées par les jongleurs économistes, qui écartent ce problème comme tant d'autres. Stewart plus loyal l'a fort bien traité dans son hypothèse d'une île qui, bien cultivée, pourrait nourrir dans l'aisance mille habitants inégaux en fortune ; mais, dit-il, si cette popu¬lation s'élève à 3 000 et 4 000, à 10 000 et 20 000, comment la nourrir ? On répond qu'il faudra coloniser, envoyer des essaims ; c'est escobarder sur la question ; car si le globe entier était peuplé, porté au complet, où pourrait-on envoyer des essaims coloniaux ? Les sophistes répondent que le globe n'est pas peuplé et ne le sera pas de si tôt ; c'est un des subterfuges de la secte Owen, qui promettant le bonheur, élude le pro¬blème d'équilibre de population, et dit qu'il faudrait au moins 300 ans avant d'atteindre au PLEIN. Elle se trompe, il ne faudrait que 150 ans. Quoi qu'il en soit, c'est lâcher pied sur un problème que d'en renvoyer la solution à 300 ans, et sans garantir qu'elle serait donnée à cette époque ; d'ailleurs, fallût-il 300 ans pour porter le globe au complet, ce serait toujours une théorie très défectueuse que celle d'un bonheur ou prétendu bonheur qui, au bout de 300 ans, s'évanouirait par une faute de la politique sociale, par l'exubérance de population. Or, comme il est certain que ce fléau ne tarderait pas 300 ans, et qu'il surviendrait au bout de 15o ans, dans le cas de paix universelle et abondance générale que donnera l'état sociétaire, il faut que la théorie de ce nouvel ordre fournisse des moyens très efficaces de prévenir l'excès de population, réduire le nombre des habitants du globe à la juste proportion des moyens et des besoins, à la quantité de cinq milliards environ, sans risque de voir la population s'élever à 6, 7, 8, 10, 12 Milliards, exubérance qui serait inévitable dans le cas où le globe entier organiserait le régime civilisé. En tablant sur cinq milliards d'habitants riches et heureux, je suppose une restau¬ration de température qui dégagerait le pôle arctique de ses glaces ; à défaut, le globe ne pourrait pas nourrir dans l'opulence plus de trois milliards d'habitants. Quels seront les moyens de dégager et féconder ce pôle ? je me réserve de les faire connaître quand on le voudra sérieusement (J'y ai préludé II, 84, note A). Sans nous engager dans ces détails, tenons-nous au fond de la question, au problème de maintenir dans la haute aisance, dans l'état de richesse progressive et de minimum garanti, une masse d'habi¬tants, en la préservant de l'excès de population qui est l'un des écueils du système civilisé. Ce moyen reposant en partie sur les coutumes de libre amour qui ne commen¬ceront à s'établir que dans une soixantaine d'années, après l'extinction totale de la race civilisée, il n'y a pas d'inconvénient à en donner connaissance, d'autant mieux qu'on n'en sentira le besoin qu'au bout de cent ans, lorsque le globe approchera du complet. Provisoirement il faut prouver que la théorie sociétaire n'est en défaut, ni sur ce point, ni sur aucun autre; et qu'elle ne doit pas être confondue avec celles qui esquivent de prime abord les problèmes les plus importants, population équilibrée, minimum décent, etc. La nature, dans l'état sociétaire, oppose quatre digues à l'excès de population; ce sont : 1° La vigueur des femmes, 3° Les mœurs phanérogames, 2° Le régime gastrosophique, 4° L'exercice intégral. 1° La vigueur : nous en voyons déjà les influences parmi les femmes de la ville ; sur 4 stériles, il en est 3 robustes, tandis que les femmes délicates sont d'une fécondité outrée et fâcheuse. Les stériles sont d'ordinaire celles qu'on aurait crues les plus aptes à procréer. On va répliquer qu'à la campagne les femmes robustes ne sont point stériles : je le sais, c'est une preuve de plus pour la méthode naturelle, qui doit opérer par enchaînement des 4 moyens combinément appliqués, et non pas par emploi isolé d'aucun des quatre. 2° Le régime gastrosophique : d'où vient cette différence de fécondité en faveur des paysannes robustes ? C'est l'effet de la vie sobre, de la nourriture grossière bornée aux végétaux. Les citadines ont des aliments délicats, c'est un moyen de stérilité qui deviendra bien plus puissant dans l'harmonie où chacun est gastronome raffiné. Dès lors, en combinant l'extrême vigueur des dames harmoniennes avec la chère délicate dont elles jouiront l'on aura déjà deux moyens d'acheminement à la stérilité. Je passe brièvement sur les objections dont l'examen remplirait un article plus long que celui-ci; on doit se rappeler que c'est ici un abrégé. 3° Les mœurs phanérogames : Le libre amour, la Pluralité d'amants, est évidem¬ment un obstacle à la fécondité : on en voit la preuve chez les courtisanes qui sont bien rarement fécondes, il en est à peine un dixième qui procrée, tandis qu'une fille ou femme fidèle est trop facile à la conception. Or les harmoniens auront (au bout d'un siècle seulement), beaucoup de femmes adonnées à la pluralité d'hommes, par vertu corporative et utile à la société : les Bacchantes, Bayadères, Faquiresses, et autres corporations chargées du service des armées et des caravansérails, seront nécessai¬rement phanérogames, ce sera de leur part un acte de dévouement dont l'État recueil¬lera de grands avantages. Ce genre de mœurs par son extension aux deux tiers des femmes, sera un 3e et très puissant moyen de stérilité. 4° L'exercice intégral distribué sur toutes les facultés corporelles, au moyen de séances courtes et alternats de fonctions. L'on n'a jamais observé les effets que produit sur la puberté et la fécondité une différence d'exercice corporel; les contrastes sur ce point sont frappants : nous voyons les villageois atteindre à la puberté bien plus tard que les citadins ou les enfants de riches campagnards; la fécondité est de même subordonnée à ces influences de gymnastique. Si l'exercice corporel est intégral, étendu à toutes les parties du corps alternativement et proportionnément, les parties génitales sont développées plus tard; on en voit la preuve chez les enfants des princes qui sont mariés à 14 ans, tandis que les jeunes villageois ne sont souvent pas nubiles à 16 ans. Ce retard provient de la différence en exercices corporels et spirituels, qui s'opèrent à contresens chez les deux classes (on ne peut pas attribuer au genre d'aliments cette précoce nubilité des princes, car ils sont très sobrement servis). Les enfants de haut parage étant tout aux exercices de l'esprit et peu à ceux du corps, il en résulte que leurs facultés matérielles et vitales, très engorgées, font éruption de bonne heure sur les parties sexuelles, et font éclore la puberté bien avant le temps. On verra en harmonie l'effet contraire ; les harmoniens atteindront la puber¬té plus tard que les paysans civilisés, parce que l'exercice continu et alternatif de tous leurs membres absorbera longtemps les sucs vitaux, et retardera l'instant où, par surabondance et défaut d'absorption, ils font survenir la puberté avant le terme voulu par la nature. Des enfants élevés en harmonie ne seront pas pubères avant 16 ans pour les hommes, et 15 ans pour les femmes; et le délai, au bout de trois siècles, sera porté à 18 et 17 ans, même en zone torride. L'influence de la gymnastique intégrale sera la même sur la fécondité qu'elle entravera fortement; à tel point qu'une femme harmonienne, pour se disposer à la fécondité, devra se préparer par un régime calme et diététique observé pendant 3 mois, afin que les sucs, moins absorbés par l'exercice intégral, par le mouvement industriel de toutes les parties du corps, se portent sur la partie sexuelle. Cette partie les attire fortement aujourd'hui, chez la classe des citadins riches, où elle n'est pas contrebalancée par intervention de toutes les autres parties du corps, alternativement employées au travail actif. Lorsqu'on saura employer combinément les quatre moyens exposés ci-dessus, les chances de fécondité et stérilité tourneront à contresens du mode actuel, c'est-à-dire qu'au lieu d'excès en population, l'on n'aura à redouter que le déficit ; et on prendra des mesures pour exciter cette fécondité, que tout homme prudent redoute aujour¬d'hui. L'homme sensé veut n'avoir qu'un petit nombre d'enfants, afin de leur assurer la fortune sans laquelle il n'est point de bonheur ; l'homme sans raison et tout charnel procrée des enfants par douzaine, comme FETH-ALI, schah de Perse, en s'excusant sur ce que c'est Dieu qui les envoie, et qu'il n'y a jamais trop d'honnêtes gens. Dieu veut au contraire en limiter le nombre en proportion des moyens de subsistance ; et l'homme social se ravale au niveau des insectes, quand il crée des fourmilières d'enfants, qui seront réduits à se dévorer entre eux par excès de nombre ; ils ne se mangeront pas corporellement comme les insectes, les poissons, les bêtes féroces ; mais ils se dévoreront politiquement par les rapines, les guerres et les perfidies de civilisation perfectible. À quoi bon cet excès de population, quand il est avéré que l'ordre civilisé, quelque populeux qu'il soit, ne parvient jamais à cultiver son territoire ? En France plus d'un tiers des terres est en friche ; en Chine on trouve de vastes déserts à 4 lieues de Pékin; et je gagerais qu'on en trouve beaucoup en Irlande, pays le plus populacier de l'Europe. (je ne dis pas populeux ; la Flandre est populeuse, l'Irlande est populacière.) Lorsque des hommes bien pensants, comme le Suédois Herrenschwand, se sont élevés contre le double fléau de l'exubérance numérique et de l'indigence ; lorsqu'ils ont prétendu qu'on avait manque en politique toutes les voies d'amélioration, l'on a étouffé leurs voix, on les a accusés de démence ; leurs philippiques avaient un côté faible, c'était de dénoncer le mal avant d'en avoir découvert le remède. Les obscu¬rants, nommés philosophes, ont répondu qu'il fallait s'étourdir sur des maux inséparables de la civilisation perfectible; aussi l'indigence n'a-t-elle cessé de s'accroître, même en Angleterre, malgré l'excès d'industrie et la taxe annuelle de deux cents millions pour les pauvres. Confuse de ces résultats, la philosophie se retranche dans l'odieux principe qu'il faut beaucoup de pauvres, pour qu'il y ait quelques riches. On a vu par l'exposé du mécanisme d'harmonie quel cas mérite cette opinion, ainsi que tous nos aphorismes politiques dont on rougira bientôt, notamment de ceux qui excitent à amonceler des fourmilières de populace, avant d'avoir pourvu à leur assurer un minimum décent. J'ai dissipé, dans cette 9e notice, les préjugés qui traitent de vision l'idée d'équi¬libre en passions ; j'ai prouvé que cet équilibre doit se fonder sur les vastes dévelop¬pements et non sur l'engorgement ; que les penchants réputés les plus vicieux, tels que les goûts de domination universelle, bénéfice de loterie ou fortune subite, convoitise d'hoiries, et tant d'autres penchants qui ne poussent aujourd'hui qu'à tous les vices, deviennent des sources de vertus dans l'état sociétaire. C'en est assez pour confondre ces esprits forts qui prétendent que le mouvement et les passions sont l'effet du hasard, et que Dieu avait besoin des lumières de Platon et Sénèque pour apprendre à créer les mondes, et diriger les passions à l'harmonie. Section V : De l’équilibre général des passions Dixième notice Étude en mécanique de passions chapitre XXXVII Échelle des caractères et tempéraments. Pour répondre succinctement aux objections qu'on ne manquera pas d'élever, il convient de faire entrevoir dans cette dernière notice combien la théorie a été restreinte et mutilée par les limites d'un abrégé. Le calcul des passions est une science très vaste; ceux qui la veulent en abrégé doivent s'attendre à des développements insuffisants sur divers points; ils ne seront pas pour cela fondés à accuser la science d'obscurité. Je m'engage à donner dans d'autres volumes tous les éclaircissements qu'on pourra désirer, mais non pas sur des futilités, comme de savoir si tel point de théorie coïncide avec Épicure ou Zénon, avec Mirabeau ou Platon : la philosophie ayant divagué sur des milliers de sujets, peut bien avoir confusément rêvé quelques effets du régime d'attraction ; mais rien sur l'ensemble, sur le triomphe des vertus réelles alliées au libre exercice des 12 passions, par un ressort bien inconnu des philosophes, les séries industrielles. Ici une lacune sensible est la classification des caractères : cette connaissance est très nécessaire pour faciliter le jeu des séries passionnées. je vais donner un aperçu de l'échelle ou clavier général des caractères : elle est composée en ordre domestique de 810 titres pleins et 405 mixtes (selon le tableau 154). J'indique le nombre et le genre de leurs passions dominantes : chacun a les 12 passions, mais c'est par la dominance de telles passions qu'on distingue un caractère. Les 810 caractères d'harmonie domestique UT Solitones 576, 1 Dominante quelconque, d, b, mixtes 80, 1 animique, 1 sensuelle. RE Bitones 96, 2 animiques, d, b, bimixtes 16, 1 animique, 2 sensuelles.z MI Tritones 24, 3 animiques. FA Tétratones 8, 4 animiques. d, b, trimixtes 8, 2 animiques, 3 sensuelles. SOL Pentatones 2, 5 animiques. Les lettres d, b, signifient dièze et bémol, touches intermédiaires en gamine musicale et passionnelle. Il faudrait ajouter à cette table celle des 405 caractères ambigus; définissons seulement les pleins. On voit en première ligne 576 solitones, gens qui n'ont qu'une seule passion dominante; ils ne sont pas en égal nombre sur les 12 passions, comme seraient 48 pour chacune; la distribution est progressive. On trouvera beaucoup plus de solitones à dominante d'ambition, ou d'amour, ou de gourmandise, qu'à dominante d'ouïsme, passion des plaisirs de l'ouïe; cependant on trouve des ouïstes ou mélo¬manes qui ne vivent que pour la musique, ne font élever leurs enfants qu'à la musique, et ne prendraient pas pour gendre un homme qui ne serait pas musicien. Bref, les solitones ont une passion dominante à laquelle ils rapportent tout : ils varient peu dans leurs goûts et ont de l'aptitude aux ouvrages de longue durée ; ils sont dans l'échelle des caractères ce que sont les simples soldats dans un régiment. Au contraire, les 2 pentatones, homme et femme, sont l'équivalent des colonels ; ils doivent, à eux deux, intervenir activement dans toutes les séries de la phalange : s'il y en a 400, il faut que chacun des pentatones en fréquente environ 200. Il faut donc pour pentatones des esprits actifs, subtils et très étendus, comme Voltaire, Leibniz, Fox, etc. César est d'un degré plus élevé encore, c'est un heptatone à 7 dominantes, Bonaparte et Frédéric sont deux hexatones à 6 dominantes. Une phalange n'a pas un besoin spécial d'hexatones, 6e ; heptatones, 7e ; omnitones, 8e degré ; il suffit qu'elle s'élève aux pentatones. Les degrés plus élevés en caractère ont, de droit naturel et par convenance générale, une régie sur 3 à 4 phalanges, sur une douzaine, sur une quarantaine, et ainsi de suite : ils sont agents d'harmonie externe, quoique habitant une phalange. En continuant depuis SOL, on a en titres externes d, b, tétramixtes. 2 animiques, 4 sensuelles. LA hexatones 6 animiques. d, b, pentamixtes. 2 animiques, 5 sensuelles. SI heptatones. 6 animiques, 1 sensuelle. UT omnitones. 7 animiques. On peut pousser l'échelle beaucoup plus loin : toute cette 2e échelle de caractères est pour les emplois extérieurs, et pourtant elle figure avantageusement dans une phalange. Je n'ai pas parlé des 405 ambigus qui doivent être adjoints à la Ire échelle (396), ni des variantes que subit l'assortiment de passions dans les divers degrés. Ce serait un détail immense : je veux seulement en venir à quelques études superficielles sur ces distributions les plus opposées à nos préjugés. Remarquons d'abord que la morale déclare vicieux tous les caractères les plus dis¬tingués, les hauts titres, les officiers principaux ; elle les tolère parmi les monarques ou les gens puissants; mais chez la masse des citoyens elle ne veut que des solitones, limités à une seule passion. Or la nature ne place pas les grands caractères parmi les hauts personnages, elle les sème au hasard ; l'omnitone, qui est le plus élevé de ces deux échelles, peut se rencontrer chez un pâtre. Les êtres doués de ces grands carac¬tères sont politiquement étouffés par l'éducation, ils s'irritent contre les coutumes, et sont surnommés mauvais sujets, ennemis de la morale. Dans l'ordre sociétaire chacun d'eux, homme ou femme, trouve son rang et s'y place du consentement de tout le monde ; car celui que la nature a fait solitone n'a aucune envie de la présidence caractérielle d'une phalange, fonction qui l'obligerait à une prodigieuse variété de travaux : il n'y trouverait pas son bonheur; d'ailleurs on a toujours mauvaise grâce à sortir de son caractère. Dès lors personne n'est jaloux en voyant à la présidence caractérielle de la phalange, au poste de Roi de Passions et Reine de passions, deux êtres qui sont, par leur naissance, les plus pauvres peut-être de tout le canton. Malgré leur humble condition, ils s'élèveront sans faute au poste que la nature leur assigne, à la présidence caractérielle de l'un des 13 degrés, depuis celle d'une phalange, qui est le plus bas degré, jusqu'à l'omniarchat ou présidence du globe. C'est encore une très belle loterie pour la classe pauvre; une femme enceinte peut se dire : je serai peut-être mère de la souveraine caractérielle du globe; elle par¬viendra sans effort, par abandon à son caractère, au trône du monde ou à l'un des principaux sceptres. L'éducation a pour tâche de développer ces caractères et, de plus, les tempéra¬ments qui sont en même échelle que les caractères, mais non pas en assortiment : un pentatone qui est de 5e degré en caractère, n'est point certain d'avoir un tempérament de 5e degré ; il aura quelquefois le plus opposé à son rôle passionnel. Nos sciences réduisent à quatre les tempéraments, et cependant un remède administré à vingt bilieux opérera de vingt manières différentes. Pour classer les tem¬péraments, il faudra les développer dès le bas âge., principalement par la voie alimen¬taire : on voit les enfants remplis de goûts dépravés, comme de manger le plâtre des murs ; c'est qu'on les a laissé manquer de certains comestibles dont la nature leur fait sentir le besoin, et qu'ils ne peuvent pas définir. L'absence de ces aliments cause une contremarche de l'instinct, et pousse l'enfant à remplacer par des substances nuisibles celles que la nature lui destinait. On présentera donc aux enfants une grande variété de comestibles, afin de discerner par leurs instincts alimentaires à quelle division ils appartiennent; on en jugera par la facile digestion des aliments préférés. À la suite de cette première échelle de genres et d'espèces, on cherchera à classer les espèces en échelle de varié¬tés et ténuités; et un des moyens qu'on emploiera sera l'antienne gastrosophique. je désigne sous ce nom un très petit repas, avant-coureur de repas, et choisi de manière à exciter un violent appétit au bout d'une demi-heure. On voit des civilisés essayer ce prélude par un verre d'absinthe ; ce n'est pas là une antienne régulière, qui doit se composer de solide et liquide, avec variantes selon les dispositions où se trouve l'estomac. On exercera chacun, homme et femme, à bien connaître ses antiennes, afin d'arriver à table avec appétit et digérer avec facilité. L'harmonie produira tant de subsistances, qu'il faudra habituer le genre humain à consommer quatre fois plus qu'en civilisation. Plus on avancera dans l'art de classer les caractères et les tempéraments plus il deviendra facile d'intriguer les séries méthodiquement, comme le groupe décrit chapitre suivant. Du reste, il faut observer que si les caractères sont comprimés, ils se faussent et se développent à contresens; l'éducation actuelle, en leur donnant un vernis moral, les rend très mauvais, au lieu de beaux qu'ils auraient été. Sénèque et Burrhus n'ont pas changé, mais faussé le caractère de Néron, tétratone à 4 dominantes bien distinctes, cabaliste, composite, ambition, amour. Henri IV était comme Néron un tétratone, mais qui n'avait pas été faussé par une éducation morale. Les caractères tournent au mal en civilisation, dès qu'ils ont en dominante un nombre de passions mécanisantes supérieur aux affectives; une femme tritone à domi¬nantes d'amour, de cabaliste et de papillonne, sera communément très vicieuse. Rien n'est plus propre que la théorie des caractères à confondre ces esprits forts qui croient que les passions sont créées au hasard, et que Dieu a besoin de recourir aux moralistes pour les harmoniser. Les passions en mécanisme domestique sont un orchestre à 1 620 instruments : nos philosophes en voulant les diriger sont compa¬rables à une légion d'enfants qui s'introduirait à l'orchestre de l'opéra, s'emparerait des instruments et ferait un charivari épouvantable; faudrait-il en conclure que la musique est ennemie de l'homme, et qu'il faut réprimer les violons, arrêter les basses, étouffer les flûtes ? Non; il faudrait chasser ces petits oisons, et remettre les instruments à des musiciens experts. Ainsi les passions ne sont pas plus ennemies de l'homme que les instruments musicaux : l'homme n'a d'ennemis que les philosophes qui veulent diriger les passions, sans avoir la moindre connaissance du mécanisme que leur assigne la nature. Quand il sera éprouvé, on reconnaîtra que les caractères les plus ridiculisés, comme celui d'Harpagon, y sont éminemment utiles. Chapitre XXXVIII Des groupes de haute harmonie, ou d'équilibre compensatif. Les optimistes ont de tout temps mis en scène des compensations chimériques : à les en croire, un pauvre qui n'a ni feu, ni lieu, pourrait trouver dans son dénuement autant de bonheur qu'un riche dans ses palais. Jusqu'ici, les pauvres ne sont guère de cet avis, et les riches encore moins; car on ne voit aucun Crésus faire échange de condition avec le pauvre. Les compensations n'existent donc que dans les rêves de la morale qui prétend, selon Delille, que la nature est un échange perpétuel de secours et de bienfaits. On ne voit pas quels bienfaits elle répand sur la populace affamée d'Irlande, ni sur les peuplades livrées aux bourreaux, comme les Grecs sous Ibrahim, ou les nègres de la Martinique sous le fer des colons français. Quelques riches, pour pallier leur égoïsme, aiment à se persuader que le peuple est heureux, que ses misères sont compensées : on entretient les monarques dans cette illusion, elle est plus décente que le principe, il faut dix pauvres pour un riche. Tout sophiste est bienvenu, lorsqu'il suppose des compensations dont on ne trouve pas l'ombre dans l'état civilisé. La véritable compensation doit être facultative ; SENTIE et AVOUÉE, comme elle le serait dans le groupe décrit au traité (IV, 488), groupe dont les relations peuvent servir de formulaire général en compensations. je regrette de ne pouvoir pas insérer ici cet article assez long, qui présente une théorie positive sur les compensations, sujet des plus obscurcis par le sophisme; j'en transcrirai seulement quelques lignes qui donneront une légère idée du sujet. Trois individus, Apicius, Mécène et Virgile, sont réunis dans un repas d'une dizaine de convives. Apicius, tout préoccupé de gourmandise, a pris peu de part à la conversation; Virgile au contraire, peu attentif au matériel du repas, a fait grande dépense de bel esprit : il a brillé, il a fait le charme des convives, son amour-propre est flatté. Mécène s'est partagé entre les 2 plaisirs, conversation et gastronomie : les doses de plaisir ont été en rapport suivant : Chez Apicius, conversation 1, gourmandise 3. = 4. Chez Mécène, conversation 2, gourmandise 2. = 4. Chez Virgile, conversation 3, gourmandise 1. = 4. Il y a ici compensation parfaite pour tous trois, quoique chacun ait goûté les deux plaisirs en doses fort inégales ; mais chacun a eu l'option sur tous deux, et en a pris la part qu'il a voulue. On peut supposer neuf convives chez qui ces doses seront graduées en échelle régulière, et qui seront tous satisfaits compensativement, l'un plus en gourmandise et moins en conversation ; l'autre plus en conversation, moins en gourmandise. Tels doivent être les groupes réguliers; ils doivent réunir au moins deux plaisirs dont chaque personnage puisse prendre la dose qui lui convient. Ce principe doit s'appliquer à toutes les situations de la vie ; on n'y trouve le bonheur, compensa¬tivement équilibré, qu'autant qu'on a l'option sur divers plaisirs réunis; l'équilibre passionnel n'admet ni égalité et conformité de goûts, ni simplicité de ressorts. Si l'on suppose la réunion précédente bornée à un plaisir, à la conversation seule, au bel esprit, Apicius y tombera dans l'ennui, Mécène sera moyennement satisfait, Virgile seul y trouvera grand plaisir. Telle est la situation dans laquelle nous place la morale; elle ne donne jamais la faculté d'option compensative ; elle nous présente un seul plaisir, tel que l'amour de la modération : une modération réelle a besoin de contrepoids, comme on l'a vu plus haut dans Mécène qui a goûté les deux plaisirs modérément et en dose égale ; s'il n'en avait goûté qu'un, la modération l'aurait ennuyé. C'est en balançant les 2 plaisirs l'un par l'autre, qu'il a joui autant que ses convives A et V qui ont goûté immodérément l'un de deux plaisirs, et faiblement le second. Mais est-il vrai que Mécène se soit modéré? Non, car il est arrivé à la dose 4 en somme de plaisir, il a joui autant que les deux autres, quoique en proportions différentes et balancées. Ainsi tous ces hommes qu'on appelle modérés et qui en font trophée, sont, ou des illusionnaires ou des charlatans; ce sont des caractères qui se plaisent à goûter en dose égale deux plaisirs. Tel vous dit : « Je suis un exemple de morale, je modère mes passions, je fuis les amusements et je n'aime que le com¬merce. » Il l'aime parce qu'il y a gagné un million, ou qu'il espère le gagner en trompant ceux qui achèteront ses calicots ; avec son masque de modération, il ne rêve que fourberie, que ruse pour duper les acheteurs. Voilà ce qu'on appelle un homme moral, un vertueux amant du commerce et de la charte ; c'est un être qui sue le mensonge et qui, en stricte analyse, ne se modère sur aucune passion, car il absorbe une passion par une autre, comme l'ont fait plus haut Virgile et Apicius; ou bien il équilibre deux passions qu'il satisfait en dose égale et balancée, comme l'a fait Mécène qui n'est pas plus modéré que ses deux convives A et V, car il arrive comme eux à la somme 4 en jouissance; qu'elle se compose de 3 et 1, ou de 2 et 2, elle est toujours 4. Il faudrait, au lieu d'un petit article, plusieurs chapitres sur cette matière, afin de dissiper les préjugés qui règnent sur la modération et les compensations, sur la balance et l'équilibre, sur les contrepoids et les garanties en exercices de passions. Obligé de supprimer tous ces détails, je me borne à insister sur le principe que la modération est une chimère, que les passions admettent des jouissances contreba¬lancées, mais non pas des privations ; que celui qui paraît le plus modéré est souvent celui qui a le plus raffiné ses jouissances ; et que nos théories d'équilibre moral et de compensation morale ne sont que des balivernes qu'on rougira d'avoir écoutées, quand on connaîtra les méthodes exactes en équilibre passionnel. On les ignore à tel point que la classe des pères, qui fait les lois et désire les faire à son avantage, n'a su trouver aucun moyen d'établir l'équilibre qu'elle recherche le plus, celui des deux affections paternelle et filiale qui sont dans une disproportion choquante; celle de l'enfant ne s'élevant communément qu'au tiers ou au quart de celle du père. Il était évident, par ce défaut de balance, que l'équilibre devait provenir de voies indirectes. On a vu quelles sont ces voies : les pères doivent recueillir l'affection de 4 sources, des enfants directs en 4 à 5 générations au moins, des adoptifs en caractère identique ou contrasté, des adoptifs industriels ou continuateurs passionnés, des continuateurs en lignée directe ou collatérale. La passion atteindra à l'équilibre quand le père obtiendra par quart un tribut d'affection de ces 4 classes; jusque-là il n'est rien de plus dépourvu d'équilibre que l'amour paternel, rarement payé d'un quart de retour par les descendants directs. Si les philosophes n'ont pas vu ce désordre ou n'ont pas su y remédier, que pourra leur science pour atteindre à tant d'autres équilibres qu'elle n'a pas même entrevus, tels que celui des subsistances (II, 113) à fonder sur les produits combinés de plusieurs zones. Et quant aux compensations qui forment une partie de l'équilibre, comment concevoir des compensations sans option? la morale nous dit : Soyez heureux avec une écuelle de bois pour tout mobilier; Diogène assure que cela suffit; eh bien, que Diogène donne l'option sur une écuelle d'argent, nous pourrons croire au bonheur de celui qui, en toute liberté, aura préféré l'écuelle de bois à celle d'argent. Dans l'exemple que j'ai cité, chacun des 3 personnages A, M, V, a l'option sur deux plaisirs; d'où il est clair que chacun d'eux est compensé, en quelque dose qu'il use des deux plaisirs, cette option doit s'étendre à toutes les situations de la vie aux passions des trois sexes. Mais quelle option leur donne la morale, où sont les compensations pour un enfant reclus et menacé du fouet, pour une vieille femme dépourvue du nécessaire et encore plus des plaisirs, pour une masse de pauvres enfermés et rudoyés dans un dépôt de charité ? Que la philosophie est novice en théorie compensative, comme en toute question de mouvement ! Qu'est-ce qu'une compensation qui ne présente pas option facultative ? Vous donnez au peuple, pour indemnité de ses souffrances, le bonheur de vivre sous la charte, d'aimer la charte, admirer les beautés de la charte; mais s'il ne sait pas lire, ou s'il n'a pas deux sous pour acheter la charte, comment en admirera-t-il les beautés, surtout s'il est affamé ? Que signifie cette billevesée de compensation qui nous donne, en dédommagement de nos maux, un plaisir imagi¬naire, sans aucune faculté d'option sur les plaisirs réels ? Apprendre à se passer de ce qu'on n'a pas ! C'est le talent du renard gascon; et on fait de ces sornettes une science dite morale ! Que de jongleries imaginées pour vendre des livres ! On en vendra cent fois plus quand on enseignera la vérité. Chapitre XXXIX Du vrai bonheur (III, 183). Je n'ai vu qu'un écrivain civilisé qui ait un peu approché de la définition du vrai bonheur; c'est M. Bentham, qui exige des réalités et non des illusions : tous les autres sont si loin du but, qu'ils ne sont pas dignes de critique. Il existait à Rome, au temps de Varron, 278 opinions contradictoires sur le vrai bonheur ; on en trouverait bien davantage à Paris, surtout depuis que nos controversistes suivent deux routes diamé¬tralement opposées ; les uns prêchant le mépris des richesses et l'amour des plaisirs qu'on goûte sous le chaume, les autres excitant la convoitise effrénée des richesses; les moralistes plaidant pour l'auguste vérité, les économistes pour le trafic et le mensonge. Débrouillons en peu de mots la vieille controverse de bonheur, l'une des Tours de Babel de la ténébreuse philosophie : Dieu nous a donné 12 passions, nous ne pouvons être heureux qu'en les satisfaisant toutes les 12. S'il y en a une seule d'entravée, le corps ou l'âme est en souffrance; mais loin de pouvoir satisfaire chaque jour les 12 passions, notre peuple essuiera plutôt 12 disgrâces, car il en est 24 qui le menacent et le poursuivent sans cesse (III, 191 et 555). Les riches, mieux partagés sans doute, sont encore bien loin du bonheur, et ne peuvent guère se le procurer une seule journée. J'en ai donné pour preuve le détail d'une journée de vrai bonheur (IV, 535, 543), où l'on voit qu'il n'est pas même possible de faire lever par plaisirs les gens riches; ils commencent leur journée par une lutte entre le plaisir et l'ennui; dans une belle matinée d'été chacun voudrait être levé dès l'aurore, mais chacun est retenu par l'ennui de s'habiller et de quitter le lit qui est un plaisir simple. Voilà un pauvre début de journée; plaisir simple et perspective d'un quart d'heure d'ennui : il manque à tous les civilisés une passion véhémente qui les sorte du lit par amorce d'un plaisir composé, assez fort pour faire dédaigner le plaisir simple de rester au lit. Le jeu des 3 passions mécanisantes exigeant de courtes séances, il faut, pour le courant de la journée, au moins 14 séances, savoir : une majorité de 8 séances en plaisirs composés, 5 en plaisirs simples pour délassement des composés, plus un ou deux parcours, genre de jouissance tout à fait inconnu des civilisés, et qu'il faut définir. Le parcours est l'amalgame d'une quantité de plaisirs goûtés successivement dans une courte séance, enchaînés avec art, se rehaussant l'un par l'autre, se succédant à des instants si rapprochés qu'on ne fasse que glisser sur chacun. L'on peut, dans le cours d'une heure, éprouver une foule de plaisirs différents et pourtant alliés, quelquefois réunis dans un même local, par exemple : Léandre vient de réussir auprès de la femme qu'il courtisait. C'est plaisir compose, pour sens et âme. Elle lui remet l'instant d'après un brevet de fonction lucrative qu'elle lui a procurée ; c'est un 2e plaisir. Un quart d'heure après elle le fait passer au salon où il trouve des surprises heureuses, la rencontre d'un ami qu'il avait cru mort; 3e plaisir. Peu après entre un homme célèbre, Buffon ou Corneille, que Léandre désirait connaître et qui vient au dîner; 4e plaisir. Ensuite un repas exquis, 5e plaisir. Léandre s'y trouve à côté d'un homme puissant qui peut l'aider de son crédit et qui s'y engage, 6e plaisir. Dans le cours du repas un message vient lui annoncer le gain d'un procès, 7e plaisir. Toutes ces jouissances, cumulées dans l'intervalle d'une heure, composeront un parcours qui doit rouler sur un plaisir de base continué dans tout le cours de la séance. Ici Léandre atteint le but par la compagnie de sa nouvelle conquête et le succès affiché au repas. C'est le plaisir pivotal qui broche sur le tout, et intervient en continuité pendant la durée des 7 autres. Cette sorte de plaisir, nommé PARCOURS, est inconnue en civilisation ; les rois mêmes ne peuvent pas se procurer des parcours, charme très fréquent en harmonie, où un homme riche est assuré de rencontrer chaque jour au moins 2 parcours, indépendamment des séances de plaisir Composé à 2 jouissances, sur-composé à 3, et bi-composé à 4 jouissances cumulées. Qu'on juge après cela du dénuement des civilisés en fait de bonheur! Voyez (III, 183) la définition méthodique du vrai bonheur. Les parcours à septuple variante sont des jouissances réservées à la haute harmonie. Dans le début on aura à peine des parcours à quadruple variante; ce sera déjà merveille pour des échappés de civilisation, qui ne peuvent pas se procurer une seule journée de vrai bonheur. Pour composer à un civilisé une journée de cette espèce, il m'a fallu supposer (IV, 535) une réunion de jouissances beaucoup plus nombreuses et plus rapprochées que ne le comporte l'état civilisé ; encore ai-je dû, en recourant à cette hypothèse, commettre 2 fautes : l'une d'y entremettre l'amour, qui est crime selon les lois civilisées, l'autre d'admettre dans la distribution de cette journée 9 vices d'équilibre passionnel, 9 lésions que n'éprouverait pas un harmonien. je les ai admises parce que la civilisation est si bornée en plaisirs, que je n'ai trouvé dans les faibles ressources qu'elle présente aucun moyen de remplir le cadre d'une journée complètement heureuse, telle que l'obtiendra chaque jour le plus pauvre des harmo¬niens. Les civilisés sont si dénués de jouissances, que lorsqu'ils ont eu quelque sujet de charme, quelque fête passable, ils en rabâchent pendant une semaine entière; encore ces fêtes ne sont-elles que de mauvaises caricatures des plaisirs vrais, des équilibres de passions que l'harmonie fait régner dans tous ses travaux, ses repas et ses festivités. On peut s'en convaincre par l'exposé des 9 vices (IV, 543) que j'ai été obligé d'introduire dans l'emploi d'une journée heureuse, bornée aux ressources de la mesquine civilisation. Outre l'inconvénient de rareté de plaisirs, elle ignore complètement l'art de les aménager. Telle jouissance est usée au bout d'une quinzaine; elle se serait soutenue plusieurs mois, si on l'eût distribuée avec discernement et variantes nombreuses; mais la civilisation, en fait de plaisirs, mange son blé en herbe, épuise une jouissance en peu de temps, faute de variété pour la relayer. Aussi les riches civilisés sont-ils accablés de maladies résultant de ces excès. En harmonie l'aménagement des plaisirs est calcul de haute politique sociale, fonction des autorités principales : on n'y use aucune jouissance, parce que les relais et nouveautés surabondent. Si tel amusement n'est séduisant que de mois en mois, on en a mille autres à mettre en scène dans l'intervalle, afin de varier artistement les nuances de bonheur, d'une séance à l'autre, d'un repas à l'autre, de jour en jour, de semaine en semaine, de mois en mois, de saison en saison, d'année en année, d'âge en âge, etc., jusqu'au terme d'une pleine carrière estimée 144 ans, âge auquel les riches harmoniens atteindront plus facilement que les pauvres, par l'extrême variété de plaisirs qui est le plus sûr garant contre les excès. Quel sujet de réflexion pour cette philosophie qui place le bonheur en civilisation, et qui raisonne sur l'équilibre des passions aussi judicieusement qu'un aveugle né, raisonnant sur les couleurs ! Pour compléter la leçon, il faudrait disserter sur le triste sort de tant de civilisés qui, pourvus de santé, fortune et moyens de bien-être, n'arrivent qu'à un extrême malheur. Les contretemps de toute espèce, les disgrâces fondent parfois sur le riche comme sur le pauvre : le jeu, les pièges, la mort d'un enfant, l'inconduite d'une fem¬me, les maladies, les échecs d'ambition, les revers de parti viennent empoisonner la vie de ceux dont on vante la condition comme suprême bonheur. Qu'est-ce donc de ceux que l'indigence accable, et quel parallèle à faire de tant de misères avec l'im¬mensité de plaisirs qui seront prodigués à tous, dès qu'un fondateur aura fait l'épreuve d'où dépend l'issue de civilisation et l'avènement aux destinées heureuses! Chapitre XL Boussole en étude des passions ; le ralliement aux vues de Dieu. L'un des pièges auxquels on a pris la multitude en tous les temps, a été de lui persuader que les vues de Dieu étaient impénétrables, que l'homme ne devait pas même chercher à connaître Dieu. Le bon sens exige tout le contraire; il veut que notre première étude soit celle de Dieu, la plus facile de toutes. Dans l'antiquité, lorsque la fable travestissait le Créateur, en le confondant avec une cohue de 35 000 faux dieux, plus ridicules les uns que les autres, il était assurément difficile d'étudier les vues de Dieu, de les débrouiller à travers cette mascarade céleste ; aussi Socrate et Cicéron se bornèrent-ils à s'isoler des sottises de leur siècle, et adorer le DIEU INCONNU, sans pousser plus loin leurs recherches, qui auraient été contrariées par l'esprit du temps : Socrate en fut victime. Aujourd'hui que ces superstitions sont dissipées, et que le christianisme nous a ramenés à de saines idées, à la croyance en un seul Dieu, nous avons une boussole fixe pour procéder à l'étude de la nature. En partant du principe que toute lumière doit venir de Dieu, et que la raison ne peut entrer dans les voies de lumière qu'en se ralliant à l'esprit du Créateur, il reste à déterminer les caractères essentiels de Dieu, ses attributions, ses vues et ses méthodes sur l'harmonie de l'univers, dont certaines règles déjà connues peuvent nous acheminer aux inconnues. Il faut dans cette étude procéder par degrés, analyser d'abord un très petit nombre des caractères de Dieu, en s'attachant aux plus évidents, tels que les suivants. 1. Direction INTÉGRALE du mouvement. 2. Économie de ressorts. 3. Justice distributive. 4. Universalité de Providence. 5. UNITÉ DE SYSTÈME. 1° Direction intégrale du mouvement. Si Dieu est le supérieur en direction du mouvement, s'il est seul maître de l'univers, seul créateur et distributeur, c'est à lui de diriger toutes les parties de l'univers, entre autres la plus noble, celle des relations sociales : en conséquence la législation des sociétés humaines doit être l'ouvrage de Dieu et non des hommes ; et pour diriger au bien nos sociétés, il faut chercher le code social que Dieu a dû composer pour elles. Grand sujet de querelle avec la philosophie ! Il s'ensuivrait que ce n'est pas elle qui doit faire des lois, et qu'on doit chercher un code social composé par Dieu. Dans ce cas Dieu se trouverait au 1er rang, et la raison humaine au 2e ; ce n'est pas ainsi que la philosophie établit les rangs ; elle veut que Dieu soit au 2e et la raison humaine au 1er ; en conséquence elle exclut Dieu de la prérogative de législation, pour la trans¬mettre aux philosophes, à Diogène et Mirabeau. 2° Économie de ressorts. Si le mécanisme des sociétés était réglé par Dieu, on y verrait briller l'économie de ressorts que nous lui attribuons, en le nommant SUPRÊME ÉCONOME. Or, l'économie exige qu'il opère sur les plus grandes réu¬nions sociétaires, et non pas sur la plus petite que nous nommons famille, ménage conjugal. Elle exige surtout que Dieu choisisse pour moteur l'attraction passionnée, dont l'emploi lui garantit douze économies que l'on ne trouve pas dans le régime de contrainte ; ce sont (II, 240 et 276) : 1. Boussole de révélation permanente; car l'attraction nous stimule, en tous temps et en tous lieux, par des impulsions aussi fixes que celles de la raison sont variables. 2. Facultés d'interprétation et d'impulsion combinées, ressort apte à révéler et stimuler à la fois. 3. Concert affectueux du Créateur avec la créature, ou conciliation du libre arbitre de l'homme obéissant par plaisir, avec l'autorité de Dieu commandant le plaisir. 4. Combinaison du bénéfice et du charme, par entremise de l'attraction dans les travaux productifs. 5. Épargne des voies coercitives, des gibets, sbires, tribunaux et moralistes, qui deviendront inutiles quand l'attraction conduira au travail, source du bon ordre. 6. Élévation de l'homme au bonheur des animaux libres qui vivent dans l'insou¬ciance, ne travaillant que par plaisir, et jouissant parfois d'une grande abondance où notre peuple, malgré ses fatigues, ne parvient jamais. 7. Garantie d'un minimum refusé aux animaux libres, et dont on aura le gage dans les immenses produits du régime sociétaire, étayé de l'équilibre de population. 8. Bonheur assuré à l'homme, dans le cas où la sagesse de Dieu serait moindre que la nôtre ; car ses lois exécutées par attraction nous assureraient une vie heureuse, au lieu de la contrainte que nous imposent les constitutions des philosophes. 9. Intégralité de providence, par révélation des voies de bonheur social, ajoutée à la révélation des voies de salut des âmes, fournie par le Messie et l'Écriture Sainte. 10. Garantie de libre arbitre à Dieu, faculté à lui de régir l'univers, y compris le genre humain, par l'attraction, seul ressort digne de sa sagesse et de sa générosité. 11. Récompense des globes dociles par le charme du régime attrayant, et punition des globes rebelles par l'aiguillon de l'attraction toujours persistant. 12. Ralliement de la raison avec la nature, ou garantie d'avènement à la richesse, vœu de la nature, par la pratique de la justice et de la vérité, vœu de la raison. Y. Unité interne, fin de la guerre interne qui met dans chacun la passion ou attrac¬tion aux prises avec la sagesse et les lois, sans moyen de conciliation (I, 184). Y . Unité externe ou avènement au bien sous la direction du ressort d'attraction, le seul employé par Dieu dans les harmonies visibles de l'univers. Tel est le canevas sur lequel on doit établir l'incompétence de la raison humaine en législation. (Voyez les détails II, de 240 à 301, et les arguments négatifs II, 258.) Il suffit de ces belles propriétés de l'attraction, pour prouver qu'un Dieu économe de ressorts n'a pas pu opter pour la contrainte, voie adoptée par les législateurs civilisés et barbares; et que c'est dans l'étude de l'attraction qu'il faut chercher le code social et industriel de Dieu. 3° Justice distributive. On n'en voit pas l'ombre dans la législation civilisée qui accroît la misère des peuples, en raison de leur industrie. Le premier signe de justice devrait être de garantir au peuple un minimum croissant en raison du progrès social. Nous voyons l'effet contraire dans l'influence de l'esprit mercantile qui tend à couvrir la zone torride d'esclaves noirs arrachés à leur pays, et couvrir la zone tempérée d'esclaves blancs, par les bagnes industriels, coutume éclose en Angleterre, et que la cupidité mercantile naturaliserait peu à peu en tous pays. Du reste peut-on voir quel¬que justice dans un état de choses où le progrès de l'industrie ne garantit pas même au pauvre la faculté d'obtenir du travail? 4° Universalité de Providence. Elle doit s'étendre à toutes les nations, aux sauva¬ges comme aux civilisés. Tout régime industriel refuse par les sauvages, hommes vraiment libres, est opposé aux vues de Dieu; l'industrie que nous leur proposons, le morcellement agricole et domestique, n'est pas vœu de la Providence, puisque ce régime ne satisfait point les impulsions que la Providence donne aux hommes les plus rapprochés de la nature. Il en est de même de tout ordre qui repose sur la violence; toute classe violentée directement, comme les esclaves, ou indirectement, comme les salariés, est privée de l'appui de la Providence qui ne s'est réservé sur ce globe d'autre agent que l'attraction. Dès lors l'état civilisé et barbare, qui ne repose que sur la violence, est opposé aux vues de Dieu; et il doit exister un autre régime applicable à toutes les castes et à tous les peuples, s'il est vrai que la Providence soit universelle. 5° Unité de système. Elle implique l'emploi de l'attraction, qui est l'agent connu de Dieu, le ressort des harmonies sociales de l'univers, depuis celles des astres jusqu'à celles des insectes ; c'est donc dans l'étude de l'attraction qu'on doit chercher le code social divin. Quelques beaux esprits se vantent de faire cette recherche, comme Voltaire qui dit à Dieu, dans une prière en vers : Si je me suis trompé, c'est en cherchant ta loi. Rien n'est plus faux, Voltaire n'a jamais cherché la loi sociale de Dieu, car il n'a jamais fait aucune étude de l'attraction passionnée, quoiqu'il fût l'un des hommes les plus aptes à ce travail. D'autres savants, comme J.-J. Rousseau, crient à l'impénétrabilité, à l'insuffisance de la raison; c'est encore une fausseté : la raison sera très suffisante, quand elle voudra se placer à son rang naturel, au 2e et non au 1er ; quand elle voudra chercher le code social divin et non pas faire elle-même des codes. Mais au lieu de remplir cette tâche, elle nous paie, soit en gasconnades, comme Voltaire qui se vante de recherches qu'il n'a pas voulu faire, soit en obscurantisme, comme J.-J. Rousseau, qui accuse la raison d'incapacité, quand elle n'est que paresseuse et orgueilleuse, négligeant de faire le calcul de l'attraction passionnée, et la diffamant comme vice pour se disculper de n'en avoir fait, ni analyse, ni synthèse. Il conviendrait d'ajouter ici un aperçu des absur¬dités sans nombre où serait tombé Dieu, s'il eût négligé de faire un code social pour les relations industrielles de l'homme. (Voyez II, 258.) J'en ai dit assez pour prouver que la voie des bonnes études était le ralliement à Dieu, la précaution de se guider sur les vues et les caractères que l'opinion universelle attribue à Dieu ; mais comme cette méthode ramène de toutes parts à l'étude de l'attraction, il n'est pas étonnant que la philosophie, qui veut maintenir ses propres lois, ait voué au ridicule la branche d'étude qui conduisait à la découverte des lois sociales de Dieu, et qu'elle ait nié le principe : Toute lumière spirituelle doit venir de Dieu, comme la lumière matérielle vient du soleil, emblème de Dieu, image sensible du père de l'univers. Le ralliement à Dieu, dans nos études, conduisait encore à un acte de justice, auquel les philosophes ne veulent pas entendre; c'est de lui concéder le libre arbitre que nous réclamons pour nous-mêmes. Si nous admettons qu'il en jouisse, il a donc eu le droit d'opter entre la contrainte et l'attraction pour agents de mouvement social. S'il eût opté pour la contrainte, il lui eût été facile de créer des sbires plus puissants que les nôtres, des géants amphibies de cent pieds de haut, écailleux, invulnérables et initiés à notre art militaire. Sortant inopinément du sein des mers, ils auraient détruit, incendié nos ports, nos escadres, nos armées, et forcé en un instant les empires mutins à abjurer la philosophie, pour se rallier aux lois divines de l'attraction sociétaire. Si Dieu a négligé de se pourvoir de ces géants, aussi faciles à créer que les grands cétacés, on doit en conclure qu'il n'a spéculé que sur l'attraction, et qu'elle doit être la première étude d'un siècle qui voudra se rallier à Dieu, en exploration de la nature et des destins. Toutefois, c'est une question très neuve et digne d'un long examen, que celle du libre arbitre contesté à Dieu par la raison humaine; il est fâcheux d'abréger sur ce sujet, l'un des plus brillants que présente l'étude de Dieu. L'on a pu voir, par ce chapitre, que la connaissance de Dieu et de ses opérations, qu'on nous dépeint comme des mystères impénétrables, est au contraire la plus aisée, la plus élémentaire des sciences; et l'on peut dire, la science des enfants, puisqu'elle n'exige que la dose de bon sens facile à trouver chez les enfants de dix ans, mais introuvable chez des pères tous égarés, désorientés par la philosophie; et qui, pour rentrer dans les voies du sens commun, auraient besoin, dit fort bien Condillac, de refaire leur entendement et oublier tout ce qu'ils ont appris des sciences philoso¬phiques. Confirmation tirée des saints évangiles. Ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. (S. Matthieu, chap. XV.) Je leur parle en paraboles, parce que selon la prophétie d'Isaïe : Ils entendront de leurs oreilles et ne comprendront pas; ils regarderont de leurs yeux et ne verront pas. (Ibid., chap. XIII.) Eh ! quelle est la cause de cet aveuglement dont les peuples civilisés sont frappés ? C'est qu'ils n'ont ni foi, ni espérance en Dieu. Ceux mêmes qui nous parais¬sent pieux, n'ont qu'une demi-croyance en la sagesse divine : ils s'imaginent que Dieu na pas pourvu à tout; ils consultent les philosophes sur les voies de bonheur social ; ils doutent de l'universalité de la providence; ils n'espèrent point en la découverte des lois de Dieu. Que signifie ce début ascétique ? Est-ce un pèlerin revenant des saints lieux ? Est-ce quelque anachorète arrivant du désert ? Non, c'est un nomme habitué au milieu de vous; mais qui, muni d'une boussole inconnue, d'une science neuve qui manque à vos esprits forts, peut vous indiquer l'issue du labyrinthe politique où vous êtes égarés depuis tant de siècles, vous désabuser sur ce titre pompeux d'esprits forts dont se parent des têtes faibles et superficielles. Bientôt on qualifiera d'intelligence faussée tout siècle, tout savant qui n'a pas cru à l'universalité de la Providence. J'ai employé le chapitre XL à prouver que deux vertus dédaignées et presque ridiculisées, la foi et l'espérance en Dieu, auraient conduit directement à découvrir la théorie du mécanisme sociétaire; je continue sur le thème des destinées, et sur le défaut de foi qui nous en a fait manquer si longtemps la découverte. Défiants comme Moïse qui frappa deux fois le rocher, les hommes pieux semblent craindre que Dieu tarde à intervenir pour les besoins de l'humanité, quand elle réclamera son appui; ils sont encore les faibles disciples à qui Jésus-Christ adressait ce reproche : « O hommes de peu de foi ! ne vous inquiétez point en disant : que mangerons-nous, que boirons-nous, de quoi nous vêtirons-nous ? car votre père sait que vous en avez besoin. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » (Saint Matth., VI.) « Considérez les corbeaux, ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'ont ni celliers, ni greniers; cependant Dieu les nourrit. Combien êtes-vous plus excellents qu'eux ! » (Saint Luc, XII) et par conséquent plus dignes de la sollicitude de Dieu. Moïse, en punition d'un doute outrageant à la Providence, fut privé d'entrer dans la Terre promise ; tel, le genre humain, en punition de son manque de foi, est banni de la terre promise a lui dans l'Évangile. Le royaume des cieux, ou harmonie sociétaire, était annoncé aux humains; ils pouvaient y entrer sans délai, s'ils eussent voulu voir de leurs yeux et entendre de leurs oreilles; VOIR l'absurdité du régime philosophique nomme civilisation, toujours favorable à l'injustice et à l'oppression; ENTENDRE la parole divine qui leur promet le royaume des cieux dès ce monde, s'ils veulent le chercher; quaerite et invenietis, cherchez et vous trouverez. J'essaie de dessiller leurs yeux dans cette homélie où j'expliquerai le sens mysté¬rieux d'une parabole non comprise jusqu'à ce jour, celle du ROYAUME DES CIEUX, que le Messie conçoit en double sens : il annonce le royaume de justice en l'autre monde et en celui-ci, annonce évidente par la promesse des biens terrestres qu'il garantit formellement aux hommes, dès l'instant où ils auront trouvé le royaume de Dieu et sa justice, l'harmonie sociétaire, image du royaume céleste, et avant-coureur de la félicité promise aux élus dans une autre vie. Jésus savait que dans l'autre monde nous n'aurons besoin ni de vêtements, ni de comestibles; il ne prophétise donc pas pour la vie future, lorsqu'il nous promet ces biens terrestres; et pour nous garantir de toute équivoque, il insiste en disant : « Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. » C'est assez nous avertir que la parabole est à double entente et qu'il faut la commenter pour en saisir le vrai sens. Diverses causes, qui seront expliquées dans ce discours, ont empêché que les hommes pussent entendre cette révélation allégorique du destin sociétaire, et que le Christ pût s'expliquer plus amplement sur ce sujet. jésus annonce évidemment un royaume des cieux qui adviendra dès ce monde, indépendamment du bonheur promis dans l'autre; il reconnaît que si nous manquions des biens temporels, Dieu serait moins généreux envers l'homme qu'envers les oiseaux du ciel. je vais exposer le vrai sens de ces paroles du Messie dans les deux articles suivants., où j'examine 1˚ les erreurs en interprétation des saintes Écritures, 2˚ l'impéritie en application de leurs sages préceptes sur nos études. Premier point Erreurs en interprétation des saintes écritures « Heureux les pauvres d'esprit, car le royaume des cieux est à eux » ; aucune parabole n'est plus connue, aucune n'est moins comprise. Quels sont ces pauvres d'esprit que préconise Jésus-Christ ? Ce sont les hommes qui se préservent du faux savoir nommé philosophie incertaine; elle est l'écueil du génie, le chemin de la perdition, en ce qu'elle nous détourne de toutes les études utiles (74), d'où naîtrait l'harmonie sociétaire, le royaume des cieux et de justice que Jésus ordonne de chercher. Il faut nous prémunir contre l'abus de l'esprit, contre le labyrinthe de cette philosophie condamnée par ses auteurs mêmes qui disent à sa honte : « Mais quelle épaisse nuit voile encore la naturel » (Voltaire.) Ces bibliothèques, prétendus trésors de connaissances sublimes, ne sont qu'un dépôt humiliant de contradictions et d'erreurs. » (Anach.) Jésus nous apprend que la vraie lumière, la découverte du mécanisme sociétaire est réservée aux esprits droits qui dédaigneront le sophisme et étudieront l'attraction; tel est le sens de ce verset : « je vous bénis, ô mon père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux savants, et que vous les avez révélées aux simples. » (Saint Matth., XI.) Il est donc des connaissances qui sont réservées aux simples, entre autres la découverte de l'harmonie sociale, où les esprits philosophi¬ques ne pouvaient pas s'élever. Ainsi en disant : heureux les pauvres d'esprit ! Jésus n'encense point l'ignorance, comme l'insinuent les railleurs; lui-même étonnait les docteurs par sa profonde érudition; il n'est donc point l'apologiste de l'ignorance ; mais il témoigne du mépris pour les obscurants scientifiques obstinés à croupir dans l'ornière civilisée, et refusant de chercher les nouvelles sciences (74) que Dieu révé¬lera aux esprits assez droits pour se défier de la raison humaine, et assez modestes pour se rallier à la raison divine ou attraction collective. Cette subordination doublera leur force et les conduira au but : humilem corde suscipiet gloria. On ne parviendrait jamais à concevoir le langage allégorique des livres saints, tant qu'on. ignore qu'il est de nouvelles sciences et de nouveaux mécanismes sociaux à découvrir. L'ignorance du calcul des destinées répand de l'obscurité sur divers passages de l'Écriture, où elles sont prédites indirectement et allégoriquement ; pro¬phéties que les glossateurs les plus subtils ne peuvent pas expliquer d'une manière satisfaisante, faute de connaître la métamorphose future, le royaume de justice et d'harmonie dont ces passages renferment le pronostic, exemple : Comment expliquer ces versets de l'Évangile où Jésus nous dit : « Croyez-vous que je sois venu pour apporter la paix sur la terre ? Non., je vous assure; mais au contraire, la division; car désormais s'il se trouve cinq personnes dans une maison, elles seront divisées les unes contre les autres, le père contre le fils, la mère contre la fille, la belle-mère contre la belle-fille, etc. je suis venu pour mettre le feu sur la terre; et qu'est-ce que je désire sinon qu'il s'allume ? » (Saint Luc, XII.) Cependant Dieu est un dieu de paix et non de désordres, dit saint Paul; il est donc étrange d'entendre l'ange de paix, le rédempteur, déclarer qu'il vient apporter au monde les discordes de toute espèce ! Combien d'autres passages de l'Écriture peuvent causer la même surprise, tant qu’on, n’en connaît pas le vrai sens que Je vais exposer en système général, car je ne peux pas m'engager ici dans les interprétations de détail. Deux révélations sont nécessaires à l'humanité pour la guider : celle qui touche au salut des âmes a été faite par J.-C. et les prophètes; elle n'est point objet d'étude, mais de foi pure et simple. Celle qui touche au destin des sociétés nous est faite par l'attraction ; elle est l'objet d'étude, objet de foi spéculative, d'espérance en l'inter¬vention de Dieu, et recherche méthodique de son code sociétaire (voyez chap. XL). Cette 2e révélation est conditionnelle; le monde social peut pénétrer le mystère des destinées heureuses s'il veut en faire la recherche ; mais il ne s'élève pas à cette connaissance tant qu'il ne la cherche pas; c'est pour cela que Jésus nous dit : « Cher¬chez et vous trouverez, demandez et vous recevrez, frappez à la porte et on vous ouvrira. Croyez-vous que Dieu ait eu moins de prévoyance pour vous qu'il n'en a pour les corbeaux, les oiseaux du ciel ? » (Saint Luc, XII.) A quoi servirait de chercher si on ne devait trouver d'autre sort que la civilisation, abîme de misères, et reproduisant toujours les mêmes fléaux sous diverses formes ? Il reste sans doute quelque société plus heureuse à découvrir, puisque le Sauveur nous excite si activement à la recherche; mais pourquoi ne nous a-t-il pas éclairés lui-même sur ce point ? Connaissant le passé et l'avenir, le cadre entier des destinées, selon ce verset : « Mon Père m'a mis toutes choses entre les mains » (saint Matth., chap. XI) ne pouvait-il pas nous instruire de notre, destin sociétaire, au lieu de nous soumettre à en faire l'invention que notre folle confiance aux philosophes a digérée depuis tant de siècles ? Je réponds à cette objection: chargé par son Père de la révélation religieuse, J.-C. n'avait point été chargé de la révélation sociale qui, au contraire, était exceptée formellement de ses attributions, comme il le dit lui-même en ces mots : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Il s'isole bien positivement des fonctions dévolues, soit à l'autorité, soit à la politique sociale. Il n'aurait pas pu informer les hommes de leur destinée sociétaire, sans transgresser les décrets de son Père qui avait voulu que cette découverte fût la tâche de la raison et le prix des bonnes études sur l'attraction (chap. XL). Jésus connaissant cette destinée heureuse, sans pouvoir nous la révéler, gémit souvent sur la limite qui lui est imposée; car, selon saint Jean (chap. III), « Dieu n'a pas envoyé son fils dans le monde pour juger le monde ; mais afin que le monde soit sauvé par lui ». Sa mission se bornait donc au salut des âmes; c'est la plus noble partie de notre destinée; c'est pour cela que Dieu confia cette fonction sublime à son fils bien-aimé, réservant pour la raison humaine la branche subalterne, le salut politique des sociétés, et par suite la recherche des voies de Dieu en mécanique sociale, voies qu'on découvre par le calcul de l'attraction. J.-C. n'ayant pas dû nous éclairer sur ce sujet, ni nous dispenser des études auxquelles son Père nous astreint, il se borne à annoncer paraboliquement la destinée sociétaire sous le nom de royaume des cieux ; elle en fait réellement partie, à titre de règne de la justice et image des harmonies célestes. C'est par allusion à cette destinée heureuse que Jésus nous dit en substance : je vous ouvre la voie de salut des âmes, c'est ce qui vous importe avant tout ; quant aux corps, quant aux sociétés mondaines, elles sont encore dans l'abîme d'injustice nommé civilisation; vous y laisser, c'est vous apporter l'arbre de discorde, « la dissension du père avec le fils, de la belle-mère avec la belle-fille », etc. ; obligé de vous cacher l'issue de cet enfer social, « je suis venu pour mettre le feu sur la terre et qu'est-ce que je désire, sinon qu'il s'allume? ». (Saint Luc, XII.) Ce souhait, loin d'être malveillant, est de la part de J.-C. une noble impatience de voir la philosophie combler la mesure de ses erreurs, aggraver tous les maux qu'elle prétend guérir, et nous amener enfin, par honte de notre folle confiance en elle, à chercher l'issue du labyrinthe politique où elle nous a plongés. Aussi le divin maître s'élève-t-il avec chaleur contre les sophistes qui nous détour¬nent de cette étude ; il les maudit en disant : « Malheur à vous scribes et pharisiens hypocrites qui vous êtes saisis de la clé de la science et qui, n'y étant point entrés vous-mêmes, l'avez encore fermée à ceux qui voulaient y entrer. » (Saint Luc, XI.) Il est bien certain que les philosophes ont saisi la clé de la science, car ils ont commencé le calcul de l'attraction dans la branche inutile, et ils ne veulent pas qu'on l’achève dans la branche utile, dans celle qui nous ouvrira dès ce monde l'accès au royaume des cieux. Pour nous en fermer l'entrée, ils s'attachent à hérisser de subtilités métaphysiques l'étude de l'homme, qui est la plus simple de toutes, et qui n'exige qu'une raison libre de préjugés, confiante à l'attraction, comme les enfants. C'est pour nous ramener à cette raison naturelle que J.-C. nous dit : « Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. Je vous dis en vérité : Quiconque ne recevra point le royaume de Dieu comme un enfant, n'y entrera point. » (Saint Marc, X.). En quoi consiste cette aptitude des enfants à recevoir le royaume de Dieu ? c'est qu'ils sont tout à l'attraction et point à la morale; ils ont donc le genre d'esprit convenable pour s'initier au calcul de l'attraction qui conduit à la découverte du royaume de Dieu ou régime sociétaire. Les pères, au contraire, tout imbus de préjugés philosophiques, sont inhabiles aux calculs d'attraction; et c'est un reproche que leur adressent leurs écrivains judicieux, tels que Condillac disant : « Ceux qui n'auront rien étudié entendront mieux que ceux qui ont fait de grandes études, et surtout que ceux qui ont beaucoup écrit. » En effet ces hommes imbus de sophismes sont désorientés par la moindre nouveauté qui sort de leur étroite sphère, tandis que les simples et les enfants, moins prévenus contre l'attraction, sont plus disposés à en faire la facile étude. Un grand obstacle à ce que les philosophes aient pu prendre le chemin des bonnes études, c'est l'égoïsme dont ils sont pétris, sous le masque de philanthropie. Jésus le leur reproche avec véhémence en ces termes : « Comment, étant méchants comme vous l'êtes, pourriez-vous dire quelque chose de bon ? (Saint Matth., chap. XII.) Sépulcres blanchis, pleins d'ossements et de pourriture, au-dehors vous paraissez justes aux yeux des hommes, mais au-dedans, vous êtes remplis d'hypocrisie et d'iniquités. » (Ibid., chap. XXIII.) En effet leur civilisation, dont ils sont infatués, ne repose que sur les principes les plus odieux, tels que ceux-ci : « Il faut beaucoup de pauvres pour qu'il y ait quelques riches ; il faut s'étourdir sur les maux inséparables de la civilisation, etc., etc. » Imbus de ces doctrines d'égoïsme, ils ne peuvent pas s'élever aux idées primordiales de justice, telles que la garantie d'un minimum à con¬céder au peuple, concession explicitement réclamée par Jésus-Christ : car lorsque les pharisiens lui reprochent que ses disciples font, le jour du sabbat, ce qui n'est point permis, il répond : « N'avez-vous jamais lu ce que fit David dans le besoin où il se trouva, lorsque lui et ses compagnons furent pressés de la faim ? comment il entra dans la maison de Dieu, mangea les pains de proposition et en donna à ceux qui étaient avec lui, quoiqu'il n'y eût que les prêtres à qui il fût permis d'en manger ? » (Saint Marc, chap. II.) Jésus, par ces paroles, consacre le droit de prendre son néces¬saire où on le trouve, et ce droit implique le devoir d'assurer un minimum au peuple; tant que ce devoir n'est pas reconnu, il n'existe point de pacte social. C'est le 1er pré¬cepte de la charité ; la philosophie se refuse obstinément à le confesser, parce qu'elle ignore le moyen de procurer le minimum au peuple, concession vraiment impossible tant qu'on ne sait pas s'élever à quelqu'une des sociétés supérieures à la civilisation, au moins à la société des garanties solidaires, qui sont l'aurore du bonheur. (Voyez l'Avant-Propos.) Connaissant les voies de félicité sociale et de régime sociétaire, Jésus en admet franchement les conséquences, telles que la participation du peuple au bien-être et la pratique des vertus, unie à la jouissance des biens de ce monde; ils nous sont annoncés dans ces paroles d'Isaïe : « L'esprit du Seigneur est sur moi; il m'a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brise, annoncer aux captifs la liberté, et aux aveugles le recouvrement de la vue, et pour délivrer ceux qui sont dans l'oppression. » Or, comment pourra-t-on donner aux captifs, aux esclaves, aux nègres, la liberté, sinon par le régime d'attraction industrielle qui déterminera spéculativement tous les maîtres à proposer aux esclaves l'affranchissement (sauf commandite) ; et qui nous délivrera de toutes les oppressions sociales et domestiques ? En toute circonstance le Messie nous excite à vivre dans l'insouciance, pourvu que nous cherchions le royaume de justice, où sera l'abondance de tous biens. jésus en donne un avant-goût à ceux qui ont la foi : aux noces de Cana il change l'eau en un vin exquis. Faut-il nourrir cinq mille hommes qui, de confiance, l'ont suivi dans le désert ? Il fait en leur faveur le miracle des pains et des poissons multipliés; c'est la récompense de leur foi et de leur insouciance. Lui-même se plaint de ne pas posséder les biens de ce monde; il dit : « Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » (Saint Matth., chap. III.) Il réprimande les Juifs sur ce qu'ils lui reprochent d'aimer les bons repas; il leur dit : « Jean-Baptiste est venu, ne mangeant point de pain, ne buvant point de vin, et vous avez dit : il est possédé du démon. Le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant, et vous dites : C'est un homme de bonne chère, qui aime à boire. » (Saint Luc, VII.) Jésus leur répond : « La sagesse a été justifiée par tous ses enfants » ; il juge la sagesse très compatible avec la jouissance du bien-être ; et, pour joindre l'exemple au précepte, il va s'asseoir à une table délicate, chez un pharisien qui l'invite; une courtisane vient répandre sur lui des parfums, Jésus blâme le pharisien qui la critique, et il dit à cette femme : « Vos péchés sont remis, votre foi vous a sauvée. » Compatis¬sant pour le sexe opprimé, il pardonne à la femme adultère et à Madeleine pécheresse; aussi nous dit-il : « Mon joug est doux, et mon fardeau est léger. » (Saint Matth., XI.) On voit, par ces paroles de l'Écriture, que le divin maître ne se montre jamais ennemi des richesses ni des plaisirs ; il exige seulement qu'à la jouissance de ces biens on joigne une foi Vive. parce que c'est la foi (chap. XI.) qui doit nous conduire à la découverte du régime sociétaire, du royaume de justice où tous ces biens nous seront donnés par surcroît. Il ne blâme le désir des richesses que relativement aux vices qui y conduisent en civilisation; quand il dit : « Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux », cette parabole s'entend des injustices, des violences que commettent les civilisés pour atteindre à la fortune. Il se plaint de ses crimes en disant : « Depuis Jean-Baptiste jusqu'à présent le royaume des cieux se prend par violence, et ce sont les violents qui l'emportent. » (Saint Matth., chap. XI.) Ici le royaume des cieux est emblématique du bien-être envahi par l'iniquité; mais pour exciter le génie à la recherche du royaume de justice, pour nous garantir des suggestions de la philosophie qui crie à l'impénétrabilité, Jésus dément ce sinistre augure, en disant : « Il n'y a rien de caché qui ne puisse être découvert, ni rien de secret qui ne vienne à être connu. » (Saint Luc, chap. XI.) En effet : tout était facile à découvrir, pourvu que dans l'investigation, l'on eût apporté les deux qualités recommandées par J.-C., la simplicité des enfants en étude de l'attraction, et la foi aux promesses du Messie qui nous garantit l'avènement au royaume de justice, pourvu que nous cherchions avec une pleine confiance, avec cette foi vive qui transporte les montagnes, allusion à la force d'intelligence que fournit la foi pour résoudre les problèmes gigantesques de l'harmonie universelle, réputés impé¬nétrables. Ils sont enfin résolus ; mais ils ont dû être inaccessibles à des générations aveuglées qui, selon saint Marc (chap. VII),« abandonnent la loi de Dieu [le fanal divin de l'attraction], pour s'attacher à la tradition des hommes [aux fausses lumières de la philosophie] ». J'ai prouvé que le sens des SS. Écritures n'a pas pu être bien saisi, tant qu'on a ignoré la destinée heureuse dont elles contiennent des prédictions voilées. En vain opposerait-on à cette interprétation, certaines phrases où le Messie s'exprime en termes généraux et abréviatifs, comme celle-ci : mon royaume n'est pas de ce monde. S'il n'en est pas quant à présent, c'est parce que la loi divine sur le mécanisme des passions n'est, ni connue, ni établie; mais ce bas monde peut s'élever à l'harmonie, ou règne des vertus; dès lors il sera royaume de J.-C., de même que le monde civilisé, barbare et sauvage, est royaume de Satan et Moloch. Certes Jésus ne veut pas régner sur les mondes qui sont l'image de l'enfer; mais il nous reconnaîtra pour dignes de son sceptre lorsque, dociles à sa voix, nous aurons cherché et trouvé ce royaume de justice dont il nous annonce allégoriquement les délices dans un parallèle dont Jean-Baptiste est l'objet : « je vous dis en vérité que parmi ceux qui sont nés des femmes, il n'y en a point eu de plus grand que Jean-Baptiste; mais celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui » (S. Luc, chap. VII); et de même, le plus pauvre dans le royaume de justice et d'harmonie qui va être fondé, surpassera en bonheur le plus riche d'entre les civilisés. (Voyez les tableaux du chap. XXXIX.) Terminons cette glose en disant avec Jésus-Christ, aux nations civilisées : « Ne voyez-vous pas que vous êtes dans l'erreur, parce que vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu ? » (S. Marc, chap. XII), de Dieu dont les volontés vous sont interprétées par l'attraction; aussi Jésus nous dit-il : « Si quelqu'un parle contre le Fils de l'homme, son péché lui sera remis; mais si quelqu'un blasphème contre le Saint-Esprit, il ne lui sera point remis (S. Luc, chap. XII.), ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir. » (S. Matth., chap. XII.) Pourquoi cette indulgence accordée aux blasphèmes contre le Père et le Fils, tandis que l'offense faite au Saint-Esprit ne trouvera aucune grâce ? c'est que le Paraclet, l'Esprit Saint qui procède du Père et du Fils, étant l'organe de l'un et de l'autre (d'après l'unité des trois personnes), c'est les outrager toutes trois que de méconnaître leur organe, le Saint-Esprit, en résistant à son impulsion collective ; elle nous est communiquée par l'attraction dont il faut déterminer les développements collectifs, la tendance collective au mécanisme des séries passionnées et de l'unité universelle. (Soit dit pour réponse aux calomniateurs qui prétendent que j'admets pour bonnes les attractions individuelles déployées en civilisation, et toujours malfaisantes hors des séries passionnées.) C'est pour nous exciter à cette étude de l'attraction que J.-C. pardonne les outrages dont il est l'objet, mais non pas l'outrage fait au Saint-Esprit qui, par entremise de l'attraction, est révélateur permanent des décrets de la Sainte Trinité sur l'harmonie sociétaire. Celui qui offense le Père ou le Fils par des blasphèmes ne nuit qu'à lui-même et ne mérite que le dédain, peut-être l'indulgence; mais un philosophe qui outrage l'Esprit Saint en s'opposant au calcul de l'attraction, nuit à l'humanité entière; car il lui cache sa destinée, il l'éloigne du bonheur; il ne doit trouver grâce, ni en ce monde, ni en l'autre. C'est assez prouver que l'Écriture, dans certains passages mystérieux, avait besoin d'un interprète guidé par des connaissances nouvelles. Il reste à parler de notre incapacité à mettre en usage les bons préceptes dont elle est parsemée : ce sera le sujet du 2e article. Deuxième point Impéritie en application des préceptes de l'écriture Je n'en examinerai que deux : un contre la confiance aveugle aux sophistes, et un contre l'indifférence en matière de religion, l'apathie fardée de piété. 1° La confiance aveugle aux sophistes « Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous couverts de peaux de brebis, et qui au-dedans sont des loups ravissants. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits : peut-on cueillir des raisins sur des épines, ou des figues sur des ronces ? » (S. Matth., chap. VII.) Voilà en peu de lignes la boussole des bonnes études ; si on l'eût suivie on aurait depuis longtemps échappé à la civilisation. Pour nous abuser, la philosophie s'empare de ce précepte, et l'applique à contresens. Le prince des sophistes modernes, DESCARTES, s'affubla de cette peau de brebis; il affecta de prêcher le doute subordonné à l'expérience ; il parut se défier des lumières de la raison humaine. C'était une ruse pour se mettre en scène, car il ne voulut point soumettre au doute expérimental cet arbre de mensonge qu'on nomme CIVILISATION, qui ne produit au peuple que des épines et des ronces, et au monde social que l'injustice et la fourberie. Malgré ces caractères odieux, il opina à nous engouffrer dans la civilisation, au lieu d'en chercher l'issue. Si l'on eût voulu, selon l'Évangile, juger l'arbre par son fruit, aurait-on pu hésiter un instant à condamner la civilisation, et proposer la recherche du royaume de justice promis dans l'Écriture ? Mais on ne comprenait pas le sens de l'Évangile tel que je viens de l'interpréter; de là vient que les hommes pieux sont restés PASSIFS devant le règne du mal. Cela ne suffisait point ; il eût fallu prendre le rôle ACTIF, chercher en mécanique sociale ce royaume de justice dont J.-C. nous promet si expressément la découverte. C'est peu d'une piété stérile qui se borne à déclamer contre les égarements de la raison humaine ; il faut recourir franchement, activement à la raison divine, à l'étude des impulsions naturelles ou attractions et répulsions. La classe pieuse devait les étudier, par cela même que la philosophie les condamne. L'Église n'avait-elle pas en surabondance des personnages très doctes qui pou¬vaient remplir la tâche que la philosophie refusait ou n'osait tenter; tâche éludée astucieusement par les Voltaire et les Rousseau (410). L'Église avait des hommes si capables, tels que les Bossuet, les Fénélon, et tant d'autres ! Ils n'ont excité aucune recherche sur l'attraction; ils n'ont proposé ni concours, ni prix pour cette branche d'études. Jésus les a biens définis en ces mots : « Ils disent ce qu'il faut faire et ils ne le font pas. » (S. Matth., chap. XXIII.) Pieux ou impies, tous commettent même profanation, usurpant de concert les droits du Créa¬teur en législation. La seule différence entre eux est celle du rôle actif que prennent les sophistes : Voltaire par ses railleries sur la foi, et Rousseau par ses préventions d'obscurantisme, nous conduisent au même écueil. Tous deux, en divers sens, nous enseignent l'insuffisance de la raison pour connaître Dieu et pénétrer ses décrets, chose la plus facile (on l'a pu voir chap. XL); J.-C. même nous l'assure, en disant : « Il n'y a rien de caché qui ne puisse être découvert; cherchez et vous trouverez. » Mais les faux prophètes revêtus de la peau de brebis, étouffent toute idée d'investigation. L'un (410) nous persuade qu'il a cherché quand il n'en est rien, l'autre détruit l'espérance et nous détourne des recherches. Déception d'une part, impéritie de l'autre: tels sont les caractères de ceux qui dirigent la raison humaine. Ce protée, qu'on appelle philosophie, vaincu sous une forme, en revêt une autre : aux chimères de liberté et d'égalité bien usées, on voit succéder un nouveau sophisme fardé des noms d'Association, esprit d'association. L'on y découvre deux sectes diffé¬rentes qui, l'une et l'autre, sont les loups ravissants couverts de peaux de brebis. D'une part est l'esprit d'industrialisme qui, sous masque d'association, tend à recréer l'esclavage dans les bagnes mercantiles, forme des coalitions de publicains pour brocanter le revenu des empires, pour dévorer l'avenir, etc. Cette secte n'a point d'esprit inventif; elle n'a pas su découvrir le moyen d'envahir le fonds, le territoire; de réduire la masse des nations en vassalité de quelques chefs mercantiles, et créer le monopole féodal qui constituerait l'entrée en 4e phase de civilisation. Alors la carrière du crime et de la fourberie serait exploitée bien plus grandement qu'en 3' phase, où nous sommes. Pourquoi a-t-on tardé à découvrir ce redoublement d'infamies sociales ? C'est que le caractère distinctif des philosophes qui nous dirigent est la petitesse, même dans le crime. L'autre secte, qui prétend fonder l'association, a pour agents de nouveaux philoso¬phes appelés Owenistes, du nom de leur chef; gens qui forment, sous le nom d'association, des réunions anti-sociétaires, car ils repoussent les méthodes d'où naîtraient l'accord des passions et l'attraction industrielle, buts de l'état sociétaire. Ces établissements ne remplissent aucune des conditions à imposer à tout fondateur sociétaire : la première est d'opérer par attraction, entraîner à l'imitation les sauvages, et surtout des propriétaires d'esclaves dont aucun n'a adhéré au régime oweniste. Ce régime est donc un leurre de plus, comme toutes les conceptions philo¬sophiques; d'ailleurs., que pouvait-on attendre d'une secte qui débutait par s'isoler de Dieu, lui refuser le culte public ? Son chef, avec une grande ostentation de charité et de philanthropie, a repoussé obstinément la précaution que dictait une charité réelle : c'était de mettre au concours l'invention du procédé naturel en régime sociétaire, et prendre toutes les mesures qui pouvaient provoquer cette découverte ou les approxi¬mations. Rob. Owen a évité soigneusement cette démarche, qui eût blessé son orgueil; il voulait être à la fois inventeur, fondateur et orateur de l'association; cumuler les 3 rôles qui exigent trois personnages différents; il voulait pour lui seul toute la gloriole (199). Il s'est emparé du mot association, sans s'inquiéter de la chose, ne songeant qu'à s'arroger l'honneur d'une découverte à faire; qu'à détourner de cette étude, en persuadant qu'il avait rempli la tâche à lui seul. Abîme tout plutôt, c'est l'esprit des Sophistes. Cet orgueil démesuré aurait pu longtemps encore éloigner les modernes de recherches sur l'association, si, par un heureux hasard, l'invention n'était survenue à l'époque même où Rob. Owen s'en attribue l'honneur, bien qu'il ne soit qu'un médio¬cre sophiste, un copiste de G. Penn, fondateur des Quakers; enfin un homme aussi incapable d'invention que dépourvu de philanthropie réelle. On en jugera par une analyse succincte de ses méthodes que j'examinerai à la Postface. Il recueillera de sa folle prétention, le même honneur que cet Erostrate qui détruisit le temple d’Éphèse pour se faire un nom dans l'histoire. Ainsi, Rob. Owen, pour se donner comme G. Penn le lustre de chef de secte, n'a travaillé qu'à leurrer les sociétés industrielles, qu'à faire manquer les recherches d'où dépend leur avènement au bonheur sociétaire. Heureusement il aura été déjoué à temps. Le succès momentané de cette jonglerie doit rallier les hommes prudents à la boussole donnée par l'Évangile, au doute expérimental, guide le plus fidèle en études sur l'association, comme sur tout autre sujet. Il faut juger l'arbre à son fruit, et se défier des loups déguisés en brebis. Or, quels sont les fruits de cette nouvelle secte ? A-t-elle entraîné les sauvages et les maîtres d'esclaves ? Non. Si Rob. Owen, avec la faculté qu'il a de fonder de grands établissements, avait quelque notion du mécanisme sociétaire, il l'aurait, depuis vingt ans, répandu sur le globe entier par la seule influence du bénéfice et du plaisir ; il n'existerait plus ni sauvages, ni barbares, ni civilisés : il n'a au contraire abouti qu'à profaner le MOT, sans rien faire pour la CHOSE ; qu'à inspirer une telle défiance pour l'idée d'association, qu'il faut aujourd'hui exclure ce mot d'une théorie qui enseigne la chose, le procédé d'asso¬ciation naturelle. Tel est notre XIXe siècle, vantant ses progrès en raison, et ne sachant organiser que l'anarchie scientifique d'où il sortirait à l'instant, s'il voulait se rallier au précepte évangélique : suspecter les faux savants, et juger l'arbre à son fruit. Au lieu de cette prudence, il s'engage de chimère en chimère ; il n'encourage que les inventions malfaisantes, les subtilités fiscales et les pièges d'agiotage. Entraînée par le torrent mercantile, notre philosophie ne s'aperçoit pas que le monde social court à la 4e phase de civilisation, plus scélérate encore que la 3e, où nous sommes. Les philosophes modernes, dit fort bien l'Évangile, sont les aveugles qui conduisent les aveugles. Cette secte de prétendus esprits forts, piquée de n'avoir que du bel esprit sans génie inventif, a formé une ligue secrète pour étouffer les découvertes qui sortent de la sphère académique. « Ils ont (dit J.-C.) saisi la clé de la science pour en fermer l'entrée. » Ils reprochent à leurs rivaux le principe Compelle intrare ; et ils adoptent le principe encore pire : Prohibe intrare; aussi, tout en promettant des torrents de lumières, se refusent-ils à mettre au concours les nombreuses inventions qui restent à faire, et surtout la continuation et l'achèvement du calcul de l'attraction commencé par Newton. Tel est l'état de la raison au XIXe siècle; tel est l'abîme où elle s'est plongée, par son obstination à ne pas juger l'arbre par son fruit, vice dont le résultat inévitable est d'ouvrir la porte à toutes les charlataneries, et fermer l'accès aux vraies lumières. L'examen d'un seul des préceptes évangéliques, celui de juger l'arbre par le fruit, suffirait à démontrer que les civilisés ne veulent faire aucune application régulière des doctrines certaines; je pourrais étendre la démonstration à vingt autres préceptes, il suffira d'un second, d'où on conclura, comme celui-ci, que notre siècle, en affectant de rechercher la vérité, ne cherche qu'à l'étouffer; car de tous ces écrivains qui ont prôné le doute, pas un n'a voulu douter de la nécessité des deux sociétés civilisée et barbare, mettre en problème si elles sont destin ultérieur, ou si elles sont des monstruosités temporaires, des échelons pour s'acheminer plus loin, pour s'élever à des périodes sociales moins malheureuses ? Une remarque à faire sur les préceptes évangéliques, est qu'ils sont la source où vont puiser leurs antagonistes mêmes. Qu'est-ce après tout que cette doctrine de Descartes, restaurateur de la philosophie moderne ? C'est un exposé pompeux du précepte bien concis dans l'Évangile : se défier des sophistes et juger l'arbre par le fruit. Descartes a bâti sur ce principe un vaste système qu'il n'a point suivi; il s'est donné le relief de novateur, quand il n'a fait que paraphraser une idée empruntée à Jésus-Christ, la torturer et l'accommoder à ses doctrines sans en faire un usage régulier, tel que l'ordonne son auteur. Toutes nos sciences philosophiques ne reposent de même que sur des plagiats, dont on retrouverait les types dans les saintes Écritures, Genèse, Évangile, etc. C'est ainsi que les idéologues, pour se créer une science, ont travesti le mot âme en une périphrase gothique, la perception de sensation, de cogni¬tion du moi humain. La philosophie n'étant qu'une spéculation de librairie, il faut bien qu'elle complique et embrouille chaque sujet, qu'elle y mette autant de prolixité qu'il y a de concision aux sources où elle a puisé. Redisons que les philosophes ne sont pas les seuls coupables du long délai qu'aura éprouvé l'avènement à l'harmonie; faisons à chacun sa part des torts. Ceci nous conduit à l'examen d'un 2e précepte : cherchez et vous trouverez; et des égarements où sont tombés les hommes pieux, par leur mépris pour cet avis répété en triple sens par le Sauveur qui nous dit : CHERCHEZ, DEMANDEZ, FRAPPEZ à LA PORTE. Si la classe qui se dit pieuse avait eu quelque dose de foi et d'espérance, elle aurait essayé de prendre à la lettre les pronostics de Jésus-Christ qui nous fait augurer sans cesse la découverte du code divin, si nous voulons le chercher ; et qui nous fait sentir combien il serait injurieux à nous, de soupçonner son père d'un manque de pré¬voyance en quelque point, le soupçonner d'avoir eu pour nous moins de sollicitude qu’il n'en a pour des être méprisables tels que les corbeaux. jésus nous dit au contraire que Dieu entre dans l'examen de nos besoins jusqu'au point de compter tous les cheveux de notre tête (allusion à l'extrême prévoyance de Dieu) ; comment donc aurait-il omis de pourvoir au besoin le plus pressant des sociétés humaines, celui d'un code régulateur de nos relations industrielles, garant de la justice ? je l'ai dit ailleurs : Dieu fait des lois d'harmonie sociale pour les créatures les plus immenses comme les mondes planétaires, et pour les plus petites, les abeilles, les fourmis ; aurait-il pu manquer à en faire pour l'homme, ainsi qu'il le dit lui-même ? Tel est le problème principal qui devait occuper les classes pourvues de foi et d'espérance. Que de discussions importantes seraient nées de cette question, que de lumières elle pouvait répandre, que d'ardeur elle aurait inspirée pour procéder enfin aux recherches selon le précepte, cherchez et vous trouverez ! J'extrais du Traité (II, 250) quelques phrases sur ce sujet. Si c'est à l'humanité à se donner des lois, s'il n'est pas besoin que Dieu inter¬vienne, il aura donc jugé notre raison supérieure a la sienne en conceptions législa¬tives. De deux choses l'une : ou il n'a pas su, ou il n'a pas voulu nous donner un code social favorable à l'équité : s'il n'a pas su, comment a-t-il pu croire que notre raison réussirait dans une tache où il aurait craint d'échouer lui-même ? s'il n'a pas voulu, comment nos législateurs peuvent-ils espérer de construire l'édifice dont Dieu aurait voulu nous priver ? Prétendra-t-on que Dieu a voulu laisser à la raison une portion de régie, une carrière en mouvement social ; qu'il nous a départi les fonctions législatives, quoique pouvant mieux les exercer lui-même ; qu'il a voulu laisser cette chance à notre génie politique ? Mais nos essais de 3 000 ans prouvent assez que le génie civilisé est insuffisant, inférieur à la tâche; Dieu a dû prévoir que tous nos législateurs, depuis Minos jusqu'à Robespierre, ne sauraient qu'enraciner les fléaux connus, indigence, fourberie, oppression, carnage. Connaissant, avant même de nous créer, cette impéritie et ces résultats déplora¬bles de la législation humaine, Dieu nous aurait donc donné à plaisir une tâche au-dessus de nos forces, et qui aurait été si légère pour les siennes ! Quels motifs aurait-il eus pour se refuser à nous donner un code étayé d'attraction ? Il y a sur cette lacune sextuple alternative : 1° Ou il n'a pas su nous donner un code garant de justice, vérité, attraction indus¬trielle ; dans ce cas il est injuste à lui de nous créer ce besoin, sans avoir les moyens de nous satisfaire, comme les animaux, pour qui il compose des codes sociaux, attrayants et régulateurs du système industriel. 2° Ou il n'a pas voulu nous donner ce code; dans ce cas il est persécuteur avec préméditation, nous créant à plaisir des besoins qu'il nous est impossible de contenter, puisque aucun de nos codes ne peut extirper les fléaux connus. 3° Ou il a su et n'a pas voulu; dans ce cas il est l'émule du démon, sachant faire le bien et préférant faire le mal. 4° Ou il a voulu et n'a pas su ; dans ce cas il est incapable de nous régir, con¬naissant et voulant le bien qu'il ne saura pas faire, et que nous saurons encore moins opérer. 5° Ou il n'a ni su ni voulu ; dans ce cas il est au-dessous du démon qu'on peut bien accuser de scélératesse, mais non pas de bêtise. 6° Ou il a su et il a voulu ; dans ce cas le code existe, et il a dû nous le révéler; car à quoi servirait ce code, s'il devait rester caché aux humains à qui il est destiné ? La conclusion sur les six alternatives est que le code existe ; on devait donc le chercher, puisque Jésus-Christ nous dit que nous ne trouverons qu'autant que nous chercherons, quœrite et invenietis, pulsate et aperietur vobis. On n'aurait pas douté un seul instant de ce code, si l'on eût observé combien il est aisé à Dieu de nous accorder cette faveur. En effet, pour nous délivrer du fléau des fausses lumières, pour nous donner un code propre à harmoniser nos relations domestiques, industrielles et sociales, qu'en coûte-t-il à Dieu? RIEN : oui, rien du tout. Il n'a pas même besoin de génie dont sans doute il est bien pourvu; il lui suffit de VOULOIR; car d'après la faculté que lui seul possède, d'après son pouvoir d'imprimer attraction, le plus mauvais code composé par lui, et étayé d'attraction, se soutiendrait de soi-même, et s'étendrait à tout le genre humain par l'appât du plaisir ; tandis que le meilleur code composé par les hommes, ayant besoin d'être étayé de contrainte et de supplices, devient une source de discordes et de malheurs, par la seule absence d'attraction pour l'exécution des lois. Aussi toutes les constitutions des hommes s'écrouleraient-elles à l'instant, si on cessait de les soutenir de sbires et de gibets. On peut de là tirer une conclusion bizarre, mais fort juste ; c'est que notre bonheur ne peut naître que des lois divines, lors même que Dieu serait moins habile en législation que les philosophes. Que sera-ce donc si Dieu est leur égal en génie, ce qu'on peut présumer sans leur faire injure. Son code, ne fût-il que l'égal des leurs en sagesse, aura toujours un titre de supériorité inappréciable, en ce qu'il sera soutenu de l'attraction passionnée, seul gage de bonheur pour ceux qui obéissent. L'homme est plus heureux d'obéir à une maîtresse que de commander à un esclave. Ce n'est pas de la liberté seule que naît le contentement, mais aussi de la convenance d'une fonction avec les goûts de celui qui l'exerce. Ainsi Dieu serait assuré de faire notre bonheur par un code attrayant, fût-il inférieur en sagesse à ceux des hommes ; et, d'autre part, Dieu est assuré de nous voir tomber dans le malheur sous tous les codes venant de la raison humaine, par cela seul qu'ils ne seront pas attrayants; car le législateur homme n'a pas la faculté de nous imprimer attraction pour ses percepteurs, sbires, garnisaires, conscriptions et autres perfectibilités des chartes civilisées, qu'on dit libérales. Ces considérations qui n'ont pas pu échapper à la sagesse divine, ont dû la déterminer à nous donner un code social quelconque, étayé du ressort d'attraction passionnée. Ces mêmes considérations devaient stimuler les hommes à rechercher si ce code divin qui régirait tout par attraction, n'est pas existant et ignoré par suite des méthodes vicieuses de la science, qui n'aura su, ni le découvrir, ni même le chercher. Il fallait donc mettre en question par quelles voies on devait procéder à la recherche et à la détermination de ce code. Tout raisonnement sur ce sujet eût conduit à mettre au concours l'étude analytique et synthétique de l'attraction passionnée, facile étude qui est l'épouvantail des philosophes, et qui est pourtant la seule voie directe et méthodique pour s'élever à l'invention du calcul de l'harmonie sociétaire. Si nous en étions au coup d'essai, aux premiers âges de civilisation, nous serions peut-être excusables de fonder quelque espoir de bien social sur nos propres lumières, sur ces constitutions philosophiques qui ont tant pullulé depuis un demi-siècle. Mais nous sommes amplement désabusés par une longue expérience, nous n'avons évidem¬ment rien de bon à espérer de nos quatre sciences, Morale, Métaphysique, Politique et Économisme. Vingt-cinq siècles d'épreuve ont prouvé qu'elles sont autant de cercles vicieux qui, loin de remplir aucune de leurs promesses, ne donnent que des fantômes de garantie et ne savent que faire éclore de nouvelles calamités, aggraver tous les fléaux qu'elles promettaient d'extirper. Il faut le redire : dans cette Angleterre, foyer de l'industrialisme, la capitale (67), à elle seule, contient deux cent trente mille indigents; les provinces en proportion ; et le secours annuel de deux cents millions aux pauvres, ne sert qu'à y perpétuer une misère et un esclavage dont les tableaux font horreur. Voilà les fruits de la nouvelle chimère d'industrialisme, et le sceau de réprobation pour ce siècle qui, rétif aux instructions de l'Évangile, ne veut point juger l'arbre à son fruit, se défier des faux savants, espérer en Dieu seul et chercher son code si on veut le découvrir. (Voyez II, 258, le tableau des absurdités sans nombre où serait tombé Dieu, s'il eût manqué à la composition et révélation d'un code social attrayant.) D'après cet aperçu des égarements de l'esprit humain en calcul des destinées, il est bien évident que la saine partie des civilisés, la classe qui se dit et se croit pieuse, est tombée dans la même erreur que les impies, dans la défiance de la providence, et surtout de l'universalité de cette providence. Le plus grand outrage à lui faire, est de la croire limitée, partielle, insuffisante, selon l'opinion civilisée. Ceux mêmes qui écrivent contre l'indifférence en matière de religion, sont coupables de cette apathie qu'ils dénoncent; coupables du manque de foi et d'espérance, puisqu'ils ont refusé de chercher le code social divin, et qu'ils ont, par le fait, secondé les philosophes tous ligués pour empêcher l'étude des sciences vierges et négligées (74), conduisant à l'invention de ce code. Jésus-Christ nous dit de la secte philosophique : ce sont des aveugles qui condui¬sent des aveugles ; mais quel redoublement de déraison ! Ces aveugles, qui recon¬naissent que la philosophie les a conduits en fausse route, ce siècle qui déclame contre l'irréligion, soutient la prétention sacrilège des philosophes à dépouiller Dieu de la législation; il doute encore de l'intervention de Dieu, quand il est évident que Dieu, par l'attraction, dicte des lois sociales à tout l'univers. La théorie newtonienne, dont notre siècle s'enorgueillit, lui a révélé cette vérité et il persiste à la méconnaître : il repousse le code divin qui lui est apporté. C'est donc pour notre siècle que l'Évangéliste a dit : « Et la lumière est venue » des ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise. » (S. Jean, chap. 1.) J'ai pu leur paraître bizarre lorsque j'ai dit, au début de cette homélie : Les nations modernes se sont perdues par défaut de foi et d'espérance en Dieu ; langage ridicule aux yeux d'une génération habituée à railler sur ce qu'elle ne comprend pas de prime abord. Quand Voltaire plaisante sur ce que la nouvelle Jérusalem aura 500 lieues de haut, il ignore que c'est une allusion aux 500 000 phalanges que formera, dans son début, l'harmonie sociétaire ou nouvelle Jérusalem. Combien citerait-on de ces allégories qui, par leur style oriental, semblent risibles à nos esprits forts, et qui seront des tableaux aussi gracieux que fidèles, dès que l'esprit humain aura quitté le sentier les fausses lumières ! Par exemple, nous voyons que Jésus-Christ n'adopte que les nombres XII et VII ; qu'il choisit 12 apôtres, et leur promet 12 trônes au jour de la régénération ; c'est un emblème de l'harmonie qui reposera sur le règne des 12 passions. Par analogie, Jésus-Christ a dû choisir 12 colonnes de sa doctrine, et admettre parmi les 12, un traître, un judas, image de la passion dite lien de famille, qui est source du mal, germe de l'industrie morcelée et de la fausseté en relations sociales. Négligeons ces détails qui sont hors de notre sujet; bornons-nous à signaler les torts intelligibles selon les lumières actuelles : il est évident que, sous un vernis de sentiments religieux, nos hommes pieux ne sont que des philosophes mitigés, des sceptiques niant les propriétés primordiales de Dieu (408). Ce sont des fauteurs de l'incrédulité, doutant de la suffisance de Dieu, sanctionnant la prétention des hommes à faire des lois sociales, comme si Dieu avait pu oublier d'en faire. Les voilà confondus par la découverte du code social divin. S'ils persistent à soutenir cette philosophie qui veut ravir à Dieu la prérogative de législation, il faut se borner à leur répondre : jugez l'arbre à son fruit, voyez quels fruits a produits la légis¬lation humaine, INDIGENCE, FOURBERIE, OPPRESSION, CARNAGE, et tant d'autres fléaux inséparables du régime civilisé et barbare; concluez-en qu'il eût fallu depuis longtemps chercher l'issue du labyrinthe où la raison est égarée : quarite et invenietis. Lorsque enfin un homme a cherché et trouvé le code dont vous désespériez, quelle conduite devez-vous tenir à l'égard de cette invention ? Êtes-vous sensés si vous la diffamez avant qu'elle n'ait subi un examen régulier ? Vous accordez aux chimères d'athéisme de la secte OWEN vingt épreuves dans autant d'établissements qui trou¬vent des fondateurs en Europe et en Amérique, et vous ne voulez pas même permettre accès à la véritable théorie sociétaire ! Rougissez de cet acte de vandalisme ; c'est pour vous que l'évangéliste a dit : La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres, parce que leurs actions étaient mauvaises (S. jean, chap. III); parce que leurs sciences trompeuses, dites morale et politique, ne pouvaient supporter aucun parallèle avec la science de vérité, avec l'oracle des décrets divins, le calcul mathématique de l'attraction passionnée. Hommes qui prétendez à la piété, et qui ne croyez pas à l'universalité de la Provi¬dence, à la transmission de son code, vous êtes dans l'erreur, voulez-vous y persévérer ? Errare humanum est, perseverare autem diabolicum. Vous pratiquez l'égoïsme et non la piété; vous ajoutez, au défaut de foi et d'espérance, le défaut de charité, vice dont saint Paul nous dit : « Quand j'aurais toute la foi possible, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai la charité je ne suis rien. » (Ep. aux Corinth.) Vous deviez, pour l'amour du prochain, un tribut d'études, une exploration active des lois sociales de Dieu; vous deviez, au moins, mettre au concours cette recherche; et vous avez, par indolence, éludé la tâche, laissé le champ libre aux philosophes, en vous bornant à quelques déclamations contre leur malfaisance, à quelques simulacres d'esprit religieux : vous êtes les pervers dont Jésus-Christ a dit : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi; et le culte qu'ils me rendent est vain et frivole, puisqu'ils enseignent des maximes et des ordonnances humaines. » (S. Matth., chap. XV.) Voilà, en termes précis, la condamnation des lois des hommes et de ceux qui croient à la sagesse de ces lois. Puisque enfin le code social de Dieu vous est apporté, n'hésitez point à abjurer vos erreurs : voulez-vous renouveler le scandale donné par les siècles d'obscurantisme qui persécutèrent les Colomb, les Galilée ? Votre capitale du sophisme a hérité de cet esprit satanique, de ce vandalisme du XVe siècle. C'est pour toi, moderne Babylone, pour toi, ville de Paris, que Jésus-Christ a dit : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui sont envoyés vers toi... » Tes docteurs sont une légion de Zoïles que jésus a démas¬qués, en disant : « Malheur à vous, scribes et pharisiens qui bâtissez des tombeaux aux prophètes, et qui dites : Si nous eussions été du temps de nos Pères, nous ne nous fussions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes. » (S. Luc, XI, S. Matth., XXIII.) Tel est aujourd'hui votre langage, sophistes qui pervertissez l'opinion; vous décla¬mez contre les générations qui ont persécuté de vrais savants, et vous êtes plus iniques encore contre les inventeurs que la providence vous envoie. Pour les traverser, vous vous affublez d'un manteau de raison qui n'est que manteau de vandalisme, pire qu'au siècle des Colomb, des Galilée. Et vous, hommes pieux, qui croyez servir Dieu en soutenant le parti des philo¬sophes ennemis de toute découverte, faisant commerce de sophismes, vous prétendez bâtir la maison du Seigneur, et vous ne bâtissez que pour Belzébuth, car vous favorisez la philosophie, en étouffant la théorie d'attraction passionnée, interprète du code divin. Vous avez depuis vingt siècles servi Dieu en vaines paroles, en stériles holo¬caustes ; faites enfin quelque chose pour la foi et la charité; fondez la maison de Dieu, la phalange d'essai en harmonie sociétaire, essai qui ralliera subitement le globe entier sous la bannière divine et qui comblera de richesse et de gloire tous les fondateurs, même les coopérateurs secondaires. Que sont vos entreprises actuelles ? des raffinements de barbarie pour river les fers des peuples par la réduction du salaire, et par l'emprisonnement de la classe pauvre dans les bagnes industriels, nommés grandes manufactures, qui ne lui assurent ni bien-être, ni retraite. Ces vexations mercantiles sont réprouvées de Jésus-Christ et des Pères de l'Église. Saint Chrysostome nous dit qu'un marchand ne saurait être agréable à Dieu, et jésus battait de verges les marchands; il les chassait du temple en leur disant : Vous faites de ma maison une caverne de voleurs. Jusqu'ici, il a pu vous sembler difficile de lutter contre le protée qu'on appelle commerce. Vous ne saviez par quel point l'attaquer, car il maîtrise les gouvernements mêmes devenus ses vassaux. Enfin la Providence vous envoie un guide qui connaît les côtés faibles de l'hydre mercantile, et qui, par inauguration du régime véridique, vous délivrera de ce veau d'or, idole digne d'une secte d'aveugles qui conduisent des aveugles, idole digne des philosophes modernes. « Et toi, Capharnaüm (toi, philosophie), t'élèveras-tu toujours jusqu'aux cieux ? Non, tu seras précipitée jusqu'au fond des enfers. » (S. Luc, chap. X.) Voilà votre arrêt, sophistes ennemis de l'attraction, ennemis des richesses et de l'harmonie; jésus vous l'a dit : « Vous êtes des sépulcres blanchis qui, au-dedans, sont pleins de pourri¬ture. Serpents, race de vipères, comment pourrez-vous éviter d'être condamnés au feu éternel ? » (S. Matth., chap. XXIII.) « Quelle secte a plus mérité d'être plongée dans la géhenne, où il n'y a que pleurs et grincements de dents ? » Laissons à Dieu le soin de vous juger, et de discerner s'il en est parmi vous quelques-uns dignes de sa clémence : jusque-là couvrez-vous de cendre; hâtez-vous, comme l'hérésiarque GENTILIS, de faire abjuration publique et de déchirer vos livres. Votre châtiment, dès ce monde, sera de voir les nations s'élever au bonheur et à l'opulence, en foulant aux pieds vos doctrines perfides. Vous-mêmes livrerez aux flammes ces bibliothèques, dépôt humiliant de contradictions et d'erreurs ; tandis que les nations, délivrées de leurs chaînes, s'introniseront dans la nouvelle Jérusalem, en disant avec Siméon : « Seigneur, nous avons assez vécu, puisque nous avons vu l'oeuvre de votre sagesse, le code sociétaire que vous avez préparé pour le bonheur de tous les peuples. » Alors le monde entier retentira de malédictions contre les lois des hommes et contre les infâmes sociétés civilisée et barbare; alors les peuples, comblés de richesses, de délices, et trouvant les voies de fortune dans la pratique de la vérité, s'écrieront dans une sainte ivresse : « Voici venir les jours de miséricorde promis par le Rédempteur disant : Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. (S. Matth., chap. V.) C'est vraiment par l'harmonie sociétaire que Dieu nous manifeste l'immensité de sa providence, et que le Sauveur, selon sa prophétie, vient à nous dans toute la gloire de son père. C'est le règne du Christ ; il triomphe, il est vainqueur : CHRISTUS REGNAT, VINCIT, IMPERAT. » Fondations approximatives J'avais promis un article très détaillé sur les approximations de mécanisme sociétaire : des compagnies peu fortunées pourront désirer de fonder en petit; c'est la manière favorite des Français : ébaucher, tâtonner. La plupart opineront pour un essai réduit à moitié, à 900 Personnes, ou au tiers, 600 personnes. Je leur observe qu'en réduisant une mécanique, on en fausse le système, si on ne conserve pas toutes les pièces : nous savons réduire une immense horloge de clocher en un petit coffret ou montre d'un pouce de diamètre ; mais cette montre contient toutes les pièces de la grande mécanique, même la sonnerie; dès lors le système, quoique réduit, n'est point changé. Il n'en est pas ainsi d'une mécanique de passions : pour la réduire dans la propor¬tion d'une horloge de cathédrale à une petite montre, il faudrait avoir des hommes en miniature, des Lilliputiens hauts d'un demi-pied, des animaux et des végétaux de même dimension ; il serait facile d'en former une petite phalange en miniature, 1 800 pygmées logés dans un castel, et bornés à cultiver un terrain carré de cent toises de base. Cette phalange serait complète en mécanisme; elle aurait en petit son assorti¬ment de caractères ; elle opérerait aussi exactement que des hommes de notre stature. Mais s'il faut retrancher sur le nombre, se réduire de 1 800 à 900 ou 600, on se prive des ressorts nommés caractères, et on fausse le mécanisme d'attraction indus¬trielle, d'équilibre des passions. Dès lors le jeu de la machine se complique, se ralentit en raison composée de la diminution des ressorts. Si les 3 phalanges sont de 1800, 900, 600, la force motrice ou dose d'attraction industrielle, qui alimente les séries passionnées, ne sera pas en rapport de 18, 9, 6, 18, 6, 3. mais à peu près de Par la suite, la cohorte salariée suppléant aux lacunes d'attraction, devra être de 100, 150, 200, et mieux encore de 100, 200, 300, car elle sera chargée de tous les travaux qui n'exciteront pas d'attraction ; or ils seront bien plus nombreux dans une petite phalange que dans une grande ; la petite, bornée à 600, ayant des séries mal engrenées, faibles de ressorts (chap. V, VI), pourra à peine créer attraction sur les deux tiers des travaux ; cette lacune exigera une cohorte d'environ 300 salariés pour l'autre tiers de l'ouvrage. Plus la phalange sera petite, plus on devra s'attacher à avoir un grand nombre d'enfants, dût-on les prendre à pension ; car les enfants sont celui des 3 sexes qui se livre le plus franchement à l'attraction, et qui se passionne le plus promptement pour le régime des séries industrielles. Une société qui n'aura pas pu réunir la masse de capitaux nécessaires pour fonder en grand, devra opérer comme si elle était certaine de trouver ces capitaux dès l'année suivante ; car elle les trouvera réellement, si elle fait ses dispositions pour un com¬mencement de grande phalange, et non pas pour une phalange réduite. Selon ce plan elle devra construire, au lieu d'un édifice régulier, un tiers du grand édifice tracé page 123, une aile seulement, pour expectative des 2 autres portions, centre et 2e aile. Je suppose qu'elle construirait la portion qui s'étend de 0 en a, puis les bâtiments X et Z. La petite phalange construisant un tiers de grand phalanstère, et non pas un petit phalanstère, son terrain devra être disposé dans le même sens ; tout en débutant sur une petite surface d'un tiers de lieue carrée, elle devra prendre des arrangements pour avoir en contiguïté une lieue entière, et en jouir dès l'année suivante. Si elle manquait à ces précautions, elle serait bientôt devancée par d'autres compagnies qui se forme¬ront en concurrence avec elle, et qui prouveraient qu'elle n'a rien prévu ; qu'elle n'a pas osé envisager l'opération ; qu'elle n'est composée que de chefs pusillanimes, d'avortons intellectuels. Ces objections seraient valables et feraient perdre à une phalange réduite le prix de fondation. Elle perdrait en outre l'immense bénéfice des curieux payants qui se porteraient tous dans une phalange de plein mécanisme, telle qu'on se hâterait d'en fonder lorsque la petite phalange d'essai aurait donné l'éveil, et prouvé que le mécanisme des séries passionnées et d'attraction industrielle est de la plus grande facilité. La petite phalange, en formant ce plan d'extension, aura d'autant plus de chances pour trouver de nouveaux actionnaires, qu'on pourra juger des économies que produira la grande phalange. Par exemple, sur les engagements de maîtres ouvriers et instituteurs quelconques, il sera évident que les maîtres engagés pour 600, serviraient de même pour 1 800, sauf la transmission graduée en mode mutuel (345). Plus la petite phalange périclitera par défaut de nombre, plus elle devra spéculer sur la forte dose d'attraction, et considérer qu'il faut savoir semer pour recueillir ; elle devra donc s'attacher à la gastrosophie (308), principale semaille d'attraction. Ce sera la branche où on pourra former promptement des séries passionnées, et apprécier leur influence dès les premiers mois. On ne trouvera pas cet avantage dans des cultures, troupeaux et colombiers réduits au tiers de la grande phalange; le jeu des séries y sera gêné, l'exercice parcellaire (chap. VI) y sera bien restreint. Il est aisé, dans un groupe de 30 sectaires, de former 5 à 6 sous-groupes, chacun de 5 à 6 sectaires ; mais si le groupe n'est que de 10 personnes, il devient très difficile d'y organiser des sous-groupes et l'exercice parcellaire, si précieux pour donner de l'intensité aux attractions industrielles. Pensera-t-on qu'il faudra restreindre le nombre des fonctions, afin de pouvoir y adapter des séries copieuses ? C'est raisonner en moraliste qui croit mener l'attraction à volonté ; la nature distribue les attractions en travail domestique, sur 1 620 personnes; si on réduit ce nombre au tiers, on ne peut pas tripler les attractions : tel travail, comme le soin des pigeons, qui aurait rencontré 60 sectaires passionnés sur une masse de 1 620, n'en aura que 20 si vous réduisez au tiers le nombre de socié¬taires sur lequel il faut trouver une secte de pigeonistes; et si on veut la porter à 40, pour favoriser l'exercice parcellaire, il y en aura moitié qui ne seront pas passionnés; la série sera très défectueuse, mal intriguée, sans ardeur, sans dextérité, sans unité d'action. D'autre part, si on a trop peu de séries, si pour les renforcer en nombre de sectaires, on se réduit à peu de fonctions, beaucoup de gens ne pourront pas donner cours à leurs attractions et seront faussés. D'ailleurs une phalange d'un petit nombre de séries échouerait sur l'accord de répartition, parce que les séries ne seraient pas suffisamment engrenées (116). Les impulsions de cupidité ne seraient pas assez graduées pour s'équilibrer, s'entraîner spéculativement à la justice (361) Il n'est pas besoin d'ajouter que moins la phalange sera nombreuse, plus elle devra éviter la grande culture et les travaux de long cours, dont les produits ne peuvent se recueillir à des époques rapprochées : les graminées sont de ce nombre, et la vigne encore plus. Il faut, à une réunion faible en ressorts, des récoltes promptes pour soutenir et alimenter l'intrigue. Ainsi, les pigeons qui multiplient très vite, la confise¬rie dont les produits sont fabriqués en peu de jours, seront les genres les mieux appropries à la circonstance; tous les petits légumes présentent cet avantage. Je pourrais étendre fort loin cet examen des entraves à redouter dans une petite phalange : c'est assez faire entrevoir que, pour diriger cette machine, il faudra bien se garder des méthodes morales et économiques; il faut un mécanicien qui ait étudié à fond la théorie, et qui ne prétende pas régenter et maîtriser l'attraction; c'est le vice où tomberait tout philosophe. On devra s'étudier à discerner quelles lacunes on peut admettre selon l'assortiment des caractères et des goûts des sociétaires ; c'est une opération des plus délicates et qui décidera du succès d'une petite phalange. Tant que je ne sais pas en quel lieu elle serait fondée, quelle serait la juste dose de ses moyens en chaque genre, je perdrais trop de temps à examiner et peser les nombreuses chances d'erreur qui pourront s'y rencontrer. Je me borne à indiquer deux grand moyens, les plus sûrs pour une petite phalan¬ge : le renfort d'enfants et la gastrosophie. Que les enfants impubères soient assez nombreux pour exécuter les manœuvres chorégraphiques à 72 figurants ; que le peuple soit enthousiasmé dès les premiers jours par la gastrosophie sériaire, qui est le moyen le plus prompt pour le séduire ; qu'il se croie transporté dans la maison de Dieu, c'est le nom que donne le peuple à une maison où l'on vit dans l'abondance et l'insouciance ; enfin que les chefs se pénètrent bien du but à atteindre. Je l'ai dit plusieurs fois : il ne s'agira pas de produire plus ou moins de choux, peu importera la quantité de récoltes, d'autant mieux que les séries, pour peu qu'elles soient bien for¬mées, en donneront toujours une masse infiniment supérieure à celle de la civilisation. Mais les prodiges qu'il faut créer dès la première campagne, sont l'équilibre des passions et l'attraction industrielle, buts où l'on n'atteint que par un bon engrenage des séries, et un lien actif entre les travaux de production, consommation, préparation. Si l'on peut étaler de bonne heure les accords sublimes que présente une masse de séries bien engrenées, la cause sera gagnée, même avant d'arriver au dénouement ou accord de répartition. Dès qu'on pourra admirer dans ce germe d'harmonie les accords con¬trastés de passions échelonnées (105), les accords indirects d'antipathiques, l'emploi avantageux des discords, l'emploi utile des passions réputées vicieuses, l'entraînement des enfants à l'industrie dès le plus bas âge, la vérité et la justice devenues voies de fortunes, enfin le vrai bonheur social, le contentement de chaque sectaire confirmé par son enthousiasme, les curieux arriveront en foule pour voir le prodige des pro¬diges, la mécanique des passions, et pour s'humilier d'avoir eu la sottise d'ajouter foi à des sciences qui enseignent que Dieu a créé les passions au hasard, sans leur avoir assigné un mécanisme digne de sa sagesse. Plan des sections VI et VII formant la contre-épreuve PRÉAMBULE. Sur un sujet aussi neuf que la théorie de l'attraction passionnée et du mécanisme sociétaire, le lecteur est en droit d'exiger des preuves surabondantes. Je voulais, selon la méthode mathématique, ajouter à la théorie une contre-preuve, tirée de l'ignorance où sont les modernes sur les caractères, les propriétés, la marche et les fins de la civilisation, dont ils ont la bonhomie d'espérer quelque perfectionnement; et sur les voies qu'ils auraient dû suivre pour s'élever, par degrés en échelle sociale, à la période 6e, celle des garanties. (Voyez l'Avant-Propos.) Les prétentions des modernes au perfectionnement, sont une tendance à sortir de la civilisation, et à s'élever aux garanties dont ils rêvent quelques parcelles sans savoir les réaliser; car ils n'ont de garanties que celles que le hasard a introduites, comme le régime monétaire et les assurances, qui sont dues à l'instinct et non à la science. D'autre part, les fausses méthodes adoptées par notre siècle, notamment ses systèmes d'industrie anarchique, de concurrence individuelle et mensongère, et surtout sa bévue de prendre la régie actionnaire pour association, allaient nous précipiter en 4e phase de civilisation, état diamétralement opposé aux garanties sociales. Pour débrouiller ce chaos politique, il faudrait, je l'ai dit, une analyse détaillée de la civilisation, et un parallèle des caractères de cette 5e période, avec ceux des deux périodes contiguës, savoir la 6e, dite Garanties solidaires, et la 4e, dite Barbarie. Ce serait un travail fort étendu et auquel suffirait à peine un volume de la dimension de celui-ci. Je comptais donner sur cette matière deux sections, mais elles seraient encore insuffisantes ; c'est un sujet à traiter séparément, et je me borne à en donner le plan sur lequel on pourra juger de l'importance de cette branche d'études, et de l'étourderie de notre siècle qui oublie de faire l'analyse de la civilisation, et qui croit la perfec¬tionner quand il la conduit à un déclin rapide. Nous distinguerons les caractères de cette société en huit ordres ; chacun sera exposé dans huit petits articles, dont je comptais former d'amples chapitres qu'il faut remplacer par des aperçus. Section VI : Analyse de la civilisation Onzième notice Caractères de base et de lien Chapitre XLI Caractères successifs des quatre phases. Les sociétés ont, comme le corps humain, leurs quatre âges différenciés par des caractères qui se succèdent : on ne peut pas juger des progrès ou décadences, tant qu’on n'a pas assigné très distinctement les caractères qui doivent signaler une société. Nos naturalistes sont si scrupuleux sur cette distinction, quand il s'agit de classer d'inutiles végétaux, pourquoi les politiques ne suivent-ils pas cette méthode, en assignant à leur civilisation chérie des caractères adaptés à chacune des quatre phases ? C'est le seul moyen de reconnaître si elle avance ou rétrograde. Caractères successifs de la civilisation Enfance, ou 1re phase Vibration ascendante Germe simple Mariage exclusif ou monogamie. Germe composé Féodalité patriarcale ou nobiliaire. Pivot, Droits civils de l'épouse. Contre-poids, Grands vassaux fédérés. Ton, Illusions chevaleresques. Adolescence, ou 2e phase Germe simple, Privilèges communaux. Germe composé Culture des sciences et arts. Pivot, Affranchissement des industrieux. Contre-poids, Système représentatif. Ton, Illusions en liberté. Apogée, ou plénitude Variation descendante. Germes, Art nautique, chimie expérimentale. Caractères, Déboisement, emprunts fiscaux. Virilité, ou 3e phase Germe simple Esprit mercantile et fiscal. Germe composé Compagnies actionnaires. Pivot, Monopole maritime, Contre-poids, Commerce anarchique. Ton, Illusions économiques. Caducité, ou 4e phase Germe simple Monts-de-piété urbains. Germe composé Maîtrises en nombre fixe. Pivot, Féodalité industrielle. Contre-poids, Fermiers de monopole féodal. Ton, Illusions en association. Transitions en 6e période régulières, les 12 garanties, ch. 50. irrégulières, les 32 issues, App. à ch. 52. Nota. On ne mentionne pas ici les caractères permanents qui règnent dans tout le cours des 4 phases, mais seulement ceux qui constituent telle ou telle phase, et ses mixtes avec telle autre. Par exemple, la civilisation d'Athènes était une 2e phase incomplète, altérée, en ce qu'elle manquait du caractère pivotal, liberté des indus¬trieux. C'était une 2e phase bâtarde et faussée, ayant en pivot un caractère de barbarie. Quand on connaîtra ce grimoire des caractères sociaux, dont je vais décrire huit ordres, il sera aisé de dissiper les illusions en progrès social. La civilisation actuelle de France et d'Angleterre est une 3e phase déclinante. Il y a longtemps qu'elle a fait éclore les caractères de 3e phase ; elle tend fortement à la 4e, dont elle a les deux germes; mais elle ignore l'opération à faire sur ces germes pour entrer en 4e phase, qui serait un progrès très petit, le moindre possible ; tandis que l'état actuel est une stagnation pénible où le génie est comme emprisonne, fatigué de sa stérilité, s'agitant vainement pour produire quelque idée neuve. C'est un état qui use le corps social par une station trop longue en 3e phase. (Voyez chap. 48, les caractères qui signalent cette lassitude.) À défaut de génie inventif, l'instinct fiscal ne tarderait guère à découvrir les moyens d'organiser la 4e phase, qui est un progrès, mais non pas en bien. On n'entre¬rait dans la voie du bien qu'en organisant l'ambigu de civilisation et garantisme. (Voyez chap. 47 et 48.) C'est la manœuvre qu'on devait opposer au libéralisme, esprit stationnaire qui ne sait point avancer, et qui se passionne pour un caractère de la 2e phase, pour le système représentatif ; gimblette bonne dans une petite république, telle que Sparte ou Athènes, mais tout à fait illusoire dans un empire vaste et opulent, comme la France. J'ai observé (73 et 79), que les anti-libéraux, classe non moins abusée que les libé¬raux, commettent une maladresse choquante en essayant de lutter contre les chimères libérales, par une rétrogradation en Ire phase. C'est un moyen d'autant plus vicieux, que l'accroissement des dettes publiques nous entraîne irrésistiblement vers la 4e phase ou caducité. Un examen détaillé du tableau des caractères permanents désignés dans ce chapitre, suffirait déjà à dissiper nos illusions de vol sublime, et prouver que notre vol, en échelle sociale, est celui de l'écrevisse; car, tendre à la 4e phase de civilisation, à la caducité d'une période essentiellement vicieuse, c'est un progrès si l'on veut, mais un progrès en déclin, un progrès comparable à celui d'une femme dont les cheveux blanchiraient à 60 ans; si elle disait que sa chevelure se perfectionne, qu'elle va égaler la blancheur de l'albâtre; si elle s'écriait : « Quel vol sublime de ma chevelure vers la perfectibilité perfectibilisante ! », chacun sourirait de pitié : le corps ne se perfec¬tionne pas quand il vieillit. Telle est l'illusion de progrès dont s'énorgueillit notre vieille civilisation, courant à la caducité. Les sociétés, comme les individus, courent à leur perte, quand elles s'endettent et se livrent à l'usurier. C'est le fait de notre siècle ; il ne va que d'emprunts en emprunts. « Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli. » C'est un pli bien pris que celui des emprunts fiscaux ; chaque ministère nouveau fera un nouvel emprunt ; car il faut, dit le proverbe, manger quand on est au râtelier. Quelque parti qui vienne à dominer, la finance, qui tient les rênes du char, ne rétrogradera pas vers la route de l'économie. Quel sera donc le dénouement de cet ulcère fiscal, de ce chancre de dettes et d'em¬prunts qui ne font que croître et embellir dans tous les empires ? Ce dénouement sera expliqué au chapitre qui traite de la 4e phase de civilisation, phase où la force des choses nous entraîne, sans que nos guides, les économistes, voient l'abîme où court le monde social. On peut les comparer au mauvais cavalier de qui les rieurs disent : Ce n'est pas lui qui mène son cheval, c'est son cheval qui le mène. Tels sont nos génies politiques : ce n'est pas eux qui mènent le gouvernement civilisé, c'est lui qui les mène, eux à qui il eût été si facile de nous diriger vers les routes du progrès réel, s'ils eussent voulu sortir de l'ornière, sortir des préjugés de morcellement agricole et d'anarchie commer¬ciale, ou concurrence individuelle de fourberie. Chapitre XLII Caractères permanents de la période. C'est un sujet bien étendu et qui exigerait au moins douze grands chapitres, car j'ai recueilli une liste de 144 (douze douzaines) de ces caractères permanents qui règnent dans le cours des 4 phases : si je les classe en une douzaine de genres, par 10, 12, 15 de chaque genre, ce ne sera pas trop de douze chapitres bien amples pour les décrire : qu'on juge par là de l'étendue qu'il faudrait donner à une analyse complète de la civilisation. Il est des caractères dont la définition emploierait un grand chapitre ; tels sont ceux définis page 70, la contrariété des deux intérêts collectif et individuel, et l'échelle simple en répartition de la fortune. Le sens commun a suffi de tout temps pour faire entrevoir quelques-uns de ces caractères permanents, tels que celui-ci : Ligue des gros voleurs pour faire prendre les petits. On aurait dû s'occuper à réunir, en tableau de genres et d'ordres, une cen¬taine de ces caractères; c'eût été un commencement d'analyse de la civilisation (branche des caractères permanents). Au lieu de se livrer à cette analyse, on a plaisanté sur leurs résultats vraiment ridicules; mais la plaisanterie empêchait-elle de procéder à un recueil classé ? D'autres fois on s'est livré à de graves déclamations contre les caractères les plus vicieux, tels que celui-ci, vertu ridiculisée, honnie, persécutée. Sans doute ce résultat mérite d'exciter l'indignation ; mais puisque la civilisation présente une affluence de ces résultats déplorables ou ridicules, classez-les en bon ordre, afin qu'on puisse voir d'un coup d’œil l'essence et les fruits de cette abominable société. Divers écrivains ont cru ces caractères peu dignes d'attention, parce qu'ils sont inséparables de l'état civilisé ; c'était un motif de plus pour en former un tableau intitulé classe des PERMANENTS, qui forment un ordre différent des SUCCESSIFS, exposés au chapitre 41. Par exemple, l'enchaînement de l'opinion est un caractère bien permanent, même sous le règne des philosophes qui ne veulent pas que le peuple connaisse et réclame ses droits primordiaux, entre autres celui de minimum propor¬tionnel : cette garantie n'étant pas admissible hors du régime d'attraction industrielle. Quoiqu'on ait sans cesse déclamé contre nos vices, il en est beaucoup qui ne sont pas aperçus, et qui sont privilégiés, consacrés sous prétexte de liberté; telle est la tyrannie de la propriété individuelle contre la masse. Un propriétaire se permet cent dispositions vexatoires pour la masse, même des constructions malsaines, resserrées, qui font périr les enfants; tout cela est sanctionné comme liberté, parce que la civilisation n'ayant pas connaissance des garanties sociales, admet pour justes quantité de licences individuelles des plus abusives : ces sortes de caractères ne sont pas aperçus. D'autres sont négligés et non signalés, parce qu'ils se lient et forment une chaîne ; tel est celui de déni indirect de justice au pauvre. On ne lui refuse pas DIRECTE¬MENT justice; il est bien libre de plaider ; mais il n'a pas de quoi subvenir aux frais de procédure; ou s'il entame les réclamations les plus justes, il est bientôt exténué par le riche spoliateur qui le traîne en appel et réappel ; il ne peut pas suffire à de tels frais, il est forcé de céder. On donne un défenseur gratuit à un parricide, on en devrait aussi au pauvre qui veut réclamer ; mais il y aurait, dit-on, trop de procès. La civilisation n'est meublée que de pauvres dépouillés injustement, puis de chicaneurs qui, sous prétexte d'indigence, voudraient plaider aux frais de I'État; ce serait tomber d'un mal dans un pire, tomber du déni indirect de justice dans le cercle vicieux. Il est vrai, tout le mécanisme civilisé n'est que cercle vicieux ; et, par suite, le CERCLE VICIEUX est un des caractères essentiels de cette société, de même que le déni indi¬rect de justice : on ne les a pas signalés comme tels, parce qu'ils sont liés et naissent l'un de l'autre ; c'était un motif de plus pour les placer au rang de caractères permanents. C'est ainsi que sur des raisons plus ou moins frivoles, on a négligé en plein l'étude des caractères permanents ; omission d'autant plus préjudiciable que ce travail étant le plus facile de toute l'analyse, aurait été bien vite mené à terme, et aurait conduit à aborder l'étude des autres ordres de caractères indiqués plus loin. Peu à peu on en serait venu à se désabuser sur la civilisation, dont les analyses auraient excité l'horreur générale. Je supprime le tableau des 144 caractères permanents, parce que tous, ou presque tous, auraient besoin d'un article explicatif, par exemple : 1. Minorité d'esclaves armés contenant une majorité d'esclaves désarmés. 2. Égoïsme obligé par insolidarité des masses. 3. Duplicité d'action et d'éléments sociaux. 4. Guerre interne de l'homme avec lui-même. Déraison posée en principe. 6. Exception prise pour règle en politique. 7. Génie noueux, faussé, pusillanime. 8. Entraînement forcé à la pratique du mal. 9. Péjoration en correctifs. 10. Malheur composé chez l'immense majorité. 11. Absence d'opposition scientifique. 12. Détérioration postérieure des climats. Chacun de ces caractères exigera de longs détails. À défaut, l'idée peut sembler fausse, comme la 12, détérioration postérieure des climatures. Il est certain qu'une civilisation naissante améliore le climat; mais au bout de quelques siècles, l'industrie désordonnée détruit les forêts, tarit les sources, excite les ouragans et tous les excès atmosphériques. Aussi le climat de France est-il sensiblement dégradé : l'olivier bat en retraite ; il était à Montélimar il y a un demi-siècle, on ne le trouve aujourd'hui qu'au-dessous de la Durance. L'oranger a presque disparu d'Hyères ; toutes les cul¬tures périclitent parce qu'on a déchaussé les Alpes, les Cévennes et autres chaînes. L'espace me manque pour expliquer ces 12 caractères ; il est donc inutile de donner une liste des 144. Il suffit que l'on voie, par ce peu de définitions, que l'analyse exacte de la civilisation est une science trop neuve pour être susceptible d'abrégé dans sa première apparition. L'on s'en convaincra sur la branche du commerce, dont on a tant raisonné sans en avoir fait aucune analyse. Chapitre XLIII Caractères du commerce, EN GENRES. Quelle est la cause de cette vénération des modernes pour le commerce qui est détesté en secret par toutes les autres classes du corps social ? D'où vient ce stupide engouement pour les marchands que Jésus-Christ battait de verges ? La cause en est qu'ils ont gagné beaucoup d'argent, et qu'une puissance insulaire exerce sur le monde industriel une tyrannie de monopole mercantile. Ces extorsions, cette tyrannie, ne proviendraient-elles pas de quelque erreur com¬mise par la politique moderne ? Cette science rampante n'a pas osé faire l'analyse du commerce, de ses caractères qu'il faut distinguer en genres et espèces ; de sorte que le monde social ne sait pas ce qu'est le commerce. Quelques flagorneurs de l'agiotage dépeignent les marchands comme une légion de demi-dieux ; chacun reconnaît au contraire qu'ils sont une légion de fourbes; mais à tort ou à raison ils ont envahi l'in¬fluence ; tous les philosophes sont pour eux, le ministère même et la cour fléchissent devant les vautours mercantiles, tout suit l'impulsion donnée par la science dite économisme, et par suite le corps social tout entier se soumet aux rapines mercantiles, de même que l'oiseau fasciné par le serpent, va se rendre dans la gueule du reptile qui l'a charmé. Une politique honorable aurait dû mettre au concours les moyens de résistance, et s'enquérir des bévues qui donnent le sceptre du monde industriel à une classe impro¬ductive, mensongère et malfaisante. On est si neuf sur l'analyse du commerce, que chacun le confond avec les manu¬factures qu'il s'occupe à entraver et rançonner. Les principaux négociants, nommés marchands de matières premières il ne sont occupés qu'à machiner la spoliation des manufacturiers et des consommateurs, s'informer des raretés qui surviennent sur chaque denrée, pour l'accaparer, l'enchérir, la raréfier, et par suite pressurer le fabri¬cant et le citoyen. La science dite économisme suppose un profond génie à ces accapareurs et agioteurs qui ne sont que des barbouillons, des joueurs aventureux, des malfaiteurs tolérés. On en a vu en 1826 une preuve des plus frappantes, lorsqu'en pleine paix, après dix ans de calme, il survint tout à coup une stagnation et un engorgement d'autant plus imprévus, que tous les journaux triomphaient des nouvelles chances ouvertes au commerce par l'émancipation des deux Amériques. Quelle était la cause de cette crise qui fut si mal jugée ? Elle provenait du jeu compliqué de deux carac¬tères commerciaux : Le refoulement pléthorique, le contrecoup d'avortement. Le refoulement est un effet périodique de l'aveugle cupidité des marchands qui, lorsqu'un débouché leur est ouvert, y envoient d'abord quatre fois plus de denrées que n'en comporte la consommation. Les deux Amériques renferment à peine 40 millions d'habitants ; en déduisant les sauvages, les nègres et la populace espagnole du pays chaud qui est presque nue, il ne reste pas vingt millions d'individus à vêtir ; si on y porte des étoffes pour cent millions, il y aura engorgement et refoulement. C'est ce qu'ont fait en 1825 nos marchands de culottes et ceux d'Angleterre ; ils ont encombré l'Amérique de leurs drogues, à tel point qu'elle en avait pour une consommation de 3 à 4 ans : il en est résulté mévente, stagnation, avilissement des étoffes, et banqueroute des vendeurs, effet nécessaire de cette pléthore toujours causée par les imprudences du Commerce, qui se fait illusion sur les doses de consommation possible. Comment une cohue de vendeurs jaloux, aveuglés par l'avidité, pourrait-elle juger des bornes à établir en exportation ? Il suffisait déjà de cette maladresse pour causer les banqueroutes et le boule¬versement des marchés et des fabriques, lorsqu'un autre caractère est intervenu au même instant pour aggraver le mal. Des accapareurs de New York, Philadelphie, Baltimore, Charleston, etc., avaient prétendu s'emparer de tous les cotons, d'accord avec leurs affidés de Liverpool, Londres, Amsterdam, Le Havre et Paris ; mais l'Égypte et autres marchés ayant fourni une récolte copieuse, l'accaparement a échoué, la hausse n'a été qu'un feu de paille, les vautours d'Amérique ont été engorgés ainsi que leurs coopérateurs d'Europe ; la mévente causée par la crise de refoulements pléthoriques a dû arrêter les fabriques, et faire sauter les accapareurs de coton qui, ayant compté sur la hausse, ne pouvaient pas même vendre à la baisse. La machi¬nation avortée en Amérique a causé par contrecoup mêmes banqueroutes en Europe. Au résumé, cette crise, sur laquelle on a fait tant de bel esprit, était l'effet des deux caractères coïncidents : Refoulement pléthorique et contrecoup d'avortement. Les journaux et ouvrages qui en parlaient tombaient tous dans la même erreur ; ils rapportaient à une seule cause (quelquefois très mal définie), le désordre qui prove¬nait de deux causes opérant combinément. Aucune des deux n'était avouée avec franchise par les écrivains; ils ne s'étudiaient qu'à innocenter les deux classes qui avaient causé le mal par deux menées contradictoire ; l'une en obstruant les marchés d'un superflu gigantesque, l'autre en dépouillant ces marchés d'un approvisionnement nécessaire : c'était d'un côté profusion folle, et de l'autre soustraction vexatoire; excès en tous genres et confusion en mécanisme, voilà le commerce, l'idole des sots. Souvent on trouve 3 et 4 caractères influant combinément dans une machination mercantile ; comment parvenir à la cure du mal, quand nos économistes, loin de vouloir analyser cette complication de ressorts, s'étudient à les déguiser, les farder de sagesse ? Je viens de définir deux caractères du commerce anarchique nommé libre concur¬rence, en m'étayant d'événements récents ; car il faut, en pareille analyse, démontrer par application à des faits connus. Combien d'autres caractères malfaisants pourrait-on énumérer dans une stricte analyse du système commercial actuel ! J'en ai une liste de 72, dont 36 énoncés au traité (II,219). Chacun de ces caractères emploierait, même en définition succincte, un fort cha¬pitre (total, 72 chapitres), pour donner des exemples variés et tirés de faits notoires, comme celui qui vient d'être cité. En outre, certains caractères, tels que l'agiotage, la banqueroute, pourraient employer chacun une dizaine de chapitres, si on en définissait les espèces et variétés. Et pourtant le commerce n'est qu'une branche du mécanisme civilisé : deux volumes tels que celui-ci ne suffiraient pas à l'analyse des caractères du commerce, même en négligeant les détails de pratique, tels que les fourberies de chaque métier, dont Bacon voulait qu'on dressât des tableaux circonstanciés. On aurait bien à faire aujourd'hui de composer ce tableau : il formerait un ouvrage plus énorme que l'Ency¬clopédie, tant le perfectionnement du commerce a raffiné et multiplié les fourberies. Je ne propose ici que le tableau des caractères, que l'analyse des ressorts principaux; j'essaie d'en citer seulement une douzaine des plus saillants, pour signaler la perfidie de la science qui garde le silence, et sanctionne un régime d'où naissent de telles infamies. Agiotage. Salaire décroissant. Accaparement. Disettes factices. Banqueroute. Lésion sanitaire. Usure. Estimation arbitraire. Parasitisme. Fausseté légalisée. Insolidarité. Monnaie individuelle. Sur ces douze, quelques-uns peuvent paraître peu intelligibles jusqu'à l'expli¬cation ; mais il en est au moins six qui seront très bien compris, et dont chacun pourra dire: comment se fait-il que la science dite ÉCONOMISME, qui traite du commerce, n'ait pas donné des chapitres d'analyse sur ces caractères, et sur tant d'autres ? Ici, comme au chapitre 42, remarquons les caractères engrenés qui naissent l'un de l'autre ; tels sont : La distraction de capitaux, l'abondance dépressive. On voit les capitaux affluer chez la classe improductive : les banquiers et mar¬chands se plaignent fréquemment de ne savoir que faire de leurs fonds; ils en ont à 3 %, quand le cultivateur ne peut pas en avoir à 6 %; il est réduit à traiter avec des gens d'affaires qui, prêtant à 5 % nominalement, perçoivent réellement 16 et 17 % par les charges accessoires et indirectes. Tout l'argent est concentré dans le commerce, vampire qui pompe le sang du corps industriel, et réduit la classe productive à se livrer à l'usurier. Par suite, les années d'abondance deviennent un fléau pour l'agri¬culture : une disette commence à obérer le laboureur, comme on l'a vu en 1816; l'abondance de 1817 vient consommer sa ruine, en le forçant à vendre les grains subitement, et au-dessous de la valeur réelle, pour satisfaire ses créanciers. Ainsi le mécanisme qui distrait tous les capitaux pour les concentrer dans le commerce, réduit par contrecoup l'agriculture à gémir de l'abondance de denrées dont elle n'a ni vente, ni consommation, parce que, la consommation étant inverse (69), la classe qui produit ne participe pas à cette consommation. Aussi les propriétaires et cultivateurs sont-ils réduits à désirer les fléaux, grêles et gelées ; on a vu en 1828 l'épouvante dans tous les pays vignobles, en juin où ils craignaient une bonne récolte, et une abondance dépressive. Ne suffirait-il pas de ces monstruosités politiques, pour prouver que le système actuel du commerce est un MONDE à REBOURS, comme tout le mécanisme civilisé ? Mais tant qu'on ne voudra pas analyser les caractères, comment parviendra-t-on à se diriger dans ce labyrinthe ? Nous avons à profusion des faiseurs de systèmes commerciaux, dont le talent est d'encenser tous les vices de l'hydre mercantile : on sera fort étonné, quand on verra la franche analyse du système commercial men¬songer, d'avoir été si longtemps dupes d'un désordre que l'instinct nous dénonce en secret, car le commerce est haï de toutes les autres classes. Il suffirait de l'extrême fausseté où il est parvenu, pour dessiller les yeux; la fourberie, l'altération de toutes les matières est à tel point, qu'on doit désirer le monopole général comme PRÉSERVATIF contre le commerce. Une régie serait bien moins fausse, elle donnerait au moins des denrées naturelles à qui y mettrait le prix, tandis qu'il est impossible aujourd'hui d'obtenir du commerce rien de naturel : on ne trouverait pas dans Paris un pain de sucre qui ne fût mélangé de betterave, pas une tasse de lait pur, pas un verre d'eau-de-vie pure, chez tous les crémiers et cafetiers de Paris. Le désordre, la vexation sont au comble, et le commerce ne pouvait pas tarder longtemps à subir une punition éclatante, qu'auraient amenée la pénurie fiscale et la vindicte publique. Bientôt l'anarchie de fourberie aurait été remplacée par le MONOPOLE PRÉSERVATIF ; c'est un pis-aller auquel tendait secrètement Bona¬parte, et auquel on eût été forcé d'en venir à défaut d'invention du vrai correctif. Du reste, tous les peuples, fatigués des extorsions commerciales, auraient applaudi avec transport au châtiment des sangsues qu'on appelle marchands, dont la chute aurait constitué l'entrée en 4e phase de civilisation, en féodalité industrielle (446). Chapitre XLIV Caractères du commerce, EN ESPÈCES. Chacun des caractères de genre, comme agiotage, banqueroute, etc., peut présen¬ter une grande échelle d'espèces et de variétés qu'il eût fallu analyser et classer : au lieu de le faire, on s'est amusé de quelques-unes de ces variétés assez risibles, comme la banqueroute du savetier qui ne rend qu'une botte sur deux qu'on lui a données à raccommoder. C'est une faillite de 50 % qui, sur les théâtres, devient une banqueroute pour rire; mais n'est-il point de banqueroute pour pleurer ? Quand un banquier enlève les dépôts confiés par vingt pauvres domestiques, dont chacun a supporté des privations pendant vingt ans pour se ménager quelques épargnes, est-ce une chose risible, ou un crime à punir ? Que de dépravations dans le monde philosophique! La littérature est une prosti¬tuée qui ne s'étudie qu'à nous familiariser avec le vice, le peindre sous des couleurs plaisantes, pour attirer des recettes aux salles de comédie. La morale est une radoteuse discréditée qui n'ose pas déclamer contre les vices impunis, tels que la banqueroute ; elle flagorne toutes les classes de larrons, pour s'en faire des prôneurs et faciliter la vente de ses livres. Quant à l'économisme, qui ne sait rien inventer, il ne cherche qu'à innocenter les vices de ses favoris les marchands. C'est ainsi qu'aucune des sciences ne songe à remplir sa tâche, l'analyse des vices de civilisation et la recherche du remède. Contre la banqueroute, l'agiotage, les menées mercantiles, il n'est qu'un remède (hors de l'harmonie sociétaire), c'est la SOLIDARITÉ ; mais c'est une opération de longue haleine : elle emploierait 6 ans; et, de plus, il fallait en inventer le procédé qui n'est point l'engagement direct. Personne ne voudrait y souscrire, se rendre garant pour les autres marchands ; tout riche négociant quitterait : il faut au contraire opérer de manière à éliminer tous les pauvres qui ne présentent pas de garantie, les renvoyer au travail productif, aux cultures, aux fabriques. Ensuite il y aurait encore des procédés neufs à employer pour amener les riches à la solidarité. Mais ce nouveau mode commercial, garant de vérité et de solvabilité, exigeait des inventions ; et dès qu'il faut inventer, nos sciences philosophiques sont d'accord pour lâcher pied sans combat. Il est bien plus commode et plus lucratif d'encenser les vices dominants tels que la banqueroute, afin de se dispenser d'en chercher l'antidote politique. « Nous ne l'encensons pas, répliquent-ils, nous la flétrissons dans tous nos écrits. » Eh ! qu'importent ces verbiages impuissants ! C'est prêter appui au vice que de se borner à le flétrir; il se rit des critiques littéraires quand il tient la richesse et qu'il voit les moralistes mêmes empressés de figurer dans ses salons. Il faut au lieu de critiques du mal, une invention de l'antidote. Et pour remédier aux vices, il faut avant tout les définir et les classer. J'ai donné (III, 124) sur la hiérarchie de la banqueroute, un tableau en 3 ordres, 9 genres et 36 espèces. On pourrait aisément étendre cette liste au triple et au quadruple; car il en paraît chaque jour de nouvelles espèces, tant cette industrie se perfectionne, surtout en banqueroutes fiscales, où la France vient d'inno¬ver par le genre doubledupe, amphidupe, aidant elle-même à se faire spolier de diverses manières. Puisque notre siècle exige que dans l'attaque du vice, on prenne le ton facétieux, castigat ridendo ; qu'on évite la teinte rébarbative des moralistes du siècle passé, il eût été bien aisé de le satisfaire, tout en flétrissant le vice; car dans le tableau de la banqueroute cité plus haut, j'ai présenté en sens plaisant chacun des 9 genres et chacune des 36 espèces; par exemple : le 5e genre, celui des TACTICIENS, comprenant 5 espèces de banqueroute, 17e, en échelons ; 18, en feu de file ; 19, en colonnes serrées ; 20, en ordre profond ; 21, en tirailleurs. Ces cinq espèces formant l'un des genres du centre de série (III, 124), sont en analogie très exacte avec les manœuvres militaires; aussi ai-je donné, à ce genre et au précédent, les noms de tacticiens et manœuvriers. Il est donc fort aisé de satisfaire au précepte oratoire de remontrance amusante, castigat ridendo, tout en se ralliant à la vérité et en donnant de franches analyses du vice. Je pourrais, selon la méthode des journalistes, donner ici une liste des espèces de banqueroutes, pour faire désirer les chapitres; chacun serait curieux de lire une définition des banqueroutes dont suit le nom : Sentimentale, enfantine, cossue, cosmopolite ; Galante, béate, sans principes, à l'amiable ; De bon ton, de faveur, au grand filet, en miniature, En casse-cou, en tapinois, en Attila, en invalide ; En filou, en pendard, en oison, en visionnaire ; En posthume, en famille, en repiqué, en poussette. Le détail de ces sortes de banqueroutes fournirait des chapitres amusants, d'autant mieux que je suis enfant de la balle, né et élevé dans les ateliers mercantiles. J'ai vu de mes yeux les infamies du commerce, et je ne les décrirai pas sur des ouï-dire, comme le font nos moralistes qui ne voient le commerce que dans les salons des agio¬teurs, et n'envisagent dans une banqueroute que le côté admissible en bonne compagnie. Sous leur plume, toute banqueroute (surtout celles d'agents de change et banquiers) devient un incident sentimental, où les créanciers même sont redevables au failli qui leur fait honneur en les colloquant dans ses nobles spéculations. Le notaire leur annonce l'affaire comme une fatalité, une catastrophe imprévue causée par les malheurs des temps, les circonstances critiques, les revers déplorables, etc. : début ordinaire des lettres qui notifient une faillite. Au dire du notaire et des compères qui ont en secret une provision sur le tout, ces faillis sont si honorables, si dignes d'estime !!! Une mère tendre qui s'immole au soin de ses enfants; un vertueux père qui ne les élève qu'à l'amour de la charte ; une famille éplorée, digne d'un meilleur sort, animée de l'amour le plus sincère pour chacun de ses créanciers! Vraiment ce serait un meurtre que de ne pas aider cette famille à se relever; c'est un devoir pour toute âme honnête. Là-dessus interviennent quelques aigrefins moraux à qui on a graissé la patte, et qui font valoir les beaux sentiments; la commisération due au malheur; ils sont appuyés par de jolies solliciteuses, fort utiles pour calmer les plus récalcitrants. Ébranlés par ces menées, les trois quarts des créanciers arrivent à la séance tout émus et désorientés. Le notaire, en leur proposant une perte de 70 %, leur dépeint ce rabais comme effort d'une famille vertueuse qui se dépouille, se saigne pour satisfaire aux devoirs sacrés de l'honneur. On représente aux créanciers, qu'en conscience ils devraient, au lieu de 70 % en accorder 80, pour rendre hommage aux nobles qualités d'une famille si digne d'estime, si zélée pour les intérêts de ses créanciers. Là-dessus quelques barbares veulent résister; mais les affidés répandus dans la salle prouvent, en a parte, que ces opposants sont des gens IMMORAUX; que tel ne fréquente pas les offices de paroisse; que tel autre a une maîtresse entretenue ; que celui-ci est connu pour un harpagon, un usurier; que celui-là a déjà fait une faillite ; c'est un cœur de roche sans indulgence pour ses compagnons d'infortune. Enfin la majorité des titulaires abonne et signe le contrat; après quoi le notaire déclare que c'est une affaire très avantageuse pour les créanciers, en ce quelle prévient l'inter¬vention de la justice qui aurait tout consumé, et qu'elle fournit l'occasion de faire une bonne oeuvre, en aidant une famille vertueuse. Chacun (ou du moins chacun des sots qui forment la majorité), s'en va rempli d'admiration pour la vertu et les beaux sentiments dont cette digne famille est le modèle. Ainsi se conduit et se termine une banqueroute sentimentale, où on rafle au moins les deux tiers de la créance ; car la banqueroute ne serait qu'honnête, et non pas sentimentale, si elle se limitait à un escompte de 50 %, tarif si habituel, qu'un failli en se bornant à ce taux modéré, n'a pas besoin de mettre en jeu les ressorts de l'art. A moins d'imbécillité du banqueroutier, une affaire est sûre quand on ne veut gruger que 50 %. Si l'on eût publié un ouvrage décrivant une centaine d'espèces de banqueroute, avec plus de détails que je n'en donne ici sur la sentimentale, ce livre aurait fait con¬naître l'une des gentillesses du commerce, l'un de ses caractères. Quelques écrits sur d'autres caractères, comme l'agiotage, l'accaparement, auraient fait ouvrir les yeux, et provoqué les soupçons sur le mécanisme commercial nommé libre con¬currence, mode le plus anarchique et le plus pervers qui puisse exister. Un scandale bien honteux pour notre siècle, est que le monde savant, surtout les moralistes, n'aient pas mis au concours la recherche du correctif naturel de la ban¬queroute. C'est à leur silence officieux sur les dépravations les plus révoltantes, qu'on peut juger des vues secrètes de la science. Elle ne veut que vendre des livres, les composer en l'honneur du vice, parce que c'est un ton plus marchand que celui d'attaque du vice. Un seul homme a bien jugé le tripot commercial, c'est Bonaparte qui en a dit : On ne connaît rien au commerce. Il brûlait de s'en emparer, et ne savait comment s'y prendre ; déjà il avait envahi indirectement une belle branche, celle des denrées coloniales qu'il tenait en monopole, au moyen des licences d'entrée ; il méditait d'autres empiétements, celui du roulage, etc. Ainsi l'esprit fiscal tend fortement à s'emparer du commerce ; il ne lui reste qu'à connaître la méthode à suivre pour saisir la proie sans secousse et au grand contentement des peuples. En France, le gouver¬nement gagnerait deux cents millions à la métamorphose du système commercial, et l'agriculture un milliard. L'un des caractères commerciaux qui intimidaient Bonaparte, était la répercussion ou faculté qu'a le commerce de reporter sur la masse industrieuse toute lésion qu'il éprouve de la part du gouvernement. Dès que le commerce est menacé, il resserre les capitaux, il sème la défiance, entrave la circulation; il est l'image du hérisson que le chien ne peut saisir par aucun point : c'est ce qui désole en secret tous les gouver¬nements, et les réduit à fléchir devant le veau d'or. Un jour le ministre Wallis voulut à Vienne regimber contre les menées de la bourse, y introduire une police contre l'agiotage; il fut déconfit et obligé de céder honteusement. Il faut des inventions pour lutter contre l'hydre commerciale, c'est le sphinx qui dévore ceux qui ne devinent pas son énigme ; du reste, il n'est rien de plus facile à attaquer que ce colosse de men¬songe ; quand on connaîtra les batteries à employer, il ne pourra pas même essayer de résistance. Les manufactures qu'il faut se garder de confondre avec le commerce, y touchent en divers points, surtout par la faculté de tromperie, accaparement, banqueroute, etc. ; elles doivent subir une réorganisation, être assujetties à double solidarité contre les fraudes et banqueroutes, et contre l'abandon des ouvriers. Tel fabricant possède une fortune de vingt millions, quoique ayant débuté sans le sou; si les solidarités exis¬taient, il n'aurait gagné que cinq millions ; cinq autres auraient été affectés aux garanties solidaires, et dix auraient passé au fisc. Tel est le régime distributif d'où naîtrait le bon ordre; mais tant que les sciences aduleront cet état monstrueux, qui fait passer vingt millions dans les mains d'un seul fabricant, et tant que les gouvernements ne suspecteront pas cette anarchie, ne provoqueront pas quelque invention de correc¬tifs, peuples et gouvernements seront les jouets de ce colosse mercantile qui grandit chaque jour, et dont l'influence croissante est un sujet d'alarme secrète pour les castes supérieures. On a créé en France 300 académies d'agriculture quelle devait être leur première fonction ? s'occuper des moyens de ramener les capitaux dans la campagne, ouvrir des concours sur ce sujet : aucune d'elles n'y a songé. Cependant quel essor peut prendre l'agriculture, tant qu'elle ne trouve pas le moyen d'obtenir des capitaux au même cours que le commerce ? Les sociétés agricoles, qui ne donnent aucune atten¬tion à ce problème, ne seraient-elles pas, selon l'Évangile, trois cents cohortes d'aveugles, conduisant trente millions d'aveugles. Il règne sur ces questions de réforme commerciale tant de cécité et de prévention, qu'on n'a pas même le pouvoir de dénoncer le vice. Un jour le fameux critique Geoffroy voulut hasarder dans son feuilleton quelques plaisanteries fort justes sur les vices du commerce, il fut assailli, criblé par les autres journaux ; il se radoucit et se tint pour battu. C'était lui qui avait raison et qui capitula, tant il est vrai, comme l'a dit un trop fameux défunt, qu'on ne connaît rien au commerce. La philosophie n'a pas voulu qu'on acquît sur ce point des notions exactes; elle connaissait fort bien la route à suivre : elle nous dit sans cesse qu'il faut procéder par analyse et synthèse pour atteindre aux lumières; elle devait donc, en études commer¬ciales, commencer par l'analyse des ordres, genres et espèces de caractères, selon le plan que je viens de tracer, et que chacun eût pu tracer avant moi. Ce travail une fois fait aurait fourni les moyens de passer à la synthèse du mode véridique, ou régime des garanties. Mais, sur le commerce comme sur les autres branches du système civilisé, la philosophie, tout en posant de bons principes d'études, n'en a jamais voulu pratiquer aucun ; faut-il s'étonner après cela que le génie moderne soit noueux et stérile; que le mouvement soit stationnaire et souvent rétrograde, en dépit des jactances de vol sublime; et qu'on ne sache atteindre à aucune amélioration du sort des peuples, quand il reste à faire tant de découvertes faciles qui conduiraient au but ? (Voyez section VII. Intermède, issue du chaos social.) Le monde social est trahi par ses beaux esprits : telle sera ma conclusion quand j'aurai achevé cette analyse qui les convainc de refus d'étude et collusion d'obscuran¬tisme. Toutefois, si le monde est leur dupe, ils sont doublement dupes d'eux-mêmes, en cherchant la fortune par des spéculations abjectes, par l'apologie de cette civili¬sation qui est l'objet de leurs mépris secrets, et qui les accable de toutes les servitudes sans les enrichir. Quel rôle honteux que d'opter pour encenser une vieille furie qui les bâillonne, tandis qu'en la démasquant, en la livrant à la risée, ils deviendraient les libérateurs de l'humanité ; ils s'élèveraient tout à coup au faîte de la fortune et de la gloire et au libre essor de la pensée, qu'ils n'obtiendront jamais en civilisation! J'ai défini, en caractères civilisés, 2 ordres de base, les successifs et les perma¬nents, et 2 de lien ou négoce. Passons à 4 autres ordres qui complètent l'analyse. Section VI : Analyse de la civilisation Douzième notice Caractères de fanal et d’écart Chapitre XLV Caractères de répercussion harmonique. Il est aisé de comprimer les passions par violence : la philosophie les supprime d'un trait de plume ; les verrous et le sabre viennent à l'appui de la douce morale. Mais la nature appelle de ces jugements, elle reprend en secret ses droits : la passion étouffée sur un point se fait jour sur un autre, comme les eaux barrées par une digue; elle se répercute comme l'humeur de l'ulcère fermé trop tôt. Naturam expellas furca tamen usque recurret. Cette récurrence ou retour des passions vers leurs buts (89), vers le luxe, les groupes, le mécanisme et l'unitéisme, produit des effets comparables à celui qu'on appelle en physique DIFFRACTION, ou réflexion des couleurs à la surface des corps noirs et opaques. La civilisation est, au figuré, un corps opaque, tout noir de fourberie et de crime ; cependant elle présente quelques reflets d'harmonie. Une description va expliquer cet effet, apprendre à discerner un ordre de caractères bien précieux et bien inconnus. Je choisis 2 exemples tirés du jeu et du bon ton ; ce sont deux effets de passions répercutées, deux récurrences de la cabaliste et de l'unitéisme. Le JEU est un aliment factice qu'on donne à la manie d'intrigue dont l'homme est possédé par aiguillon de la 10e passion, dite cabaliste (112). Les esprits vides, comme les paysans, aiment beaucoup le jeu ; il développe en eux la passion dite cabaliste, qui n'a guère d'aliment sous le chaume ; il plaît de même aux têtes ardentes, faute d'activité suffisante en intrigue : il convient à une compagnie d'étiquette, parce que la vérité en est bannie par les convenances ; la passion ne peut pas s'y montrer, tout y est glacial ; il faut créer à cette assemblée une intrigue artificielle par le moyen des cartes; mais on ne proposera pas les cartes à des gens qui ont une véritable intrigue en action : un conciliabule d'agioteurs qui machinent un coup de filet, une rafle pour la bourse du lendemain; des amants qui se réunissent en orgie galante pendant les instants où les pères sont absents ; des conspirateurs qui se concertent au moment de frapper le grand coup, regarderaient en pitié la proposition de jouer aux cartes. Là où est l'intrigue réelle, il n'est pas besoin d'intrigue factice comme celle du jeu, des romans, de la comédie, etc. Aussi les harmoniens n'auront-ils emploi des cartes que pour les malades et infirmes, hors d'état de prendre une part active aux intrigues industrielles, qui préoccuperont tellement, qu'aucun être en santé ne voudra jouer ; il n'aura déjà pas assez de la journée pour subvenir aux intrigues réelles qui seront au nombre d'une trentaine chaque jour, à n'en supposer que deux par chaque séance industrielle ou autre. Le BON TON est un effet de la passion unitéisme (92), qui se répercute faute d'essor. Le bon ton, en civilisation, n'entraîne qu'à l'oisiveté, au train de vie des gens dits comme il faut, qui sont oisifs, oppresseurs de la multitude laborieuse. Il y a pourtant dans le bon ton un très beau côté qui est l'unité passionnée en mœurs et usages. C'est un brillant effet du bon ton, que de déterminer toute la belle compagnie d'Europe à adopter des langages unitaires, comme le français pour la conversation, et l'italien pour la musique. Sous ce rapport, le bon ton est image renversée de l'harmo¬nie sociétaire, où les mœurs ne régneront que par le consentement unanime, sans intervention de morale, ni de lois, encore moins de châtiments. Mais le bon ton chez les harmoniens entraînera au travail productif; il dirigera à ce but toutes les classes et toutes les passions. Chez nous, au contraire, il n'excite qu'à l'indolence et aux mœurs dangereuses; il est donc image renversée et non pas image directe de l'unitéisme, qui conduirait à l'industrie. Il en est de même de la 10e passion, la cabaliste, citée plus haut : ses intrigues ne tourneront en harmonie qu'à l'avantage de l'industrie; chez nous, elles ne produisent que le mal, en tout sens, par le jeu et autres désordres qui sont image des cabales industrielles de l'harmonie, mais images renversées produisant le mal. Il existe une grande différence de propriétés entre les deux répercussions que je viens de citer. Le bon ton produit des effets brillants et souvent très utiles, dont le seul tort est de ne pas entraîner à l'industrie; le jeu produit des effets odieux, la ruine des familles, le crime, le suicide. Il faut donc distinguer, dans les passions répercutées ou récurrentes, deux genres très opposés : l'harmonique et le subversif. Celles qui con¬duisent aux accords, comme le bon ton, sont du genre précieux que je nomme harmonique, ou récurrence directe vers le but; celles qui conduisent aux discordes et aux crimes, sont du genre malfaisant que je nomme subversif, ou récurrence inverse vers le but. Les deux genres ont une propriété commune et très brillante, c'est de donner, en mode renversé, des images de l'harmonie ; d'en peindre tous les détails dans le jeu des passions répercutées. (Leur nom régulier serait DIFFRACTÉES, mais on ne veut point de mots scientifiques.) Précisons bien le sens de cette expression, image en mode renversé : les passions répercutées, au lieu de conduire le monde social 1, au luxe, 2, aux séries de groupes, 3. au mécanisme, 4, à l'unité, le conduisent à l'appauvrissement, à la désunion, à la confusion, à la duplicité d'action. Elles opèrent comme un miroir qui renverse l'objet tout en le retraçant fidèlement; en effet, les violentes émotions des joueurs de tripot élèvent la passion au même degré de véhémence où s'élèveront les intrigues indus¬trielles de l'harmonie, qui stimuleront plus vivement que nos fêtes civilisées ; et de même la docilité, l'unité passionnée d'une réunion de cour pour les manières dites bon ton, malgré la gêne qui y est attachée, cette déférence mutuelle, est l'image de l'accord unitaire des harmoniens pour la distribution judicieuse des relations industrielles, aussi utiles que les momeries d'étiquette sont superflues. Un détail très intéressant dans l'analyse de ces caractères, que je nomme réper¬cutés ou récurrents (nom que leur donne Horace), est de distinguer leur engrenage, discerner à quelle période sociale ils sont empruntés. S'il est vrai, selon les philosophes, que tout est lié dans le système de l'univers (49), chacune des neuf périodes sociales, mentionnées à l'avant-propos, doit se lier aux autres par certains caractères empruntés des périodes supérieures ou inférieures, et formant engrenage de son système dans ces périodes. Athènes, quoique société civilisée, engrenait dans la société barbare, par l'esclavage des industrieux et par les cruautés exercées envers eux. Nous engrenons en barbarie par le code militaire, coutume pleinement barbare, quoique nécessaire. Le besoin et l'instinct forcent cha¬que période à emprunter sur ses voisines : ainsi le système monétaire, tout opposé aux règles de la libre concurrence, est un emprunt sur la période 6, GARANTISME, où l'on saurait organiser les vraies garanties sociales dont la civilisation n'a aucune connaissance dans ses bavardages de liberté. Les barbares mêmes opèrent cet engrenage de caractères, et franchissent la période civilisée pour aller emprunter, sur la période 6e, garantisme, le caractère nommé parmi nous système monétaire, qui n'est qu'un rameau de la concurrence véridique ou RÉGIE EXCLUSIVE CONTRE-BALANCÉE. La civilisation, 5e pério¬de, franchit de même le garantisme, 6e période, pour emprunter sur la 7e, SOCIANTISME, séries industrielles simples, une coutume très ingénieuse ; celle des postes en relais, qui est une véritable série industrielle simple, opérant 1˚ en courtes séances, 2˚ en exercice parcellaire, 3˚ en échelle compacte. Ce sont les trois conditions requises pour une série industrielle (chap. V et VI). Répliquera-t-on que les postes en relais sont un usage de civilisation perfectible; qu'elles sont donc partie intégrante et caractère de civilisation ? Non vraiment; la poste en relais est un caractère d'emprunt, d'engrenage pris sur une période supé¬rieure. Le besoin des gouvernements leur a suggéré cette méthode ; l'instinct en a fait aisément l'invention : elle n'est pas moins un caractère ultra-civilisé, et qui prouve, ainsi que le régime des monnaies, que tout ce que nous avons de bon en civilisation est étranger à cette société, et provient d'engrenages ou caractères empruntés sur des sociétés plus élevées. La méthode civilisée consisterait à se voiturer avec les mêmes chevaux qui, pour vous conduire de Paris à Lyon, emploieraient 200 heures au moins, tandis que la poste vous y mène en 43 heures. C'est quadruple bénéfice de temps : si la poste est plus coûteuse, cela tient aux lacunes industrielles du régime civilisé. La poste, en harmonie, coûtera bien moins que le voyage à mêmes chevaux; mais dès à présent, la poste en relais nous donne déjà sur le temps, une économie du quadruple. C'est la propriété générale des séries industrielles de donner quadruple bénéfice, en tout parallèle avec l'industrie civilisée. À quelle branche de passion se rattache cette invention de la poste en relais, qui n'était pas connue des anciens ? Elle tient à l'ambition et au tact; à l'ambition, par impatience de célérité dans les entreprises et les relations; au tact, par impatience du dégoût causé par la voiture au pas. C'est donc, je l'ai dit plus haut, un effort de passions entravées sur quelque point, et qui se font jour sur un autre point : c'est une répercussion ou récurrence de genre harmonique, puisqu'elle produit le bien; elle est subversive en quelques points, comme dans la coutume française de surcharger, forcer et crever les chevaux de poste, qui seront ménagés, en harmonie, plus que ne le sont aujourd'hui les petites maîtresses. Le seul caractère de répercussion, nommé postes en relais, fournirait un ample chapitre, si je voulais l'analyser en plein. Que serait-ce d'une analyse de 100 carac¬tères de répercussion dont j'ai le recueil ! Qu'on juge par là de l'énorme travail qu'exigerait une analyse de civilisation ! Voilà un seul ordre de caractères qui emploierait 100 chapitres. Sans ce triage des caractères, sans ce classement qui rapporte à chaque période ce qui lui appartient, on ne peut pas juger des progrès ou déclins sociaux. C'est faute de ce triage que les philosophes s'embrouillent à qui mieux mieux dans leurs opinions sur cette société : elle est 5e en échelle. Avance-t-elle, quand elle conserve des caractères d'échelon, n° 2e sauvage, 3e patriarcal, 4e barbare, dont elle devrait cher¬cher à se dégager ? Loin de là, notre civilisation, dite perfectible, s'obstine à engrener en sauvagerie par déni de minimum, abandon des vieillards et des pauvres ; vice pardonnable aux sauvages, parce que, dans les disettes, la horde n'a réellement pas de quoi alimenter celui qui ne chasse ni ne pêche : mais la civilisation est-elle recevable à dire qu'elle manque d'approvisionnements ? Aux caractères sauvages, elle en joint d'autres, empruntés de périodes patriarcales et barbares ; tant qu'on ne distinguera pas ce mélange, il sera impossible de voir clair dans le dédale nommé CIVILISATION. Sur une liste d'environ 50 caractères de répercussion harmonique, il en est très peu qui ne soient d'un vif intérêt, par la surprise et la confusion qu'ils exciteraient, en prouvant que la civilisation n'a de bon que ce qu'elle vole aux périodes supérieures, comme les caractères suivants qui sont autant de larcins, ou si l'on veut, des emprunts, des engrenages sur le mécanisme des garanties, 68 période. 1. L'unité scientifique, ou accord des sociétés savantes, malgré les guerres et rivalités nationales. 2. La guerre mixte ou relations amicales, hors de combat, entre les troupes belligérantes. 3. Les ouvriers artistes, figurant au théâtre en acteurs et choristes (usage d'Italie, de Toulouse). 4. Les quarantaines sanitaires. 5. Les lettres de change avec solidarité d'endosseurs. 6. Les assurances, tant individuelles que mutuelles. 7. Les défenseurs d'office. 8. Les caisses d'épargne, de coopération parcellaire. 9. Les retenues de vétérance. 10. Les caisses d'amortissement. 11. Les prud'hommes et arbitres. 12. Les cautionnements en garantie industrielle. ><. L'ébauche du système d'unité métrique. La philosophie revendiquera ces caractères ultra-civilisés, comme perfectionne¬ment de son cru, et tenant au domaine de la civilisation perfectible ; il n'en est rien, ce sont des enjambements, des engrenages en périodes supérieures; leur invention, comme celle des relais de poste, est due à l'instinct, au besoin, et non à la science qui da pas même pu faire adopter le caractère d'unité métrique, dont elle a essayé l'intro¬duction et manqué en plein le système naturel. Elle répondra: si, selon la table qui précède, nous avons adopté, soit par instinct, soit par génie scientifique, douze caractères précieux d'une période supérieure, caractères qui appartiennent au garantisme, nous sommes donc identifiés avec cette période, et il est irrégulier de vouloir la distinguer de la civilisation ? Non, vous n'êtes point parvenus à cette période et vous n'y tendez même pas. Vous êtes embourbés dans l'ornière civilisée : on ne sort d'une période qu'autant qu'on en quitte les carac¬tères pivotaux ; or, vous ne tentez aucunement de sortir des pivots de civilisation, tels que le morcellement agricole et domestique, et autres pivots généraux dont je n'ai pas donné la table au chapitre 42 ; vous ne songez pas même à abandonner les pivots partiels, ou pivots de phases, exposés au chapitre 41; car vous vous obstinez à maintenir les caractères de 3e phase, tels que le monopole maritime insulaire que vous avez renforcé par une lutte maladroite, et vous vous cramponnez sur certains caractères de 2e phase, tels que les illusions du gouvernement représentatif qui, dans divers cas, conduit à la rétrogradation. Vous êtes donc en marche rétrograde plutôt qu'en marche ultrograde. La preuve en est qu'on ne sait pas tirer parti de deux germes déjà anciens (446), monts-de-piété et maîtrises, dont une modification judicieuse élèverait la civilisation de sa 3e à sa 4e phase. Au résumé : loin d'avancer vers les garanties, vers la période 6e, nous n'avançons pas même dans la carrière civilisée dont nous ne savons pas organiser la 4' phase. Au reste, ce qui prouve l'ignorance générale sur ce sujet, c'est que l'Europe a chanté le progrès rapide de l'Égypte vers la civilisation, quand l'Égypte ne faisait que ce que fait aujourd'hui la Turquie, passer de 3e en 4e phase de barbarie, progrès qui ne tend pas plus à la civilisation, que la civilisation, dans son état actuel, ne tend au garan¬tisme dont elle s'éloigne très maladroitement par l'esprit mercantile. Brisons sur ce sujet, puisqu'on ne peut en traiter qu'avec des lecteurs qui connaî¬traient en plein les phases et caractères des diverses périodes; achevons de leur faire connaître les caractères de civilisation, avant de leur expliquer comment cette société, vraie torpille en politique, ne fait qu'entraver les progrès du génie social, tout en se flattant, à chaque instant, de lui imprimer un vol rapide vers la perfectibilité. Chapitre XLVI Caractères de répercussion subversive. Je les ai définis au chapitre 45 ; il reste à en donner quelques exemples, comme celui du JEU, déjà décrit : c'est un caractère opérant sur des individus; il faut citer un de ceux qui opèrent sur des masses. Je choisis le janissariat politique. Je comprends sous ce nom toute corporation affiliée qui envahit le pouvoir, maî¬trise le gouvernement et s'empare des fonctions principales, ou les fait donner à ses agents dans toute l'étendue d'un empire, comme faisaient les janissaires dans l'empire ottoman, où ils jouaient aux boules avec les têtes des ministres, et obligeaient le sultan à leur présenter, dans un bassin d'argent, ces têtes des grands qu'ils avaient proscrits. La secte des jacobins a joué un grand rôle en janissariat ; elle a bien des succes¬seurs : sa tactique a passé chez ses adversaires; le jacobinisme, comme Élie, a légué son manteau; et l'on ne voit sous diverses couleurs que des jacobinières ou janissariats politiques, des ligues affiliées qui veulent tout maîtriser, tout envahir, comme les jacobins. Uno avulso, non deficit alter. C'est un caractère inhérent à la civilisation; il était moins sensible en 1788, parce que les janissaires, sous le nom de NOBLESSE, étaient plus nombreux, mais tendant, comme les janissaires ottomans, à tout envahir; car sous Louis XVI ils avaient fait exclure le tiers-état du service militaire et de la majeure partie des emplois. Ce fléau de janissariat est l'effet d'une passion répercutée : l'ambition tend à for¬mer des séries graduées hiérarchiquement; elles se formeraient dans l'état sociétaire pour s'appliquer à l'industrie productive; mais comme l'industrie n'est point attrayante chez nous, l'ambition se répercute sur l'autorité qu'elle envahit, et qu'on ne songerait pas à envahir fédéralement dans l'harmonie, où cela ne serait pas possible. On voit aussi des janissariats subalternes dans l'industrie commerciale, où la classe opulente organise des envahissements fédéraux : elle marche à ce but sous le masque d'esprit d'association. Sitôt qu'elle connaîtrait le moyen d'étendre ses empiéte¬ments industriels (moyen dont elle a manqué la découverte), elle envahirait les fonctions administratives à la suite des commerciales. C'est toujours au gouvernement que tendent ces sectes de janissaires politiques : leur malignité va croissant, et c'est un fâcheux avenir pour la civilisation actuelle, qui ne sait qu'engendrer de nouveaux caractères vicieux ou renforcer les anciens. Le jeu, quant aux passions individuelles, Et le janissariat, quant aux passions collectives, fournissent des définitions très exactes de passions répercutées qui ne produisent que le mal: ce sont deux récurrences de genre subversif. Les philosophes croient que ce sont des vices accidentels ; non, ils sont essentiels et inhérents à toute période sociale qui manque d'intrigues utiles; aussi les sauvages sont-ils très passionnés pour le jeu, et encore plus pour les ligues fédérales d'envahissement. Dans tout effet de passion récurrente ou répercutée, il faut toujours observer l'image renversée des usages de l'harmonie: remarquons-la dans un 3e caractère de répercussion subversive ; c'est le monopole effleuré ou tâtonné : on en voit poindre des rameaux dans chaque empire civilisé. En France, monopole des tabacs ; en Russie, de l'eau-de-vie ; en Espagne, de la morue; en Perse, de l'eau à boire. C'est partout qu'on retrouve la tendance au monopole, coutume vexatoire sans doute : c'est une image renversée de l'harmonie où le gouvernement régit tout le commerce, et où les phalanges ne souffriraient pas qu'aucun individu commerçât pour son compte. Mais le monopole général qu'exerce un gouvernement harmonien, présente aux admi¬nistrés des garanties plus complètes encore que celle du système monétaire actuel qui est vœu des peuples, quoique monopole ; car personne, excepté les frau¬deurs, ne voudrait que la monnaie fût livrée à la libre concurrence, et qu'on eût dans un empire mille monnaies de faux titres, pour l'honneur des libertés du commerce, qui sont autant de chaînes imposées au producteur et au consommateur. Les monopoles seraient donc tous utiles, s'ils pouvaient être organisés comme celui de la monnaie, en régie fiscale contrebalancée. Dès lors la tendance au mono¬pole général est un bien, sauf invention du régime des contrepoids; la nature doit donner ce penchant à tous les gouvernements, puisqu'il est leur destin : il est la fonction principale qui leur est réservée en harmonie. Ce penchant se manifeste par des lueurs de monopole, comme celui des tabacs ; ces monopoles partiels et dénués de contrepoids sont assurément vexatoires et, par cette raison, images renversées du régime d'harmonie, qui emploierait au bien général un procédé employé aujourd'hui à des vexations partielles. Ainsi que je l'ai fait pour les divers ordres de caractères, j'ajoute ici, sur les récur¬rents subversifs, une liste de douze non définis. Il serait inutile de donner des listes plus étendues, puisque chacun des caractères a besoin d'un paragraphe ou d'un chapitre de définition. 1. Bacchanales joyeuses. 2. Excès périodiques du peuple. 3. Récréations, fêtes et vacances. 4. Mendicité spéculative. 5. Polygamie secrète. 6. Prostitution publique et secrète. 7. Sérails où ils sont tolérés. 8. Exposition des enfants, si on la tolère. 9. Loteries et monopoles de vice. 10. Luttes sans cause, gavots et dévorants. 11. Joug des préjugés secoué par la classe haute. 12. Anoblissement du service domestique royal. X. Inertie nobiliaire. On ne comprendra point, sans commentaire, en quel sens chacun de ces caractères tient au genre dit récurrent subversif ; j'en vais donner, sur trois seulement, une légère idée. 1° Bacchanales joyeuses. D'où vient ce penchant du peuple à causer du dégât, se livrer au désordre dans ses divertissements ? Les enfants surtout sont sujets à cette manie de ravage, quand ils se mettent en gaieté. L'âge adolescent, dans la classe opulente, se livre aux mêmes folies : on ne verra guère un repas de Provençaux ou de Languedociens se terminer sans qu'on brise les vaisselles (si c'est en local libre, ou chez un traiteur). Cet effet de passion est un essor d'amitié qui conduit à l'opposé du but, car le premier but des passions est le LUXE ; or ce dégât inutile ne produit que l'appauvrissement; c'est un effort de passion comprimée qui fait éruption violente et va à son but, à l'enthousiasme, par les voies du mal, faute de pouvoir assouvir sa fougue cabalistique sur une industrie attrayante qu'on trouverait à chaque pas dans le mécanisme des Séries passionnées. 2° Excès périodiques du peuple, tels que les orgies du dimanche et du carnaval, où il consume le fruit de ses travaux : il est donc bien malheureux les autres jours ! Voit-on la classe opulente se livrer à ces excès ? Non, parce qu'elle a chaque jour l'abondance dont le peuple cherche une ombre dans ses folies ruineuses du dimanche et du lundi. 3° Récréations, fêtes et vacances. On est donc bien ennuyé aux jours et heures de travail, si l'on a besoin de ne rien faire pour être heureux ! Les harmoniens ne sauront pas ce que c'est que récréation; et pourtant ils travailleront beaucoup plus que nous, mais par attraction. Les séances de travail seront pour eux ce qu'est l'affluence de fêtes pour les sybarites parisiens, qui ne sont en peine que du choix des spectacles, des festins, des bals, des maîtresses, etc. Ce sont là trois effets vicieux où la fougue amicale, manie d'insouciance et de joie collective, marche à son but par des voies improductives ou nuisibles. Il eût fallu classer tous les jeux de passions qui tiennent à cet ordre; plus le tableau en serait nombreux, plus on sentirait la nécessité d'inventer un ordre de choses propre à rame¬ner la passion dans les voies d'utilité, lui donner un plein développement, un essor fougueux dans l'exercice de l'industrie productive. Cet effet n'a lieu que dans les Séries passionnées. D'après l'examen de cet ordre de caractères nommés récurrents ou répercutés, on peut apprécier l'impéritie des moralistes qui veulent réprimer les passions. Qu'en arrive-t-il ? Entravées sur un point, elles font éruption sur un autre ; elles vont à leur but par les voies désastreuses, au lieu d'y aller par les voies bienfaisantes. C'est pour le corps social double dommage, perte du produit qu'aurait donné la passion appli¬quée à l'industrie, et perte des frais de répression et de châtiment qu'il faut opposer à la passion égarée dans les voies du mal. Si la belle France ne commettait pas chaque année 120 000 crimes à procès, elle aurait le double bénéfice d'employer utilement les tribunaux, les gendarmes qui poursuivent les criminels, et d'utiliser de même des hommes que la compression a poussés au crime. Les moralistes répondent : il faut aimer la vertu et l'industrie! On peut leur dire : sachez les rendre aimables, elles ne peuvent plaire à l'homme que par entremise des séries passionnées; sachez donc organiser cet ordre, maintenant qu'on vous évite la peine de l'inventer. Mais tant que durera le régime d'industrie morcelée et répugnante, c'est en vain qu'on opposera aux passions les oracles de Diogène et Mirabeau ; elles marchent à leur but per fas et nefas. Dieu a placé dans nos âmes 12 aiguillons de mouvement qui nous pousseront au but, en dépit des leçons de Mirabeau et Diogène. Il serait bientôt temps que la philosophie s'occupât à étudier les ressorts du mouve¬ment, leurs propriétés, leur tendance, leur vœu, au lieu de perdre sottement des siècles à la tentative chimérique de réprimer les passions. Mais pour découvrir l'art de les développer en harmonie, il eût fallu se résoudre à des travaux d'analyse et de synthèse que la philosophie recommande et ne veut pas pratiquer. Elle badine les prédicateurs en leur appliquant cette devise : Faites ce que je vous dis, et non pas ce que je fais ; devise bien plus applicable aux philosophes, car on n'a jamais pu obtenir a eux aucune observance de leurs principes, ni en théorie où ils s'opiniâtrent à repousser toute analyse et synthèse des passions et de leurs carac¬tères, ni en pratique où ils nous prêchent l'amour de la modération et de la médiocrité. Eh ! s'ils avaient quelque penchant pour la modération et la médiocrité, ils n'auraient pas amoncelé cette immense quantité de systèmes, cet océan de controverses qui est si fort au-dessus du médiocre par l'infinité des volumes, et si fort au-dessous du médiocre par l'infinité des contradictions. Chapitre XLVII Caractères de rétrogradation greffée. Un parti, effrayé des abus de la fausse liberté, croit prudent de revenir aux us et coutumes du Xe siècle, à la féodalité nobiliaire, aux superstitions obscurantes, etc. ; mais retrouvera-t-il un peuple et une bourgeoisie tels qu'au Xe siècle ? Non assuré¬ment ; et ce ne sera, ni en une génération, ni en deux, qu'il changera les mœurs actuelles. Il veut donc greffer les usages du Xe siècle sur ceux du XIXe, greffer la Ire phase de civilisation sur la 3e qui conservera bien ses mœurs et propriétés, car certains ressorts tout-puissants tels que le commerce et la finance, ne céderont pas et entraîneront tel parti qui croira les maîtriser. D'autre part, les champions de vol sublime, les libéraux, sont encore une classe de rétrogradateurs, fouillant dans les oripeaux d'Athènes et de Rome pour remettre en scène de vieilles charlataneries, de faux droits de l'homme (Ayant-Propos), et greffer sur le XIXe siècle des illusions qui ramènent la civilisation de 3e en 2e phase, en mixte des deux phases. Ainsi chacun des deux partis rétrograde à sa manière, l'un pour le bien des ténèbres, l'autre pour le bien des lumières. Quel sera le plus sage des deux ? Celui qui s'emparera du rôle que ses rivaux ne savent pas prendre, avancer et non pas rétro¬grader. Or, pour avancer, il faut au moins s'élever en 4e phase de civilisation (chap. XLIX). Si la caste nobiliaire adoptait ce parti très avantageux pour elle, dans quel discrédit tomberaient les libéraux, quand ils seraient convaincus de cette marche rétrograde qu'ils dénoncent. On convertirait à la fois les deux partis, on les réconcilierait en organisant cette 4e phase de civilisation qui, sans être heureuse, présente déjà des côtés avantageux, comme d'extirper et prévenir la mendicité, assurer constamment du travail au peuple, fournir un fonds suffisant pour la prompte extinction des dettes publiques., restaurer les forêts et les routes, etc. Ces perspectives doivent être flatteuses pour des hommes qui ne veulent pas entendre à l'idée de sortir de la civilisation. Cependant elles ne sont encore qu'un abîme social, en comparaison des biens qu'on obtiendrait en s'élevant un peu plus haut, à l'ambigu de garantisme. Cette 4e phase civilisée confondrait les 2 partis, dont l'un ne pourrait plus titrer de sagesse la sotte politique de rétrogradation, quand on verrait le bien naître d'un progrès réel ; l'autre ne pourrait plus vanter son vol sublime, quand il serait évident que ses méthodes ramèneraient la civilisation au mixte de 3e et 2e phase, au lieu de la pousser en 4e phase d'où elle s'élèverait assez facilement au garantisme. Quant à la 3e phase, où nous sommes, elle est une impasse ou cul-de-sac social, d'où l'esprit humain ne sait plus sortir ; il s'y escrime en systèmes qui n'aboutissent qu'à empirer tous les fléaux : c'est l'emblème de Sisyphe gravissant avec son rocher, et retombant sans jamais atteindre le but. Nous sommes au contraire, sur divers points, dans une rétrogradation évidente causée par la chimère de gouvernement représentatif qui introduit une foule de caractères vicieux ; par exemple : 1. Faire payer à une nation le prix de la corruption de ses représentants. Abus inévitable dans un grand empire où le gouvernement dispose d'un budget énorme qu'il n'avait pas dans la petite république d'Athènes. Ce régime engendre tant d'abus qu'on a vu des chefs mêmes du libéralisme déclarer que le gouvernement représentatif n'est pas convenable pour les Français (Benj. Constant). En le réprouvant, je suis loin de me déclarer partisan de l'absolutisme ; il ne peut convenir qu'à ceux qui l'exercent ; je veux seulement dire que les bienfaits qu'on espère follement du système représentatif ne peuvent naître que du progrès réel ou passage en 4e phase de civilisation, en ambigu de garantisme, et aux phases de garantisme. Ce progrès réel aurait la belle propriété de satisfaire toutes les classes qui, aujourd'hui, alarmées du faux progrès, effrayées du système d'où on a vu éclore les Marat et les Babeuf, s'engageront dans les mesures les plus folles, plutôt que de se concilier avec le libéralisme. De là naissent divers caractères des plus désastreux à accoler au précédent. 2. L'effarouchement des cours, devenues déraisonnables par la frayeur que leur inspire le faux libéralisme. 3. Le pis-aller de ces mêmes cours qui cherchent un appui chez les ennemis de leur indépendance. 4. Le supplice des dupes, des Espagnols, Portugais, Napolitains et Piémontais, envoyés à l'échafaud. 5. La discorde entre les diverses classes de citoyens, par suite des brigues électorales. 6. L'accroissement de dépenses fiscales causées Par cette lutte des gouvernements contre les peuples. On compterait quantité de ces caractères malfaisants, d'origine toute récente, bien soutenus depuis plusieurs années, et produits par le faux libéralisme. Je le nomme faux, parce qu'il est une rétrogradation politique tendant à l'oligarchie, sous un mas¬que de popularité, et produisant toujours des effets contraires aux, promesses. Par exemple, en 1728, la France, à force de bel esprit parlementaire, a obtenu une économie de 300 000 f., faisant un centime par contribuable; dans la même année elle dépense 300 millions d'extraordinaire, savoir : 80 millions d'emprunt fiscal, 84 millions de créance abandonnée à l'Espagne, 136 millions environ prêtés sur ses bons illusoires. Plus, des bagatelles comme le million envoyé chaque mois à la cour d'Espagne pour son entretien.: c'est environ 300 millions de perte, sans autre compensation que le tiers d'un million obtenu à force de verbiages oratoires et par des voies mesquines, comme de liarder, rogner quelques écus sur les fonctionnaires, tandis qu'il y aurait 50 millions à recouvrer sur les seuls cautionnements des courtiers. La classe nommée courtiers de fonds publics ou agents de change, redoit à elle seule 24 millions pour différence du prix fiscal de ses cautionnements avec le prix réel de vente des charges. Le libéralisme n'aperçoit rien de cela dans ses éternels débats sur les affaires fiscales ; on lui citerait quantité d'autres lésions du fisc s'élevant jusqu'à 100 et 200 millions qu'il pourrait percevoir annuellement sans nouvel impôt. Si ce parti est si aveugle sur la finance, objet dont il s'occupe constamment, il l'est bien plus sur les autres vices politiques auxquels il ne donne aucune attention; et comme il ajoute à ces torts celui de conduire le char social en sens rétrograde, greffer la 3e phase sur des caractères de 2e, c'est une chimère dont on n'a aucun bien à espérer . On serait depuis longtemps revenu de cette illusion, si on eût procédé à l'analyse des caractères de civilisation et donné un article spécial à ceux de rétrogradation greffée. je ne les mentionne ici qu'au nombre de 6, pour ne pas approfondir ce sujet délicat, sur lequel il convient de glisser. Observons seulement que, sur ce point, les deux partis peuvent aller de pair en saga¬cité politique, tous deux logés au 4e signe du zodiaque, à l'enseigne de l'écrevisse : l'un des deux devrait se piquer d'honneur, se décider à aller en avant, pour couvrir l'autre de confusion. Chapitre XLVIII Caractères de dégénération de la 3e phase. Les immobilistes sont une secte aussi ridicule que les rétrogradateurs. Le mou¬vement social répugne à l'état stationnaire: il tend au progrès ; il a, comme l'eau et l'air, besoin de circuler ; il se corrompt par la stagnation; aussi ne connaît-on rien de plus vicieux que les Chinois, nation la plus immobiliste du globe. Chez eux l'intérêt légal est 35 % ; l'usure et la fourberie mercantile y sont honorées, ils jouent aux dés, leurs enfants traînent leurs dieux dans la boue : ce sont des héros de morale, selon Raynal. Notre destin est d'avancer; chaque période sociale doit s'avancer vers la supé¬rieure : le vœu de la nature est que la barbarie tende à la civilisation et y arrive par degrés ; que la civilisation tende au garantisme, que le garantisme tende à l'associa¬tion simple, et ainsi des autres périodes. Il en est de même des phases : il faut que la 1re tende à la 2e, celle-ci à la 3e, celle-ci à la 4e, celle-ci à l'ambigu, et consécuti¬vement. Si une société languit trop longtemps dans une période ou dans une phase, la corruption s'y engendre, comme dans une eau qui croupit. (Cette règle est sujette à certaines exceptions pour les périodes inférieures à la civilisation.) Nous ne sommes que depuis un siècle en 3e phase de civilisation, mais dans ce court espace de temps, la phase a marché très rapidement, à raison du progrès colossal de l'industrie ; de sorte qu'aujourd'hui la 3e phase excède sa limite naturelle. Nous avons trop de matériaux pour un échelon si peu avancé ; et ces matériaux n'ayant pas leur emploi naturel, il y a surcharge et malaise dans le mécanisme social. De là résulte une fermentation qui le corrompt; elle y développe un grand nombre de caractères malfaisants, symptômes de lassitude, effets de la disproportion qui règne entre nos moyens industriels et l'échelon subalterne auquel ils sont appliqués. Nous avons trop d'industrie pour une civilisation si peu avancée, retenue en 3e phase ; elle est pressée du besoin de s'élever au moins en 4e ; de là naissent les caractères d'exubérance et de détérioration dont je vais énumérer les plus saillants. En réplique aux jactances de perfectionnement, je vais signaler des effets de dégénération évidente, et pourtant très récents. 1. Centralisation Politique. Les capitales transformées en gouffres qui absorbent toutes les ressources, attirent tous les riches à l'agiotage, et font dédaigner de plus en plus l'agriculture. 2. Progrès de la fiscalité, des systèmes d'extorsion, banqueroute indirecte, antici¬pations, art de dévorer l'avenir. Necker, en 1788, ne savait où prendre 50 millions de déficit annuel ; aujourd'hui on sait ajouter non pas 50, mais 500 millions au budget de 1788. 3. Consolidation du monopole maritime. Il était rivalisé et contenu en 1798, il est maintenant dominateur exclusif, sans qu'il reste aux Européens aucune chance de rétablissement des marines navales. 4. Atteintes à la propriété. Elles dégénèrent en habitude, par les prétextes de révo¬lution qui deviennent règle pour les partis suivants : la France a confisqué, l'Espagne et le Portugal imitent; et cette méthode prévaudra, parce qu'il n'y a aujourd'hui de progrès assuré qu'au désordre. Celui-ci est un caractère d'engrenage en barbarie. 5. Chute des corps intermédiaires, états provinciaux, parlements et corporations qui opposaient des barrières au pouvoir. C'est grâce à leur chute qu'on a su trouver un renfort annuel de 500 raillions, là où Necker n'en pouvait pas puiser 50. 6. Spoliation des communes, vilainement compensée par les octrois qui fatiguent l'industrie, désaffectionnent le peuple des villes, et provoquent toutes les fraudes mercantiles, tout le commerce d'empoisonnement légal. 7. Dépravation judiciaire, déni indirect de justice au pauvre, accroissement des procès par la subdivision des propriétés et la complication des lois de plus en plus impuissantes. Elles sont muettes devant un fournisseur pillant de son aveu 76 millions; elles sont inflexibles pour le pauvre Elissando qui a volé un chou : il est condamné à mort. 8. Instabilité des institutions frappées par cette raison d'impuissance, même dans le cas de sagesse, et contrariées par le manque absolu de méthodes justes en toutes branches d'administration : l'on ne sait pas même faire une division territoriale régu¬lière, basée sur les convenances générales, on n'a aucune règle sur cette opération. 9. Imminence de schisme. Les gallicans étayés des opinions de Saint Louis et de Bossuet, ne tarderaient guère à en venir au schisme contre des prétentions outrées, de là les guerres civiles. 10. Guerre intestine, discordes fomentées par l'ignorance de la Politique sociale qui ne sait inventer aucune voie de conciliation, par progrès réel en échelle (474). 11. Hérédité du mal, coutume d'adopter les vices introduits par le parti vaincu, tels que les loteries, les jeux publics et autres moyens odieux de la fiscalité. 12. Dévergondage de la politique, bassesse des puissances chrétiennes avec les musulmans et les pirates, concert passif pour le paiement de tribut aux pirates et le soutien de la traite des nègres. 13. Progrès de l'esprit mercantile. Agiotage érigé en puissance qui se rit des lois, envahit tout le fruit de l'industrie, entre en partage d'autorité avec les gouvernements, et répand partout la frénésie du jeu. 14. Faveur au commerce en raison de sa péjoration. Marseille construit des vaisseaux pour capturer les chrétiens et en peupler les bagnes d'Afrique ; Nantes a des fabriques d'instruments de supplice pour la torture des nègres dont il fait la traite en dépit des lois; d'autres villes naturalisent la coutume anglaise des bagnes, où le peuple travaille seize heures, au rabais d'une minute de chômage : plus le commerce grandit en malfaisance, plus il est favorisé. 15. Scandales industriels. Progrès de la falsification tolérée, fréquences des crises d'abondance dépressive (455), abandon des récoltes sur pied pour le bénéfice de vente des futailles, entraves à la charité par l'exigence des percepteurs de droits réunis qui grèvent les donateurs. 16. Traite des blancs favorisée. On en laisse contracter l'habitude, même aux puissances qui ne l'avaient pas, comme le pacha d'Égypte, et on n'y oppose que des fadaises diplomatiques. 17. Mœurs du siècle de Tibère. Espionnages gradués jusqu'au soldat, délations se¬crètes, progrès visibles de l'hypocrisie, de la bassesse, et des vices inhérents à l'esprit de parti. 18. jacobinisme communiqué. Les partis qui l'ont combattu en ont adopté toute la tactique, l'art de fabriquer des conspirations, de raffiner en calomnie est devenu général, et a enlevé au caractère des modernes le peu de noblesse qui lui restait. 19. Noblesse vandale. Elle inclinait en 1788 aux idées d'amélioration judicieuse; aujourd'hui elle retombe dans la barbarie, ne songeant qu'à détruire l'industrie qui lui porte ombrage dans les élections. 20. Naumachies littéraires. Les savants et lettrés arborent cette bannière de vandalisme, se déchirant entre eux pour l'amusement du public à qui ils ont inoculé le goût de la détraction calomnieuse, et ne s'unissant que pour étouffer les lumières, les découvertes utiles. Nos libertés électorales ont produit un trio de vertus neuves, une noblesse vandale, une bourgeoisie calomnieuse, et des savants pétris de zoïlisme. 21. Tactique destructive, ou accélératrice, qui double les ravages de guerre, fait renaître les coutumes barbares : Vendées, Guérillas, landsturmes, armements des femmes et des enfants. 22. Tendance au Tartarisme, par les conscriptions et mobilisations déjà établies en Prusse, tentées plus grandement en Russie sous Aracktchejew ; méthode qui une fois introduite en quelques empires obligera tous les autres à adopter par mesure de sûreté cette organisation tartare. 23. Initiation des barbares à la tactique. C'est un moyen sûr de renforcer la piraterie des barbaresques et d'établir bientôt celle des Turcs, qui feront payer aux Dardanelles un tribut à toutes les puissances faibles. 24. Quadruple peste; nous ne connaissons que l'ancienne d'Orient, il faut y join¬dre la fièvre jaune pire encore, le typhus qui fait de grands ravages, et le choléra morbus déjà parvenu du Bengale à Alep. C'est un nouveau quadrille de perfectibilités croissantes. À ces vices récents, tous vices de circonstance, ajoutons le plus honteux, l'admis¬sion des juifs au droit de cité. Il ne suffisait donc pas des civilisés pour assurer le règne de la fourberie; il faut appeler au secours les nations d'usuriers, les patriarcaux improductifs. La nation juive n'est pas civilisée, elle est patriarcale, n'ayant point de souverain, n'en reconnaissant aucun en secret, et croyant toute fourberie louable, quand il s'agit de tromper ceux qui ne pratiquent pas sa religion. Elle n'affiche pas ses principes, mais on les connaît assez. Un tort plus grave chez cette nation, est de s'adonner exclusivement au trafic, à l'usure, et aux dépravations mercantiles, selon le tableau de Londres (67). tableau qui ne nous apprend que ce que chacun sait. Tout gouvernement qui tient aux bonnes mœurs devrait y astreindre les juifs, les obliger au travail productif, ne les admettre qu'en proportion d'un centième pour le vice : une famille marchande pour cent familles agricoles et manufacturières; mais notre siècle philosophe admet inconsidérément des légions de Juifs, tous parasites, marchands, usuriers, etc. Lorsqu'on aura reconnu (et cela ne tarderait guère) que la saine politique doit s'attacher à réduire le nombre des marchands, pour les amener à la concurrence véri¬dique et solidaire, on aura peine à concevoir l'impéritie de cette philosophie qui appelle à son secours une race toute improductive, mercantile et patriarcale, pour raffiner les fraudes commerciales déjà intolérables. Récapitulons sur ces symptômes et caractères de dégénération causée par le retard de progrès en échelle, et par l'inconvenance d'une industrie si vaste, avec un système social si retardé, si traînant. Nous pouvons rattacher les désordres à 4 causes radicales qui sont : DÉPRAVATION MORALE DES SCIENCES; refus obstiné d'explorer les branches d'étude négligées (74), jonglerie de persuader que tout est découvert, que tout est perfectibilisé, qu'il faut bafouer les inventeurs. DÉPRAVATION MATÉRIELLE DES SCIENCES, par l'emploi vicieux de la chimie qui ne travaille qu'à vexer le pauvre, en fournissant au commerce des moyens de dénaturer et falsifier toutes les denrées communes dont se nourrit le peuple, et à limiter aux seuls riches la faculté de trouver des comestibles et liquides naturels. RÉTROGRADATION INTELLECTUELLE, par abus d'esprit; cataracte politi¬que, dominance des faux principes qui, sous un masque de philanthropie, repoussent toute garantie pour le pauvre, et nient les droits naturels de l'homme, droits qu'un code équitable doit compenser : 1, Chasse ; 2, Pêche ; 3, Cueillette ; 4. Pâture ; 5, Vol extérieur ; 6, Insouciance ; 7, Ligue intérieure ; ><, Liberté satisfaisante ; K, minimum proportionnel ; et qui nous détournent de toute étude sur les vues de Dieu et la théorie des destinées. RÉTROGRADATION POLITIQUE, esprit d'immobilisme qui a gagné les cours et les grands ; ils suspectent l'idée de progrès social, au lieu de suspecter la méthode rétrograde, l'esprit philosophique. De là naît double égarement, celui des gouverne¬ments qui se défient des nouveautés utiles qu'ils confondent avec la philosophie, et celui du vulgaire obstiné à espérer le bien des philosophes, gens opposés à toute étude des sciences neuves qui peuvent conduire au progrès réel (74) Remarquons que les 24 caractères de dégénération précités, et dont on pourrait doubler le nombre, sont accidentels et non pas essentiels à la période civilisée. Elle aurait échappé à cette irruption de vices, pour peu qu'elle eût accéléré sa marche, qu'elle eût su s'élever à temps de la 3e phase à la 4e, se rehausser en échelle sociale autant qu'elle s'exhaussait en industrie; elle en a trop pour la 3e phase, elle en aurait trop peu pour la 4e. Cette pléthore n'est donc pas vice essentiel, mais accidentel, vice enrichi de variantes en pléthores d'exentricité et concentricité : ainsi, Mulhouse accumule excentriquement, au point le plus éloigné des 4 mers, telles fabriques dont les matières partent de ces mers pour revenir sur leurs côtes; et Le Havre, par concentration des manufactures au nord, accumule un entrepôt colossal qui appauvrit les régions de Loire, Garonne et Rhône. Si l'on manque à établir une proportion entre l'échelon social et le degré d'industrie; si le mécanisme social reste en panne, en 3e phase de civilisation, tandis que le mécanisme industriel fait des pas gigantesques, c'est fausser tout le jeu du mouvement; et il en doit résulter des monstruosités, comme notre état actuel, présentant une industrie colossale qui se trouve appliquée à un échelon subalterne et incapable d'en porter le faix. A l'aspect de cette disparate, dont nos économistes devraient rougir, à l'aspect des légions de pauvres qui sont le fruit du SARCOCÈLE INDUSTRIEL, nos philosophes s'écrient : quelle marche rapide vers la perfectibilité croissante ! On peut les rappeler à leur principe sur la nécessité des proportions et des liens : tantum series juncturaque pollet. Si vous voulez avancer immodérément en industrie, sachez avancer en même rapport dans l'échelle sociale, et vous élever au moins à la 4e phase de civilisation qui pourra comporter et régulariser ce colosse industriel, devenu un sarcocèle politique, tant que nous croupissons dans la 3e phase de civilisation. (Voyez sur la 4e le chap. XLIX.) Résumé sur la sixième section Nécessité d'une opposition scientifique Là se termine l'analyse des branches connues de la civilisation : il reste encore à parler de la 4e phase non avenue ; mais comme elle est à créer, c'est un sujet qui tient à la Synthèse du mécanisme civilisé, et non à l'analyse de ses phases connues, déjà écloses, dont j'ai décrit ici les caractères. je crois à propos d'en récapituler les 8 ordres, et d'indiquer deux lacunes que j'ai dû laisser dans ce tableau, pour abréger. Distribution des caractères civilisés... de BASE les SUCCESSIFS, régissant une phase, XLI. les PERMANENTS, régnant dans les 4 phases, XLII. de LIEN les COMMERCIAUX en genres, XLIII. les COMMERCIAUX en espèces, XLIV. de FANAL les RÉCURRENTS, harmoniques, XLV. les RÉCURRENTS, subversifs, XLVI. d'ÉCART les RÉTROGRADES, greffés, XLVII. les DÉGÉNÉRANTS, accidentels, XLVIII. Il faudrait à ces huit sortes, en ajouter deux qui en forment le complément, savoir : ><, Les PIVOTAUX, division à extraire des permanents; tels sont les trois suivants : Effet composé, jamais simple, en bonheur ni en malheur. (III, 183, 535 et 543 ; et, ici IV, 348.) Alliage de politique astucieuse et violente. Contrariété des intérêts collectifs et individuels. K, Les AMBIGUS, empruntés franchement ou fortuitement sur des périodes inférieures, tels sont : Le code militaire, emprunt sur la barbarie, période 4. Le droit d'aînesse, emprunt sur le patriarchat, période 3. L'abandon du faible, emprunt sur la sauvagerie, période 2. Et quelques emprunts faits emprunt sur la primitive, période 1. qui n'existe plus ; on en voit des caractères greffés sur les périodes civilisée et barbare : telles sont les coutumes phanérogames de NÉPAUL, JAVA, LANCEROTE, HAMIL, LAPONIE et autres lieux présentant des lueurs de la phanérogamie qu'on trouve bien établie à OTAHITI. Tous les caractères civilisés qu'on pourra indiquer se rattacheront à l'un de ces dix ordres : l'analyse du plus copieux, celui des permanents, n'a été qu'effleurée ; j'y ai confondu les PIVOTAUX qu'il eût fallu en distraire. Je n'ai voulu, dans cette section, que faire entrevoir le travail très étendu qu'exigerait une analyse intégrale de la civilisation, et signaler l'étourderie de tant de philosophes qui, se battant les flancs pour découvrir un sujet neuf, n'ont pas entrevu celui-là, le plus facile de ceux indiqués page 70, et le plus homogène avec leurs connaissances; car il n'exigerait qu'un aveu de la vérité, un aveu des vices dominants pris pour voies de perfectionnement. D'où vient cette stérilité des esprits modernes ? De ce que le monde savant manque d'un ressort nécessaire, UNE OPPOSITION, un corps exerçant l'opposition en affaires scientifiques et intervenant pour signaler les torts de la science, les lacunes qu'elle laisse, de propos délibéré, dans les divers genres d'études. Les philosophes nous disent que l'opposition est le palladium des libertés ; pourquoi l'excluent-ils du monde savant qui manque de ce ressort, et qui y a si peu songé, que nul savant ne saurait dire comment doit être organisé un corps d'opposition scientifique, régulière¬ment contrebalancé ? Les gouvernements qui ont à redouter les abus de la presse, auraient dû aviser à cette création d'un corps d'opposition scientifique; employer contre leur ennemi naturel, contre la philosophie, les armes qu'elle emploie contre eux, l'opposition et les lumières. Si les corps savants inclinaient à l'équité, aux garanties de liberté, ils reconnaî¬traient que la détraction est pire de nos jours qu'au siècle de Colomb, et qu'on ne veut prêter l'oreille à aucune nouveauté utile. Ce n'est point le gouvernement, ce sont les faux savants qui exercent cet obscurantisme ; il faudrait donc pour contrebalancer leur influence, un corps d'opposition qui, rappelant au siècle les études à faire, assurerait protection et accès à quiconque apporterait des découvertes demandées. Mais le monde savant ne désire que la confusion en études ; il ne veut pas même qu'on s'oriente, que l'esprit humain reconnaisse le terrain qu'il parcourt, et fasse une analyse de la civilisation. C'est par là qu'aurait débuté un corps d'opposition ; il aurait provoqué cette analyse et celle des périodes parcourues avant l'état civilisé, afin de reconnaître par un parallèle si on avait avancé dans la carrière du mal ou dans celle du bien; on aurait constaté par ce travail que la civilisation perfectionne l'industrie seulement, mais qu'elle déprave les mœurs en raison du progrès de l'industrie. On doit donc, pour arriver au bien., découvrir un autre mécanisme social qui opère sur les mœurs et fasse naître la justice, la vérité, du progrès de l'industrie. Au lieu de tendre franchement à ce but, la science persiste à donner le change, et prétend que « le sens naturel du mot CIVILISATION est l'idée de progrès de déve¬loppement; il suppose un peuple qui marche : c'est le perfectionnement de la vie civile et des relations sociales ; c'est la répartition la plus équitable de la force et du bonheur entre tous les membres ». En réponse au professeur qui s'exprime ainsi dans une chaire de Paris où le sophisme est sûr de tout accueil, on peut l'inviter à aller voir, à la manufacture de glaces et autres ateliers, de quelle répartition équitable, de quel bonheur jouissent les ouvriers qui servent les fantaisies des oisifs dont se compose l'auditoire du professeur. S'il est vrai selon lui que l'ordre civilisé embrasse toute perfection, tout progrès, tout développement, les barbares sont donc des civilisés, car ils ont beaucoup perfectionné l'industrie dans la Chine, le Japon, l'Indostan et la Perse; mais si on analyse les carac¬tères de barbarie et ceux de civilisation, l'on reconnaîtra une prodigieuse différence entre les 2 périodes sociales (chap. LII). Ce n'est pas seulement à l'industrie que la perfection doit s'appliquer, elle doit embrasser aussi les mœurs et le mécanisme social, deux relations que l'ordre civilisé ne sait que dépraver. Son emploi bien restreint est seulement de poursuivre dans les 3 carrières, sciences, arts, industries, les études que les barbares ont commencées et poussées très loin. Cette tâche une fois remplie, la civilisation n'a autre chose à faire qu'à disparaître et faire place à d'autres sociétés qui perfectionneront le tout, les mœurs et la mécanique sociale, tout en raffinant l'industrie et les sciences que l'état civilisé ne peut pas élever à moitié du développement dont elles sont susceptibles. On a pu en juger par les tableaux du travail des séries passionnées. Du reste si le mot civilisation suppose un peuple qui marche, d'où vient que notre siècle s'arrête si gauchement dans la carrière même de la civilisation, sans pouvoir arriver à la 4e phase ? Cependant ce siècle se trémousse; il fabrique à foison des constitutions et des systèmes ; c'est l'écureuil qui galope dans sa roue sans bouger de place. Pauvre siècle ! il vante l'esprit d'association; que ne cherche-t-il à associer son bel esprit, sa faconde inutile, avec le bon esprit de quelque génie inventif qui lui enseignerait l'issue du labyrinthe civilisé, et le chemin de sciences neuves où il trouverait la fortune et la gloire! Section VII : synthèse générale du mouvement Argument de la treizième notice Premier âge du monde social Chapitre XLIX Construction de la 4e phase civilisée et de son ambigu en garantisme. C'est ici la section des délassements scientifiques: on y traitera, entre autres sujets amusants, celui de la chute prochaine du colosse nommé COMMERCE. Quiconque n'est pas banquier ou marchand, se réjouit à cette idée : comment s'y prendrait-on pour écraser cette hydre qui épouvante les rois et les oblige à fléchir ? Il est plaisant de penser qu'une petite opération qui ne coûtera qu'un décret, peut mettre les gouver¬nements en possession du commerce, de la banque et de bénéfices plus énormes que n'en savent faire ces deux vampires qui se consument en frais parasites. Cette réforme aurait lieu, lors même qu'on tarderait à organiser l'harmonie. L'occupation pourrait s'effectuer de deux manières, l'une par méthode brusque et coercitive, d'où naîtrait la 4e phase de civilisation; l'autre par méthode concurrente et séduisante, d'où naîtraient l'ambigu et la première phase de garantisme. On va dire qu'il n'y a pas à hésiter sur l'alternative, et que la 2e méthode est bien préférable : cela n'importe. On préférera ce qu'on voudra; mais je suis obligé de décrire toutes les chances d'option, vicieuses ou non, et de commencer par le moindre progrès, celui de mode violenté, qui ne conduirait qu'en 4' phase de civilisation ; ensuite j'indiquerai le mode concurrent, qui est ingénieux, facile et lucratif, et qui conduirait bien plus haut que la civilisation. Toutefois je dois faire connaître l'échelle des progrès possibles, des périodes et phases intermédiaires entre la civilisation et l'harmonie; c'est le sujet de cette XIIIe notice. Venez, subtils athlètes des bourses de Paris, Londres et Amsterdam; ce ne sont pas des éloges, mais des huées que vous allez recueillir ! Venez, Lilliputiens en pillage, financiers, gens d'affaires et grappilleurs de minuties, qui vous arrêtez à des millions, là où il y a des milliards à griveler. Votre talent se borne à dévorer le présent et l'avenir DU REVENU ; si vous étiez moins pygmées en brigandage, vous auriez su attaquer LE FONDS et non le revenu. Voilà, petites gens, ce que vous n'avez pas su faire : vous êtes dignes de votre siècle ; vous êtes médiocres dans le crime, comme il l'est en génie politique; vous n'avez su qu'escarmoucher en rapine fiscale, sans oser concevoir le plan de bataille décisive, d'enlèvement du fonds. Les empires modernes succombent sous le poids des dettes publiques toujours croissantes : ils marchent tous à la banqueroute dont l'Espagne donne le signal; il ne sera que trop fidèlement compris. Il faut donc, lors même qu'on ignorerait le moyen de s'élever à l'harmonie sociétaire, découvrir des ressources nouvelles pour subvenir aux dépenses croissantes de la civilisation. Quelques sophistes disent : il faut monétiser le territoire ; mais il faut que le gouvernement le possède, au moins en partie, avant de le monétiser. On va voir que lorsqu'il en possédera seulement un tiers, il n'aura pas besoin de monétiser les deux autres. Au fait : je suppose un roi qui serait ennuyé de la stérilité des philosophes, et qui se dirait : voyons si avec le secours du sens commun je saurai atteindre aux divers biens d'où nous éloignent les controverses philosophiques, prévenir l'indigence, éteindre les dettes publiques, réprimer la banqueroute et l'agiotage, établir la vérité dans le commerce à la place du mensonge ! Supposons que ce roi, sans être doué de génie inventif, eût seulement une volonté forte comme le tigre Mahmoud, et qu'il se résolût à tenter des essais ; d'abord celui des méthodes coercitives à défaut de vraie science : on va voir que ce parti désespéré conduirait déjà au but. Selon ce plan, il opinerait à forcer les réunions économiques, rassembler toute la classe pauvre, toutes les familles sans moyens, dans des fermes fiscales où on leur procurerait à peu de frais des occupations gaies et très productives, aux jardins, aux étables, et à des fabriques variées à choix. On pourrait créer ces fermes en proportion de un dixième de la population rurale ; car dans les campagnes, sur mille familles il y en a cent et plus qui n'ont pas de quoi subsister. On fonderait les dites fermes en nombre de une par 400 familles, afin de pouvoir réunir dans chacune, au moins 40 familles, formant 200 personnes. C'est le nombre nécessaire pour atteindre 3 buts : subsistance bonne et économique, travaux variés et lucratifs, gestion peu coûteuse. On forcerait la classe indigente à s'incorporer à ces fermes fiscales. Il faut, comme on l'a vu lors des jantes larges, forcer le peuple civilisé à faire le bien, après quoi il remercie ceux qui l'ont contraint. D'ailleurs les fermes portées à 40 familles seraient des séjours agréables, sauf la variété des travaux et l'option pour les variantes en divers genres, aux jardins, aux étables, à la grande culture, aux fabriques. On rendrait ces fermes lucratives, en s'emparant de la fonction la plus profitable, celle du commerce dont chaque ferme réunirait les divers détails, banque, prêt sur gage, commission, entrepôt, vente, achat; le gouvernement exerce au mont-de-piété la plus ignoble de ces fonctions, pourquoi hésiterait-il à exercer les autres qu'on croit plus distinguées ? J'ai dit (446) que les 2 germes à développer pour élever la civilisation en 4e phase, sont les monts-de-piété et les maîtrises. J'ai indiqué l'emploi de l'un des deux, il reste à parler des maîtrises. Il est ridicule et vexatoire de décider qu'il n'y aura que tant de gens exerçant telle profession, tel nombre de cordonniers, tel nombre de courtiers, tel nombre de bouchers, etc. : ce nombre doit varier selon les temps et les chances de travail. La maîtrise ne doit jamais être limitée en nombre, ni exclusive; il faut seulement, par une patente croissante, en éliminer tout le superflu numérique et tous ceux qui ne présenteraient pas des ressources pour coopérer à la solidarité qui doit être le but du gouvernement. Elle doit s'appliquer aux classes passibles de banqueroute, aux mar¬chands et fabricants : si telle patente est de 100 F en 1829, il faut l'élever progres¬sivement à 200 F en 1830, 300 en 1831, 400 en 1832, etc., et ainsi du cautionnement. Mais ce sera expulser tous les plus pauvres que cette patente écraserait! Tel en est le but : qu'ils retournent à la culture, où il y aura place dans les fermes fiscales dont ils deviendront actionnaires, et peut-être employés. S'ils n'ont point de capitaux, ils doivent quitter le commerce où ils tomberaient en banqueroute au moindre choc, à la moindre stagnation. S'ils ont des capitaux, ils continueront leur trafic, parce que la patente croissante, en élaguant le grand nombre, augmentera les ventes du petit nom¬bre à qui cette amorce sera nécessaire pour l'amener à souscrire aux solidarités. Tant que le corps social confie à des marchands son revenu annuel, son capital même, il doit exiger d'eux une garantie solidaire. Les Parisiens voulurent appliquer cette règle aux agents de change lors de la banqueroute SANDRIÉ, où ils furent étrillés ; mais le commerce est trop puissant pour se soumettre à des lois répressives; c'est un valet qui tient le maître enchaîné. Qu'on demande à présent les détails d'organisation de ces établissements de maîtrise solidaire et fermes fiscales, le mode d'admission et participation des action¬naires co-intéressés avec le fisc, et toutes les minuties relatives à cette régie ; je ne peux pas dans une section d'argument, descendre à ces particularités ; je me borne à poser les bases de l'opération : elle roule, comme on le voit, sur deux germes qui ne sont pas d'imaginative ; ce ne sont pas des ressorts de faiseurs de système, car il y a bien longtemps que nous les voyons en usage sans entrevoir les développements dont ils sont susceptibles. Observons à ce sujet que les gouvernements étant sous la griffe du commerce, ils devraient tenter quelque moyen de résistance; le plus naturel est de s'en emparer par concurrence. Archimède disait: qu'on me donne un point d'appui et je soulèverai l'univers. Il en est de même dans cette affaire : ayez un point d'appui et vous opérerez contre le com¬merce qui ne pourra pas tenir un instant, parce qu'il n'a ni unité d'action, ni concours de l'opinion qui déteste ses fourberies. Le point d'appui pour le gouvernement se composera des fermes fiscales ou fermes d'asile dans les campagnes, et des maîtrises réduites dans les villes où on les subordonnera par la solidarité et les cautionnements croissants. J'indiquerai plus loin le mode d'envahissement du commerce. Observons ici qu'il y va de l'honneur des gouvernements ; ils sont sous la férule, sous le couteau des agioteurs; une manœuvre d'agiotage, une famine factice renversa Bonaparte, en faisant avorter la campagne de Russie par un délai qui donna des soupçons aux Turcs, et les détermina à signer la paix. Les agioteurs auraient contrecarré de même tout autre souverain. D'autre part les monarques, pressés par les dettes et par l'imminence de banque¬route, doivent aviser à grossir leur revenu. On ne peut prendre que sur le commerce qui accumule tant de millions, tout en plaignant sa misère. La partie lucrative du commerce est l'usure : on remarquait en 1800, que les Juifs, dans les 4 départements Cis-Rhénans (Mayence, Trèves, Cologne, Coblence), avaient envahi en dix ans, par l'usure, un quart des propriétés. Il faut que le gouvernement s'empare de cette branche et des autres, par entremise des fermes fiscales. Il acquerra bientôt un tiers des propriétés, tout en ménageant les emprunteurs. Il aura donc en France un domaine de deux milliards de rente, dont un pour les actionnaires et agents, et un pour lui, indé¬pendamment des impôts courants; il aura de plus une influence par 80 000 fonction¬naires à sa nomination dans les fermes fiscales ; il perdra à la vérité quelques produits en patentes et autres genres, mais cette réduction sera plus que compensée par l'accroissement de l'agriculture, et par le retour de 500 000 agents mercantiles au travail productif, (je ne parle ici que de la France.) Voilà des opérations grandioses à substituer aux pauvretés qu'on nomme plans de finances, dont on peut dire : beati pauperes spiritu, puisque les pauvres d'esprit, les gens dénués d'esprit inventif, gagnent des renommées et des sinécures à ces pitoyables conceptions nommées plans de finance, livrant l'État aux usuriers, au lieu de livrer l'usure à l'État. Chapitre L Construction partielle de 6e période, Garantisme. Obligé de franchir les détails, je transporterai le lecteur à l'époque où les fermes fiscales, fermes d'asile, auraient pris consistance, et commenceraient à opérer grande¬ment sous la direction du ministre de l'intermédiaire ; à l'époque où elles appro¬cheraient de leur but, qui est de rendre le peuple heureux, fier d'être admis à la ferme, aussi fier de cette nouvelle condition qu'il est confus aujourd'hui de son sort philoso¬phique, de sa chaumière sans pain, de ses légions d'enfants à qui il est obligé de donner le fouet quand ils demandent du pain. Qu'en coûterait-il à la ferme d'asile pour opérer cette métamorphose ? Presque rien : quelques améliorations faciles, comme les salles d'éducation des petits enfants (sect. III), les tentes, ou dais mobiles fournis aux groupes de jardiniers, les avances en uniformes de travail bien remboursées sur le produit. Ces bagatelles, jointes à l'avan¬tage de nourriture saine et copieuse, et de vie insouciante, suffiraient pour amener toute la classe gênée à détester ses petits ménages moraux, demander l'admission à la ferme, en lui vendant leurs lambeaux de champs. Dès leur début, ces fermes extirperaient l'indigence dans les campagnes; aucun mendiant n'obtiendrait d'aumônes; chacun lui répondrait : « Allez à la ferme d'asile où tout indigent trouve bonne nourriture et travail varié à option. » Quant aux infirmes, la ferme s'en chargerait moyennant quelques centimes additionnels fournis par le canton d'environ 2 000 à 3 000 habitants. Il ne resterait aucun risque de disette ; la ferme aurait des approvisionnements en silos, en greniers; aucun gouvernement ne redouterait les famines ; la restauration des climatures et des forêts serait assurée, en ce que la consommation de bois serait très diminuée et le vol de bois en même proportion ; quelques poêles remplaceraient les feux de 50 et de 100 pauvres familles prodigues du bois qu'elles volent dans les communaux, le vol étant l'occupation des paysans pauvres, des petits ménages si chers à la morale. On aurait dans tout canton une grande affluence de volailles et bestiaux, de bons légumes et bons fruits, par le jardin et la ferme d'asile : pour l'agrément de ses ouvriers, elle s'adonnerait au soin des jardins et étables, de préférence aux travaux de grande culture. Enfin on verrait naître en petit la plupart des biens que j'ai décrits dans l'abrégé de l'association. Le plus remarquable des avantages serait la chute du commerce. Toutes les fermes d'asile se concerteraient, par entremise du ministre et des préfets, pour se passer des négociants, faire leurs achats et ventes, directement les unes chez les autres : elles auraient abondance de denrées en vente, car elles tiendraient entrepôt pour les petits cultivateurs ou propriétaires qui n'ayant ni bons greniers ni bonnes caves, ni valets nombreux, déposeraient volontiers à la ferme, sauf modique rétri¬bution pour les frais de manutention et vente. D'ailleurs le propriétaire en versant à l'entrepôt, recevrait des avances à un prix modique, et serait dispensé par là des ventes prématurées qui avilissent les denrées. Dès lors tous les amis du commerce, les légions de marchands se trouveraient dénués, comme des files d'araignées qui périssent dans leur toile, faute de mou¬cherons, quand une fermeture exacte en interdit l'entrée. Cette chute de marchands serait effet de libre concurrence, car on ne les empêcherait pas de trafiquer; mais personne n'aurait confiance en eux, parce que les fermes d'asile et leurs agences provinciales, dont je ne peux pas décrire ici l'organisation, présenteraient des garan¬ties suffisantes de vérité. Les vertueux amants du commerce n'auraient d'autre ressource que de sonner la retraite, en déplorant le bon temps du mensonge, les beaux jours de l'anarchie philosophique ou liberté mercantile sans concurrence; car la licence mercantile n'a aucune concurrence, il n'existe de lutte qu'en fourberie: ce sont toujours les plus fourbes qui réussissent le mieux. La retraite des marchands amènerait la formation de l'entrepôt trinaire, ou triple agence opérant sous la direction du ministre. La concurrence est pleinement établie à 3 compétiteurs : chacun des 3 entrepôts aurait ses agences dans les diverses villes et dans les grands marchés, d'où elles correspondraient avec les fermes fiscales, dont chacune serait libre de consigner, soit à tel des 3 entrepôts, soit à chacun des 3, selon son choix. Les capitaux disponibles se trouveraient tous entre les mains des fermes fiscales, car on n'en aurait plus le placement chez les accapareurs, banquiers ou marchands qui n'existeraient plus. Les capitalistes n'auraient d'emploi qu'en terres, fabriques, entre¬prises judicieuses. Les 3 entrepôts n'auraient besoin d'autre capital que de la petite somme nécessaire aux frais de manutention. Toutes les fabriques, ou du moins la très majeure partie, abandonneraient les villes pour se disséminer dans les fermes fiscales, où l'ouvrier pouvant varier ses travaux, alterner entre les jardins, les étables, les fabriques, etc., jouirait d'une exis¬tence aussi douce qu'elle est pénible dans les greniers des villes, où il fait du matin au soir, pendant 365 jours, le même ouvrage, au grand préjudice de sa santé. Je ne parle pas de sa nourriture et du bien-être du peuple dans les fermes d'asile; on a vu dans le cours de cet abrégé, combien les grands établissements sont favora¬bles à la bonne tenue du peuple, pourvu qu'on ne les organise pas à la manière philosophique, sous la direction de prétendus économes dont personne ne peut inspecter les comptes ni les tours de bâton. La comptabilité des fermes fiscales serait visible à tout porteur d'un certain nombre d'actions, à tout représentant des porteurs. Redisons que la classe pauvre se hâterait de se défaire de ses lambeaux de terre, pour acheter des coupons d'actions à la ferme, s'y enrôler, y mener une vie joyeuse, et abandonner son ménage moral et sans pain. Il ne resterait d'exploitations séparées que celles des propriétaires ou fermiers aisés, qui paieraient cher les domestiques mieux disposés pour la ferme que pour eux. Elle joindrait à ces parcelles de terrain beaucoup de domaines acquis des emprunteurs obérés; elle posséderait bien vite le tiers du territoire et des établissements industriels, dont le produit estimé six milliards en France, donnerait un revenu de deux milliards, élevé à trois : un au fisc, et deux aux actionnaires et coopérateurs. Observons que la ferme serait lucrative, en raison du charme qu'elle procurerait aux classes inférieures. À l'instar des phalanges d'harmonie, on donnerait au peuple une fête réelle aux jours de festivité, repas plus délicats, danses, jeux, etc., au lieu des tortures et pénitences auxquelles on l'assujettit dans nos dépôts de mendicité : un pauvre y coûte 25 sous par jour à l'État (voyez les comptes détaillés sur le dépôt de mendicité de Clermont en Auvergne, établi sous le règne de Bonaparte) ; il en ren¬drait au contraire 25 dans les fermes d'asile : on le stimulerait par les chances d'avan¬cement en grade, esprit de propriété inhérent aux coupons d'action, insouciance de l'éducation dont se chargerait la ferme ; elle se rapprocherait du régime sériaire et de l'attraction industrielle, dès que les enfants seraient assez nombreux pour former les tribus et les chœurs, au moins trois tribus au lieu de cinq. Je n'aborderai pas ici les détails relatifs à la garantie de vérité qui régnerait dans les fermes d'asile, et d'où résulterait l'envahissement du commerce en gros et en détail. Ce tyran des rois et des peuples n'est qu'un colosse au pied d'argile, qui tombera sans coup férir quand on saura l'attaquer par voie indirecte. Si l'on heurte le serpent de front, l'on sera atteint de sa morsure ; il faut le saisir par la queue, lui ôter son point d'appui : c'est ce qu'ont ignoré le ministère autrichien (460), et tous ceux qui comme lui ont essayé la répression des menées mercantiles : tous ont commis double faute, laisser au commerce son point d'appui, et n'en donner aucun au gouvernement. Quand un siècle opère si gauchement, faut-il s'étonner qu'il en vienne à dire avec Bonaparte, on ne connaît rien au commerce ! Dites plutôt que vous ne connaissez rien à la politique sociale. Au moins devait-on apercevoir dans ce colosse nommé commerce, qui menace de tout envahir, les propriétés odieuses de fourberie et d'obscurantisme! Si nos mora¬listes cherchaient sincèrement la vérité, ils auraient bien vu qu'elle n'est pas dans le commerce, vraie patrie de l'obscurantisme; car tout jeune homme qui laisse entrevoir du goût pour les sciences et les arts, est réprouvé dans les comptoirs des négociants et n'y obtiendra pas d'avancement. Le bon sens ne conseillait-il pas de suspecter ce vampire d'obscurantisme et de fourberie, qui peu à peu s'empare de toutes les richesses ? N’était-il pas évident qu'à défaut de connaître un procédé pour rivaliser le commerce, on aurait déjà essuyé moins de lésions sous un monopole général et préservatif ? Comment l'administration et la philosophie, qui ont reconnu les dangers de la fourberie dans diverses professions, telles que médecine et pharmacie, jugent-elles bon de la favoriser dans le commerce et d'y encourager une pullulation d'agents élevés au vingtuple du nécessaire ? D'où vient tant d'impéritie chez les modernes, sinon de leur obstination à se confier aux sciences politiques et morales dont la tactique est d'encenser tous les vices dominants, pour se dispenser d'en chercher le remède ? On a vu, dans ces deux chapitres, la marche que suivrait l'industrie dans le cas de progrès réel et antérieur à la découverte des Séries passionnées : j'aurais pu distinguer dans cette marche bien des degrés dont le plus bas forme la 4e phase de civilisation, et le plus élevé est la 2e phase de garantisme, 6e période sociale et initiative de bon¬heur dont nous allons parler. Tirons de ce chapitre une conclusion sur le savoir-faire de nos écrivains politi¬ques : ils veulent, disent-ils, pondérer les pouvoirs, équilibrer le mécanisme social, et ils confient la direction du mouvement industriel à une caste mercantile qui, par le libre exercice de la fourberie, envahit toutes les richesses, maîtrise tous les ressorts de la circulation, et paralyse les gouvernements mêmes. Nos économistes n'opposent à ces cosaques industriels aucun contrepoids, aucune corporation opérant par la vérité. Dès lors le mensonge doit triompher sans obstacle; aussi l'arbre de fausseté grandit-il à vue d'œil; la banque, l'agiotage et le commerce accumulent de plus en plus les trésors, tandis que la pauvre agriculture végète sans moyens de fortune. Voilà l'œuvre de ces philosophes modernes dont les écrits ne retentissent que de balance, contrepoids, garantie, équilibre, et amour de l'auguste vérité. N'est-ce pas le cas de dire, avec Beaumarchais, que les gens d'esprit sont bêtes; ou bien que les badauds sont bêtes de se confier aux beaux esprits, et que les gouvernements sont aveugles de ne pas voir qu'ils manquent d'un point d'appui pour résister au commerce. Chapitre LI Construction intégrale de la 6e période. J'envisage ici l'ensemble du régime des garanties; le sens commun nous en indi¬que d'abord deux, savoir: celle de travail, subsistance et bien-être pour la classe pauvre, et celle de vérité en relations sociales pour les classes moyenne et riche. La philosophie ne veut entendre à aucune de ces garanties; elle consacre la pleine licence des marchands, qui font régner la fourberie universelle en relations d'achats et ventes, puis elle organise une législation qui expose tout propriétaire sans défense, ou sans astuce, à être spolié par les gens d'affaires, gens de justice, etc. Voilà pour la classe aisée ; quant aux pauvres, la philosophie leur donne, pour toute ressource, les dépôts de mendicité, séjour de supplice, et les bagnes industriels nommés grandes fabriques; deux sortes de prisons où le pauvre fait son enfer dès ce monde. J'ai démontré qu'il n'eût pas été difficile d'imaginer les deux méthodes qui crée¬ront une garantie de sûreté et vérité pour les riches, en affaires d'intérêt; une de bien-être pour le pauvre qui n'a, en civilisation, d'autre garantie que celle d'être fusillé, décimé, s'il vient en masse demander du travail et du pain qu'on refuse aux individus, ou s'il ose demander un adoucissement aux corvées et tortures qu'on lui inflige pour prix d'une chétive subsistance ; puis d'être décoré du beau nom d'homme libre, lorsqu'on l'envoie, la chaîne au cou, mourir pour une charte octroyée. Telles sont les garanties que la philosophie a su imaginer pour le peuple dont elle se dit l'amie. Quel génie en amitié! Les garanties, en cadre général, doivent s'appliquer aux douze passions, assurer du plus au moins le libre exercice de chacune. Il suffit que la garantie s'étende aux neuf dites sensuelles et affectueuses; elle s'étendra par suite aux 3 autres, nommées mécanisantes. En relations industrielles on avait, dans le système monétaire, un beau fanal de garantie qu'il eût fallu étendre au commerce entier. Tel serait l'effet de l'entrepôt trinaire concurrent. Ce serait une régie à double contrepoids formé par la liberté de ventes particulières, et par l'entremise d'actionnaires surveillants. Les fermes fiscales ou fermes d'asile rentrent dans ce mécanisme. Les garanties doivent s'étendre aux plaisirs des sens comme aux autres passions ; or la philosophie, sous prétexte de liberté individuelle, frustre de bien-être sensuel tout le corps social. Examinons les lésions des sens. 1° LE TACT : une de ses branches le plus précieuses est le contact de l'air ; un air insalubre donne la mort, et pourtant les philosophes consacrent la liberté de constructions insalubres qui, dans certains quartiers de Paris, font périr les sept huitièmes des petits enfants dès leur première année. Un système de garantie en tact défendrait ces constructions meurtrières; il mettrait en vigueur un code architectural pourvoyant à la salubrité et à l'embellissement, et astreignant à ces deux fins l'intérieur comme l'extérieur des édifices (voyez III, 302, un aperçu de ce code auquel on n'a jamais songé). 2° LA VUE : elle est de toutes parts blessée par cette licence de construction. L'on voit quantité de vandales travailler à plaisir pour l'enlaidissement, construire tel mur qui ne leur donne d'autre profit que de masquer une demi-douzaine de voisins : c'est le bonheur suprême pour les petits esprits; ils aiment à enlaidir le quartier, les alentours, et molester les voisins pour jouir du beau nom d'homme libre. La philo¬sophie applaudit à ce vandalisme qu'elle nomme liberté, et qui n'est que désordre comme toutes les libertés individuelles sans contrepoids, sans subordination aux douze garanties. On croit faire preuve de sagesse en méprisant les garanties de l'agréable, comme celle des constructions harmoniques (III, 302); l'esprit humain a commis dans cette affaire un fâcheux mécompte, car en négligeant les constructions harmoniques, branche de garantie visuelle, il a manqué l'invention des approxi¬mations sociétaires, où l'aurait conduit ce genre de construction. 3° L'OUÏE : la nation française, remplie de prétentions, a l'oreille faussée comme l'esprit; une seule ville fait exception : le peuple, ou du moins partie du peuple de Toulouse, a l'oreille juste et va chanter sur le théâtre dans les chœurs. Ce qui a été possible à Toulouse ne l'était-il pas dans toute la France ? pourquoi donc laisse-t-on passer des siècles sans songer à régénérer les oreilles ? La morale répond que cela est inutile, qu'un vrai républicain ne doit s'occuper qu'à planter des raves : c'est avec ce sot principe qu'elle a faussé le jugement des nations civilisées. Dans l'ordre garantiste, il faut que l'utile et l'agréable marchent de front; si on manque les garanties de l'agréable, on manque par contre-coup celles de l'utile, et de là vient que les civilisés sont privés des unes et des autres. Ils ont si peu d'idées justes sur ce point, qu'ils autorisent dans Paris, sous prétexte de liberté, 3 000 à 4 000 empoisonneurs publics nommés marchands de vin, vrais marchands de poisons déguisés qui minent la santé du peuple; c'est absence de garantie sur le sens du goût. Tout absorbés dans les visions de charte et de système représentatif, les modernes sont frappés de cataracte sur tout ce qui touche aux vraies libertés, aux garanties solidaires. Je n'ai examiné ici que les matérielles, parce qu'on les croit indignes d'attention ; si je passais aux spirituelles, à celles d'ambition, d'amour, d'amitié, de paternité, je pourrais analyser dans notre politique plus d'aveuglement encore qu'elle n'en a sur le matériel : son travers en toutes branches de garantie est de vouloir opérer sur l'utile sans y joindre l'agréable, croire qu'on peut scinder le système de la nature, en admettre telles branches et repousser telles autres; établir des garanties pour les droits des farouches républicains, sans en établir pour les classes moins farouches. Si je donnais une théorie détaillée du mécanisme des garanties sociales, on y verrait toutes les passions marcher de front, et l'agréable toujours allié à l'utile . Comment des hommes qui ne veulent pas reconnaître ces règles primordiales du mouvement, osent-ils nous dire qu'ils étudient la nature, qu'ils sont amis de la nature ? Voyez la belle nature sociale qu'ils ont établie sur ce globe. Quatre sociétés, civilisée, barbare, patriarcale et sauvage, qu'on croirait l'ouvrage des petits infernaux! Si on donnait aux démons notre globe à gouverner, pourraient-ils y organiser un ordre plus odieux que ces 4 sociétés, réceptacles de toutes les infamies ? Chapitre LII Construction des 4 phases infra-civilisées. L'ANALYSE de ces périodes nommées BARBARIE, PATRIARCAT, SAUVAGERIE et PRIMITIVE, est un des nombreux sujets dont la science n'a jamais daigné s'occuper : elle est très active à chercher de vieilles pierres et vieilles inscriptions remontant au déluge, ardente à tout travail inutile, sans vouloir toucher aux branches utiles de l'Archéologie, aux recherches sur le mécanisme de la société primitive. Il en reste partout le globe des traditions confuses, sous le nom de paradis terrestre ou Eden, qui était un mécanisme de Séries passionnées informes, ébauchées; elles ne purent pas se soutenir au-delà de 300 ans. Il serait assez curieux d'apprendre par quels moyens l'instinct, aidé de quelques circonstances, put enseigner aux premiers hommes ce beau mécanisme dont nos sciences, avec toutes leurs subtilités, ne peuvent retrouver aucune trace. Les tableaux de cette société, primitive et antérieure au petit déluge (LIV), pourraient fournir quelques chapitres fort inté¬ressants. Il existait alors abondance de fruits, de gibier et de poissons, de troupeaux d'une grande beauté, et de plus liberté d'amour et rareté de population. Il fallut une combi¬naison de ces moyens, dans des climats fort tempérés et exempts de bêtes féroces, pour que l'instinct pût s'élever au mécanisme des séries passionnées, qui dut déchoir au bout de deux siècles, par l'accroissement de population et l'approche des bêtes féroces qui avaient été créées sous l'équateur, loin des peuplades blanches de la zone tempérée, bien plus fertile alors qu'elle ne l'est aujourd'hui. On a commis l'erreur de croire que la nature primitive était l'ordre sauvage, il n'en est rien : les végétaux et animaux qui entouraient les premiers hommes étaient d'espèce plus parfaite que ne sont aujourd'hui ceux de nos plus riches métairies. L'auroch et le mouflon sont des dégénérations, et non pas des espèces primitives ; il en est de même de l'homme sauvage: il est fort au-dessous de l'homme primitif dont la taille commune était de 73 1/2 pouces de Paris; elle remontera au-delà de ce degré, et quoique tombée aujourd'hui à 63 pouces, elle s'élèvera en harmonie d'un septième en sus que la stature primitive ; elle haussera de 73 1/2 à 84 pouces ou sept pieds de Paris. Ce sera, au bout de douze générations, la taille moyenne des hommes d'harmo¬nie. Quant à la race actuelle, sa taille est au-dessous de l'extrême dégénération ; l'on en peut juger par un parallèle avec quelques races mieux conservées, comme les Albanais et Monténégrins qui, en voyant la troupe française, ne pouvaient pas concevoir que des hommes si petits eussent fait de si grandes conquêtes. Il faudrait, non pas un chapitre, mais une notice de 4 chapitres, pour faire connaî¬tre en abrégé les 4 sociétés antérieures à la nôtre. Qu'on en juge par un aperçu de la barbarie, très digne d'analyse par sa continuité en échelle avec nous. En régime barbare, le caractère de pivot général, celui qui forme contraste avec la civilisation, c'est le simplisme d'action; l'action est toujours composée en mouvement civilisé. On peut établir le parallèle sur un petit nombre de caractères barbares, huit seulement : 1. Immobilisme. 5. Dignité réelle de l'homme. 2. Fatalisme. 6. Essor franc des passions. 3. Prompte justice. 7. Théocratie amalgamée. 4. Monopole simple. 8. Foi à l'immortalité. ><. Action simple. K. Direction par instinct. Cette petite échelle est bien insuffisante, puisqu'elle ne distingue pas même les caractères de phases, les successifs (chap. XLI), et qu'elle ne donne qu'un petit nom¬bre de permanents (chap. XLII). Pour disserter régulièrement sur ces dix caractères barbares, il me faudrait plus de pages que je n'en vais donner à tout le restant de l'ouvrage. Cette lacune fera sentir la nécessité d'une seconde édition plus étendue. Le parallèle des deux périodes civilisée et barbare serait très curieux, par exemple sur le caractère pivotal ><, sur l'action simple : un pacha demande l'impôt parce qu'il lui plaît de piller et dîmer ; il ne va pas chercher dans les chartes de la Grèce et de Rome des théories de droits et de devoirs; il se borne à vous avertir que, si vous ne payez pas, on vous coupera la tête pour vous apprendre à vivre. Ce pacha emploie donc un seul ressort, la violence, l'action simple. Un monarque civilisé emploie double ressort, d'abord les sbires et garnisaires qui sont les vrais appuis de la constitution; l'on y ajoute un attirail philosophique de subtilités morales sur le bonheur de payer l'impôt pour l'équilibre du commerce et de la charte ; pour la jouissance de nos droits imprescriptibles, des financiers vertueux surveilleront l'emploi de cet impôt; le prince qui l'exige est un tendre père qui ne veut qu'enrichir ses sujets ; il ne perçoit l'impôt que pour obéir aux immortels représentants qui l'ont consenti; c'est donc le peuple même qui a vote le paiement et qui désire payer. Là-dessus le paysan dit qu'il n'avait pas envoyé des députés pour faire augmen¬ter les impôts ; on lui répond qu'il doit étudier les beautés de la charte, où il apprendra que la dignité des hommes libres consiste à bien payer, ou aller en prison. Dans cette méthode l'action est double, elle repose sur deux ressorts hétérogènes, la violence et la morale. Chez les barbares l'action est simple, reposant sur la seule violence. On retrouve cette différence fondamentale dans tout parallèle du régime civilisé avec le barbare : tous deux vont au même but; mais la civilisation ajoute l'astuce à la violence qui suffit aux barbares; quoique fardée de justice, elle n'est pas plus juste qu'eux. Ce serait une thèse très curieuse, si je l'appliquais seulement aux dix caractères que je viens d'énumérer; mais il faut abréger, supprimer l'examen de ces 3 périodes, barbare, patriarcale et sauvage, dont l'analyse mettrait en évidence les turpitudes, les hypocrisies de la civilisation, sa profonde perversité qui, pour être mieux masquée que dans ces 3 périodes, n'en est pas moins réelle. Du reste comment se fait-il que nos observateurs de l'homme n'aient jamais donné la moindre analyse de ces trois sociétés, qui comprennent une ample majorité de l'espèce humaine, au moins les trois quarts ? Il est clair que nos philosophes ont voulu esquiver l'analyse de l'homme, tableau qui eût été un fâcheux affront pour leurs sciences politiques et morales, en prouvant que la civilisation perfectible ne sait que cumuler, sous de beaux masques, toutes les infamies réunies dans les trois autres sociétés. Intermède Issues du chaos social. S'il a été préjudiciable pour nous de ne pas savoir disséquer et analyser les 4 périodes où nous sommes engagés, il est bien plus funeste encore de n'avoir su ni en trouver, ni en chercher les issues, qui sont au nombre de 32. 4 Voies de transition. 1. Les utopies sociétaires ou tâtonnements. 2. La thèse de monde à rebours. 3. Le code d'architecture combinée. 4. L'analyse de la civilisation, conformément à la VIe section. 6 Voies de génie directes. 5. Les recherches en garantie intégrale. 6. Les calculs sur l'association agricole. 7. La concurrence commerciale véridique. 8. La théorie d'affranchissement gradué des femmes. 9. Le calcul des propriétés de Dieu. 10. L'étude des passions récurrentes (462). 6 Voies de génie indirectes. 11. Le calcul de restauration climatérique intégrale (II, 84). 12. Le problème de civilisation universelle. 13. L'étude de l'analogie. 14. Le doute méthodique. 15. Le calcul d'assurance universelle. 16. L'application du régime des monnaies. 6 Voies d'originalité. 17. L'esprit de contradiction, ou génie en casse-cou. 18. L'archéologie prédiluvielle. 19. L'analyse critique du commerce. 20. Le calcul des courtes séances en industrie. 21. Le problème du libre arbitre pour Dieu et l'homme. 22. L'écart absolu. 6 Voies de contrainte. 23. La perquisition forcée, 24. Le monopole préservatif ou de pis-aller. 25. L'usure intégrale. 26. La conquête simple intégrale. 27. La conquête composée. 28. Le monopole composé unitaire. 4 Voies de pivot. 29. La synthèse de l'attraction passionnée. 30. L'exploration intégrale du domaine des sciences. 31. La foi intégrale en Dieu. 32. L'algèbre sociétaire ou calcul de la vérité supposée. Pour l'explication de ses 32 issues, 32 pages ne suffiraient pas. Quelle est l'impé¬ritie de ce monde savant qui, sur 32 voies de salut, n'en sait pas trouver une seule; et quelle est l'étourderie du monde badaud, qui ne sait exiger des savants aucunes garanties de service effectif ? On ne raisonne que de garanties, et l'on ne peut en établir aucune : elles sont nombreuses en paroles et nulles en réalité ; nulles sur l'objet primordial, sur les subsistances dont la disette se fait périodiquement sentir (18o8, 1812, 1817) ; nulles sur le travail qu'on ne peut pas assurer au peuple (crise de 1826) ; nulles sur le progrès social, car nous ne savons pas même élever la civilisation en 4e phase ; nulles sur les libertés politiques, toujours sacrifiées aux intrigues; nulles sur l'emploi des deniers publics, dévorés plus audacieusement que jamais par les sangsues ; nulles sur les progrès des lumières, nos sciences éludant leur tâche, au moyen de contes sur les voiles d'airain ; nulles sur la vérité dont on s'éloigne, de plus en plus, par la licence accordée aux astuces commerciales, aux falsifications de toute espèce ; nulles pour les savants qui sont la classe la plus mal rétribuée, la plus asservie, la plus bâillonnée de toutes les classes à éducation; enfin nulles pour les inventeurs, sur qui les sophistes se vengent de leur stérilité. On remplirait des pages du tableau des garanties dont manque la civilisation, et dont on s'éloigne de plus en plus, par exemple : sur le service des armées, les munitionnaires qui, autrefois, pillaient par cent mille écus, pillent aujourd'hui par cent millions; et ceux de Russie, les Puschkin, les Abacoumoff viennent de rivaliser les exploits de ceux de France : ils ont fait mourir de faim et de misère la pauvre armée russe; ils en ont plus tué que n'en ont tué les Turcs. Ainsi le mal seul fait des progrès; on en voit la preuve dans les subsistances du peuple, qui deviennent de plus en plus mauvaises et dénaturées, grâce à la libre concurrence des amis du commerce. Il n'y a maintenant de bien-être que pour la classe cousue d'or (481). Quant au pauvre, il ne lui reste qu'une garantie, c'est d'être pendu pour la moindre peccadille, comme le misérable Elissando de Pau, condamné à mort pour avoir volé UN CHOU (478), au même instant et dans le même lieu où un fournisseur volait IMPUNÉMENT 76 millions à l'État. Voilà à quoi se bornent les garanties que la philosophie a su imaginer pour le bonheur du peuple, et pour le sage emploi des contributions qu'on lui arrache ; voilà le fruit de nos belles théories d'économie politique sur la responsabilité et autres chimères de balance, contrepoids, garantie, équilibre ; ces théories élo¬quentes n'assurent au peuple qu'un patrimoine de haillons, de bagnes industriels, de galères et de gibets. L'économie politique et le libéralisme ne sont libéraux que de haillons; c'est tout ce que le peuple recueille de leur intervention. Si vous en doutez, interrogez les 230 000 pauvres de Londres, les cinq millions de pauvres d'Irlande, où il n'y a que 6 1/2 millions d'habitants. Que de billevesées académiques, quelle stérilité chez le génie moderne, quand il existe 32 voies et plus pour nous ouvrir une issue du labyrinthe. C'est donc à bon droit que madame de Staël a dit de nos torrents de lumières : « Les sciences incertaines ont détruit beaucoup d'illusions sans établir aucune vérité ; on est retombé dans l'incer¬titude par le raisonnement, dans l'enfance par la vieillesse. » En effet la pauvre civili¬sation est bien vieille, bien radoteuse en perfectibilité ; et le génie social, pour se donner carrière, a bon besoin d'un théâtre moins étroit que les antiquailles philo¬sophiques. Section VII : synthèse générale du mouvement Argument de la quatorzième notice Partie transcendante du mouvement Chapitre LIII Métaphysique générale : détermination du plan de Dieu sur l'ensemble des destinées. Il est heureux pour les partisans du voile d'airain que je sois obligé, faute d'espace, de laisser en suspens cette section où j'aurais prouvé que le voile n'est que de gaze. Comment ont-ils envisagé la nature ? Ils n'ont étudié en mouvement que les EFFETS, sans tenir compte des CAUSES. Sur toute question relative aux causes, ils restent muets (I, 32). Qu'on demande pourquoi Dieu a donné à Saturne sept satellites et quatre à Jupiter bien plus gros; ils se retrancheront derrière le prétendu voile d'airain; cependant qu'est-ce qu'une théorie du mouvement, sans la connaissance des causes ? Pour les pénétrer il faut déterminer le plan, les ressorts, le mécanisme et le but du mouvement. Sur quelles bases Dieu a-t-il assis son plan, quelles règles a-t-il suivies, quel but s'est-il proposé ? Ils ont par hasard entrevu le but qui est l'unité d'action : qu'ils nous expliquent donc pourquoi l'homme est hors de cette unité, et si évidem¬ment discordant avec le système de l'univers, que tous les savants l'entrevoient (p. 64). Aussi lord Byron a-t-il fort bien dit : « Notre vie est une fausse nature, elle n'est pas dans l'harmonie universelle. » Le plan de Dieu a été de mettre le mouvement en accord avec son auteur. Il faut pour cette unité que le mouvement représente Dieu, qu'il soit en analogie avec Dieu, avec les douze passions primordiales dont se compose l'essence divine; et quand les livres saints nous disent : Dieu fit l'homme à son image et ressemblance, ils nous enseignent le plan de Dieu sans l'expliquer en détail. L'univers étant fait à l'image de Dieu, et l'homme étant miroir de l'Univers, il en résulte que l'homme, l'univers et Dieu sont identiques, et que le type de cette trinité est Dieu. Si le Créateur ne s'était pas peint lui-même dans le système de l'univers, quoi donc aurait-il pu y peindre ? Les philosophes entrevoient ces analogies, mais ils évitent d'en expliquer aucune parcelle. Si on leur demande en quel sens une rave ou un chou représente l'homme, l'univers et Dieu, ils répondent que ces trivialités sont au-dessous de la philosophie. Si on leur adresse des questions d'analogie transcendante sur la distribution des astres, ils répondent : cela est hors de la sphère de l'esprit humain. Habiles escobars, bien pourvus de voiles d'airain, pour éluder tout problème qui les embarrasse ! Les ressorts du mouvement ont été expliqués dans la Ire notice; ils sont les mêmes en matériel ou en social: la matière tend comme les passions à 3 foyers, au luxe ou soleil, aux groupes, au mécanisme. Le mécanisme de l'univers et de toutes ses parties est dualisé, sujet à des âges d'harmonie et de subversion : nous voyons ce double effet dans les planètes et comè¬tes. Les comètes qui sont aujourd'hui en mécanisme subversif et incohérent, passeront un jour à l'état d'harmonie comme les planètes. Il en est de même des sociétés humaines qui aujourd'hui sont dans l'âge de subversion, fausseté et discorde, âge d'extrême jeunesse ; elles passeront bientôt à l'âge d'harmonie et d'unité. L'harmonie et la subversion sont sujettes à des degrés le simple, le mixte, le composé et autres degrés secondaires. Dans les planètes d'ordre simple, qu'on nomme satellites, les habitants peuvent se contenter d'un bonheur simple et modéré; mais dans les planètes lunigères, comme Saturne, Herschel, Jupiter et la Terre, l'Humanité est faite pour le bonheur ou le malheur composé, double jouissance ou double disgrâce. Le but du mouvement est de donner au bien, aux âges d'harmonie, une durée sep¬tuple au moins de celle du mal qui a son rang assigné dans l'ordre général. On ne peut pas éviter qu'il ne règne plus ou moins de temps, aux deux extrémités de carrière, d'un homme, d'une nation, d'un globe, d'un univers. (Voyez le chap. suivant.) Le mouvement est lié, et son lien se forme par le mode ambigu que les philo¬sophes n'ont pas voulu distinguer, quoiqu'il règne dans tout le système : entre les âges harmonique et subversif, entre les modes simple et composé, on rencontre toujours l'ambigu. C'est par obstination à le méconnaître, que la philosophie tombe sans cesse dans les écarts systématiques, prenant l'ambigu, les transitions ou exceptions, pour des bases de système. Manquerait-elle d'être ignorante sur l'ambigu, quand elle l'est sur tout l'ensemble et tous les détails du mouvement ? je ne pousserai pas plus loin cette dissertation peu à portée des lecteurs, même de la classe savante. Chapitre LIV Analogies générales du mouvement Un des travers de l'esprit civilisé est de ne savoir pas envisager l'unité, l'étudier dans l'infiniment grand, comme dans l'infiniment petit. Si on leur dit qu'une planète comme Jupiter, Saturne, la Terre, est une créature ayant une âme et des passions, une carrière à parcourir, des phases de jeunesse et de vieillesse, des époques de naissance et de mort, ils crient au visionnaire ; cela est trop vaste pour leurs petits esprits, et pourtant ils posent en principe l'unité et l'analogie dans le système de l'univers. Si on leur dit que notre tourbillon, d'environ 200 comètes et planètes, est l'image d'une abeille occupant une alvéole dans la ruche ; que les autres étoiles fixes entou¬rées chacune d'un tourbillon, figurent d'autres abeilles; et que l'ensemble de ce vaste univers n'est compté à son tour que pour une abeille, dans une ruche formée d'environ cent mille univers sidéraux, dont l'ensemble est un BINIVERS ; qu'ensuite viennent les TRINIVERS, formés de plusieurs milliers de binivers, et ainsi de suite ; enfin que chacun de ces univers, binivers, trinivers, est une créature ayant comme nous son âme, ses phases de jeunesse et vieillesse, mort et naissance; et que nos âmes, après la mort de notre planète, parcourront cette infinité de mondes ; ils ne laisseront pas achever ce sujet, ils crieront à la démence, aux rêveries gigantesques; et pourtant ils posent en principe l'analogie universelle (49). À quoi bon, disent-ils, ces excursions dans l'immensité ? bornez-vous au sujet. D'accord ; mais je veux le traiter exactement, et non pas à la manière gasconne de nos auteurs qui, fabriquant des systèmes de la nature, promettent des preuves et n'en donnent aucune. Je dois donc faire savoir que je possède les preuves et surtout la principale, celle de l'analogie universelle tant proclamée par les faiseurs de systèmes ; tels que Schelling, cité p. 49, et tant d'autres qui, posant en principe l'analogie et la recommandant pour boussole d'études, n'en disent jamais un seul mot, et ne savent établir aucune échelle d'analogies entre l'homme, l'univers et Dieu, entre les passions et les substances créées dans les divers règnes : Je puis renvoyer sur ce sujet à un article de cosmogonie appliquée (III, 241 à 268), et aux articles MOSAÏQUE, en divers règnes (III, 212, 222). Je me bornerai ici à quelques lignes sur la carrière générale du genre humain. On a vu, à l'Avant-Propos, une table de neuf périodes sociales formant la Ire phase ou enfance du monde, et meublées jusqu'à présent de trois créations, dont la ire a été détruite par le cataclysme général ou grand déluge, différent du petit déluge. Elle était création d'essai, faite sur un échantillon bien plus ample que celui des suivantes ; car les fossiles qu'on en trouve sont de dimension colossale : des crocodiles de 60 pieds, et autres formes gigantesques, dont la proportion aurait exigé des hommes de neuf pieds de haut. Cet échantillon fut reconnu trop fort : on adopta le degré inférieur (différence de 16 à 17). L'espèce humaine, qui n'existait pas lors de cette création d'échantillon, ne fut formée qu'à l'époque des deux créations, no 2 et 3, qui furent faites ; la 2e sur l'ancien continent, la 3e en Amérique. Elles sont distribuées pour servir de mobilier aux périodes 1, 2, 3, 43 5, 6. Le globe ne pourra avoir un nouveau mobilier que pour les périodes 7 et 8 qui recevront les créations no 4 et 5. Si le monde social s'élevait par degrés à la période 7, nommée Sociantisme, il recevrait aussitôt la création no 4. bonne, mais peu brillante : et lorsqu'on parviendrait à la période no 8, Harmonisme, on recevrait la création no 5, déjà très magnifique, mais moins encore que celles qui suivront, et qui formeront le mobilier des périodes no 9 et au-dessus. Comme nous allons franchir les périodes 6 et 7, et nous élever immédiatement à la 8e, nous recevrons cumulativement les deux créations no 4 et 5. Elles commenceront dès la pleine fondation de l'harmonie : cette plénitude aura lieu trois à quatre ans après l'installation de la phalange d'essai. Il suit de là que, si on eût fait les préparatifs de l'essai en 1823 et l'installation en 1824, l'année 1828 aurait vu s'achever l'organisation générale, et l'année 1829 verrait la Création en pleine activité, nous donnant tous les CONTRE-MOULES des créations 2 et 3 ; tels que l'anti-rat, l'anti-punaise, etc. Le beau Paris, si richement meublé de punaises, de rats et autres beautés, trouverait bien son compte à cette création qui nous délivrerait de toute l'engeance démoniaque dont notre globe est souillé: 130 espèces de serpents, 42 espèces de punaises, autant de crapauds. En voyant ce mobilier d'ordures, on peut bien se demander, comme en voyant les 4 sociétés existantes, qu'est-ce que l'esprit infernal ferait de pis, si on lui donnait à meubler et régir le globe ? Cependant ces horribles créations sont l'ouvrage d'un Dieu infiniment sage et prévoyant : quels motifs l'ont déterminé à des œuvres si malfaisantes pour l'homme ? Vous l'avez dit vous-mêmes ; ce motif, c'est l'unité de système que proclament vos philosophes (Schelling cité p. 49). Il faut pour cette unité, pour ce miroir analogique, donner à chaque période sociale un mobilier emblématique des jeux de passions qu'elle produira. En conséquence, Dieu a dû vous meubler de deux créations épou¬vantables, où sont représentés tous les jeux de passions civilisées, barbares, patriarcales et sauvages; les 130 serpents représentent 130 effets de la calomnie et de la perfidie, qui sont l'essence des sociétés mensongères distribuées par familles. Vos âmes étant pour le moment l'image des démons, Dieu a dû, par analogie, peindre sous les traits du tigre, du grand singe et du serpent sonnette, les passions de Moloch, Belial et Satan, dont vos âmes civilisées sont les miroirs fidèles. Mais dès que vous serez parvenus aux sociétés 7 et 8, où vos âmes renaîtraient par degrés à la vertu, vous recevrez des créations qui seront miroir des vertus affectées à ces périodes sociétaires. Et comme tout le système du mouvement doit être lié, il faut que les créations infernales, no 2 et 3, contiennent un rameau de transition formé de quelques bons animaux, cheval, bœuf, mouton, abeille, qui nous peignent le système des créations futures, où tout se ralliera à l'homme, et qui fournissent à nos sociétés les moyens de créer la grande industrie et de s'élever aux périodes 6, 7 et 8, où d'autres créations contre-moulées purgeront le globe, ses terres et ses eaux, de l'horrible mobilier que Dieu a dû lui donner pour les périodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, selon le principe d'analogie et d'unité. C'est, parmi les civilisés, un plaisant préjugé que de croire qu'une planète qui a fait des créations n'en pourra pas faire d'autres. Autant vaudrait prétendre que celui qui a planté un verger, n'en pourra pas planter un autre, ou qu'une femme qui a fait un enfant n'en pourra pas faire un second. Les créations mobilières, bien différentes des reproductives, sont pour chaque planète, une opération périodique; les satellites, ou étoiles inférieures, en font quinze ; les lunigères, Saturne, la Terre, en font vingt-huit ; parce que sur nos 36 périodes sociales, il en est 8 qui ne reçoivent pas de mobilier : elles sont 4 en phase d'enfance, et 4 en phase de caducité de la planète. Nota. Au Traité j'ai compté seulement 32 périodes, omettant à dessein les 2 d'apogée, entre la 16e et la 17e, et les 2 transitoires, avant la Ire et après la 32e. Cette différence de compte n'est pas erreur, mais abréviation. Expliquons le phénomène d'un double déluge : le 1er fut énorme, il détruisit la création d'essai; le 2e, faible, n'a pas anéanti les races produites en 2e et 3e créations. Redisons que ce chapitre, qui effarouchera les pygmées, est obligé dans une synthèse générale du mouvement. je passe de l'analogie générale aux spéciales, où le monde savant va trouver un côté bien charmant, même pour les moralistes, beaucoup moins ennemis des richesses qu'ils n'affectent de l'être. Chapitre LV Analogies spéciales du mouvement Les beaux esprits qui nous disent : l'univers est fait sur le modèle de l'âme humai¬ne ; la même idée se réfléchit constamment du tout dans chaque partie (Schelling, p. 49). Nous diront-ils comment un cèdre ou une rave, qui font partie de l'univers, nous réfléchissent une idée de tout ? quelle portion de l'univers est dépeinte dans un chou, un oignon, dans un chêne, un oranger ? Interrogeons d'abord les raves qui vont répandre des torrents de lumière et se montrer dignes du haut rang que leur assigne la morale. C'est une pépinière de belles analogies que la bourgeoise famille des raves et betteraves, carottes et panais, salsifis, céleris et toutes racines nourrissent l'homme. Leur collection représente les coopérateurs du travail agricole : chacun de ces légumes s'allie avec la classe dont il est le portrait. La grosse rave morale reste à la table des gros paysans dont elle est l'image ; le navet, moins rustique, est l'emblème du fermier huppé, traitant avec les grands; aussi le navet peut-il, moyennant de bons apprêts, figurer aux bonnes tables; la petite rave ronde peint l'homme opulent qui, à la campagne, effleure l'agriculture, en prend une légère idée; la petite rave, pivotante ou allongée, peint cet homme riche approfondissant le sujet, faisant son délassement de l'agronomie; toutes deux, par analogie, figurent sans aucun apprêt aux tables de la classe riche dont elles dépeignent l'intervention superficielle en agriculture. Ainsi chaque sorte de raves s'accole avec ses pareilles : il en est de même des autres racines : la carotte représente l'agronome raffiné, expérimenté, utile partout; aussi est-elle un légume précieux, employé par la confiserie et la médecine, légume utile en tous sens, fournissant par sa feuille un fourrage salutaire, par la torréfaction un parfum de potage, etc.; le céleri, dans son acerbe saveur, dépeint les amours cham¬pêtres, les tendres paysans et paysannes se courtisant à grands coups de poing. L'étude de l'analogie est à double fin, elle conduit à l'agréable et à l'utile. C'est pour nous une triste énigme que l'histoire naturelle, tant que nous ignorons les effets de passions dépeints hiéroglyphiquement dans chaque substance, comme je viens de les expliquer trop brièvement sur quelques légumes. Des fleurs peuvent nous plaire, mais elles ont plus de charme quand on connaît le sens de ces tableaux; quand on apprend, par vingt détails explicatifs sur chaque fleur, que la rose peint la fille vierge et pudique ; l'œillet peint la fille pressée par le besoin d'amour; l'hortensia peint la coquette; la scabieuse peint la prude, etc. Ceci ne touche qu'à l'agréable; il est un but bien autrement important dans la science de l'analogie, c'est de découvrir les propriétés cachées de toutes les substances des divers règnes; il faut toujours que le hasard vienne à notre secours pour nous indiquer leurs vertus occultes : pendant 3 000 ans le café fut dédaigné dans les champs de Moka, jusqu'à ce que les chèvres, par leur ivresse, en eussent décelé la propriété. Il en serait de même encore du quina, du mercure et des autres antidotes, si le hasard ne nous eût enseigné leurs emplois curatifs. Il s'agit donc de déterminer, par calcul général sur l'ensemble des règnes, toutes les propriétés des substances; nous connaîtrons alors le remède aux maladies les plus rebelles à l'art, telles que goutte, rhumatisme, épilepsie, hydrophobie, etc. La théorie de l'analogie peut seule nous conduire à ce but. On demandera pourquoi je me suis borné sur ce sujet à des parcelles d'étude ? C'est qu'il m'eût fallu, pour aborder la théorie générale, au moins trois années d'étude sur l'histoire naturelle, et je n'ai pas pu y donner ce temps. je lègue au monde savant cette nouvelle science et tant d'autres dont je ne puis que livrer la clé, me bornant à la branche de l'attraction industrielle et du mécanisme sociétaire. Pour aperçu d'analogie, en ce qui touche à l'utile, mettons en scène la betterave, illustrée dans le monde mercantile à qui elle a fait cadeau du faux sucre qui fait couler et gâter les confitures au bout de six mois. Cette plante va nous expliquer une des méthodes à suivre en recherches d'analogie, la règle du contact des extrêmes. Tout est lié en système de la nature; les analogies se lient entre elles, et la con¬naissance de l'une conduit à d'autres. Si l'on avait su que la canne à sucre et sa liqueur sont emblèmes de l'unité sociétaire en industrie (unité composée alliant l'accord matériel et l'accord passionnel), on aurait cherché le contre-sucre, ou sucre simple et faux, dans un emblème de l'unité industrielle simple, de l'action combinée sans pas¬sion, telle qu'on la voit dans nos bagnes à nègres et à fabricants où le peuple, à force de tortures ou de privations, se soumet à une discipline d'industrie combinée. C'est arriver par excès de malheur à l'unité d'action, où l'on arrivera en harmonie par excès de bonheur. On trouve, dans ce contraste, un contact d'extrêmes. Les réunions d'unité simple en culture doivent être dépeintes dans quelqu'un des végétaux hiéroglyphiques de la classe agricole : elles sont figurées par la betterave, fruit de sang, d'où on voit ruisseler le sang ; il est l'image de ces esclaves forcés à l'unité simple d'action, par les tortures. Ladite racine doit contenir la liqueur d'unité simple et fausse, le CONTRE-SUCRE, fade, sans mordant, et qui, à dose double, sucre moins que celui de canne. C'est une caricature du vrai sucre, comme l'unité d'action matérielle, dans nos bagnes d'esclaves coloniaux, est une caricature de l'unité passionnée des travaux harmoniens, dont la force productive sera double et quadruple de celle des travaux civilisés. Il faudrait appuyer ces analogies d'amples détails, d'abord sur les feuilles des végétaux cités. La feuille crispée de la betterave dépeint le travail violenté des esclaves et ouvriers ; la feuille grotesque de la rave étale un massif supérieur domi¬nant plusieurs follicules inférieures, c'est l'image du chef de famille villageoise qui s'adjuge tout le bénéfice, pour le bien de la morale; il prend tout, et ne laisse rien aux enfants et valets. Dans la pomme de terre, qui peint le travail facile des groupes et séries passionnées, une feuille bien graduée et entrecoupée de follicules minimes peint l'assemblage des inégaux, et des enfants associés en travail avec les pères. On vient de voir, au sujet du contre-sucre, que l'étude de l'analogie procède com¬me l'algèbre par des raisonnements et des comparaisons ; et qu'appliquée à chaque substance, elle en déterminera les propriétés cachées, les antidotes naturels des maladies qui sont l'écueil de l'art, et les emplois utiles en divers genres. Entre autres fruits à recueillir du calcul de l'analogie, on y trouvera la preuve théorique de l'immortalité de l'âme (chap. LVI), preuve dont on ne soupçonnait pas l'existence et qu'on ne songeait pas à chercher. Pour encourager cette nouvelle science, à laquelle on devra tant de lumières et de charme, on accordera une récompense d'un sou par feuille publiant des analogies découvertes, pourvu qu'elles aient été contrôlées en jury provincial, et réduites à leur plus simple expression. Ce prix d'un sou par feuille de 16 pages in-8°, rendra aux auteurs une somme d'environ DOUZE MILLE FRANCS PAR LIGNE, tout au moins. Celui qui aura pu fournir une page de 40 lignes, aura environ 500 000 francs de bénéfice; et celui qui aura fourni une feuille entière, huit millions de francs. L'ouvrage, en totalité, pourra contenir quatre mille tomes égaux à celui-ci, et quatre cents tomes en abrégé restreint. Dans l'impatience de connaître les analogies, le globe les fera publier en abrégé, feuille par feuille, à mesure d'invention. Ce sera un moyen de favoriser les études; car tout étant lié dans cette science, dès qu'une feuille de 16 pages dévoilera une trentaine d'analogies nouvelles, chaque lecteur, homme ou femme, pourra en tirer parti dans l'exploration, et découvrir à son tour quelque analogie qui, admise pour 10 ou 20 lignes, lui vaudra 125 000 ou 250 000 francs. je vous le demande, moralistes, cette nouvelle science, vraie, utile et belle, ne vaudra-t-elle pas mieux que vos tristes doctrines sur le mépris des richesses et l'amour du trafic, doctrines où tout est faux et impraticable ? Il existe plus d'un million d'analogies à déterminer. Dès qu'on en aura trouvé et publié seulement une collection de 500, tout sera entraîné ; les naturalistes mêmes condamneront leur système, et proclameront l'insuffisance, la stérilité des classifica¬tions actuelles, toutes entachées du défaut de SIIMPLISME, toutes classant des caractères matériels sans faire mention des passionnels. Chacun se ralliera à l'analogie qui marie les deux classifications : j'en puis donner pour initiative une collection de 200 articles très variés; j'en aurais donné plus de 2 000 si j'avais pu employer trois années exclusivement à l'étude de l'histoire naturelle, surtout des branches négligées, ambigu, etc. Dire qu'une science nouvelle, du contenu d'environ 400 tomes, rendra aux auteurs douze mille francs par ligne, c'est de quoi faire palpiter le cœur de tout barbouilleur de papier; il se contenterait de gagner seulement douze sous par ligne. Observons que je parle ici des lignes de ire apparition, lignes contrôlées et réduites par jury. Il faudra, sur ce profit gigantesque, une preuve bien exacte, bien arithmétique: elle se trouve plus loin, à l'Épilogue où je dois revenir sur l'analogie. Ceux qui en désirent des aperçus moins succincts, peuvent consulter les articles Mosaïque en règnes animal et Végétal (III, 212 à 240) ; Cosmogonie appliquée (III, 241 à 268). Chapitre LVI De l’immortalité de l’âme C'est la question qui doit terminer une étude intégrale de la nature; c'est le sujet sur lequel les modernes ont le plus échoué. L'immortalité doit être démontrée en preuve composée et non pas simple. Nous avons la preuve simple, tirée des doctrines religieuses qui nous garantissent l'immor¬talité ; c'est une très bonne preuve sans doute, mais elle est simple. Pour l'élever au mode composé, il faut y ajouter la preuve scientifique : l'esprit humain ne peut pas l'obtenir, tant qu'il n'est pas initié à l'analogie d'où on tire les sept branches de preuves nécessaires en théorie de l'immortalité. C'est une étude fort étendue que je me borne à indiquer : elle comprend: 1, 2, 3, 4, les 4 traités d'analogie appliquant les 4 règnes animal, végétal, minéral et aromal, au règne passionnel ou pivotal, règne hominal ; 5 le traité de l'ambigu, des transitions ; 6 le traité du contact des extrêmes ou diffraction ; 7 le traité du ralliement des extrêmes en hauts degrés. Enfin l'analogie mathématique. (Voyez sur ce sujet II, 304, où j'ai préludé à la théorie de l'immortalité en y appliquant les théorèmes des aires proportionnelles aux temps, et des carrés de temps périodiques proportionnels aux cubes des distances.) Tel est le cortège de preuves nécessaires : faut-il s'étonner que les philosophes n'aient su en donner aucune ? Elles sont toutes puisées dans l'analogie dont ils n'ont jamais voulu faire aucune étude. Un débat récemment élevé dans le monde savant, sur le magnétisme, peut nous servir ici pour aperçu d'une preuve qui se rapporte à la 6e branche du tableau ci-dessus, au contact des extrêmes. Dieu nous devant sur ce point une preuve composée, une preuve matérielle et rationnelle, il faut que certaines démonstrations soient de nature à affecter nos sens, les initier momentanément aux facultés dont l'âme jouit dans une autre vie. Ce serait peu de connaître ces facultés par le raisonnement, il faut des preuves palpables. Pour les chercher recourons à la boussole de la justesse, à la série progressive : spéculons sur une série de 3 situations de l'âme, savoir : une situation moyenne et deux extrêmes, qui doivent être en contact. La situation moyenne sera l'état de VEILLE, l'existence pleine où le corps opère combinément avec l'âme : c'est le mode composé. La situation extrême inférieure sera l'état de SOMMEIL, vie faussée, mode simple, état où le corps ne s'associe pas aux volontés de l'âme. L'extrême supérieur sera la vie ULTRA-MONDAINE et surcomposée, dont il s'agit de déterminer les facultés. Précisons la différence entre ces 3 situations de l'âme : État simple et infra-mondain, le sommeil. État composé ou mondain, la veille. État surcomposé ou supra-mondain, la vie future, dans laquelle nos âmes prendront des corps plus parfaits. Nos corps actuels Sont TERRE-AQUEUX, formés des deux éléments grossiers qu'on nomme terre et eau; les corps de nos âmes, dans l'autre vie, seront ÉTHER-AROMAUX, formés de deux éléments subtils nommés air et arôme. Selon la règle du contact des extrêmes, les deux existences extrêmes, dites infra-mondaine et supra-mondaine, doivent être en rapport : la plus basse doit donner des images de la plus élevée; en effet le sommeil peut, chez certains sujets et dans certains cas, initier l'homme aux facultés sensuelles des supra-mondains. On en voit la preuve par les somnambules artificiels, ou magnétisés, et par les somnambules naturels; l'un et l'autre état donnent à l'homme des sens ultra-humains, comme la faculté de lire un écrit malgré l'interposition d'un corps opaque, de voir ce qui se passe à de grandes distances, en lieu fermé où l’œil ne pourrait pas atteindre. Ces somnambules ont donc les facultés visuelles des ultra-mondains ; ils sont en contact avec le terme supérieur de la série d'existence dont ils forment le terme inférieur. Ainsi l'exige la loi de diffraction, étendue à toute la nature. Pour donner du poids à cette explication, il faudrait que le lecteur connût les contacts d'extrêmes, qu'on trouve par centaines, et dont on n'a jamais fait aucun tableau. J'en ai décrit deux au chapitre LV, en traitant du faux sucre et de l'esclavage. Une collection imprimée, d'un millier de ces contacts d'extrêmes, convaincrait que ce contact, nommé diffraction, est loi fondamentale dans l'ordre de la nature, et qu'elle doit s'appliquer à la théorie de l'immortalité, en former une des branches. En théorie de l'immortalité, il faut bien parler de la mort qui est le point de passa¬ge, et parler des emblèmes de la mort qui sont les plus répugnants de toute l'analogie. Les lecteurs français seraient déraisonnables sur ce point; ils ne veulent que des tableaux agréables : cela m'oblige à supprimer la plus palpable des preuves de l'im¬mortalité qu'on puisse tirer du corps humain et de son mécanisme. Quant à la preuve citée, celle du magnétisme, on peut trancher sur le débat qui existe à cet égard. Les médecins allemands ont pleinement raison d'y croire, malgré le scepticisme de la faculté de Paris, dont la résistance est dictée par un calcul d'intérêt; qu'elle se rassure : le magnétisme, quoique moyen très certain et qui sera généra¬lement employé en harmonie, ne peut pas faire de progrès en civilisation; il est entra¬vé par des vices matériels inhérents à cette société. J'en cite quatre : 1° On n'a aucune méthode pour discerner les sujets magnétisables ; on ne sait pas cultiver en eux cette faculté dès l'enfance ; on l'émousse, on la fausse par une éduca¬tion compressive de la nature; et au lieu d'avoir option sur les bons, l'on ne rencontre d'ordinaire que les plus imparfaits, stimulés par appât du gain. 2° On ignore et on ne pourrait pas former l'appareil sympathique du magnétisé; il doit se composer de ses deux sympathiques de tempérament, en identité, et de ses deux sympathiques de caractère, en identité et contraste. Comment rassembler cet appareil quand on ne connaît, ni l'échelle des tempéraments, ni celle des caractères ? 3° On gâte, on use les magnétisés; on les déprave par des amorces d'intérêt qui, même dans le sommeil de consulte, influent sur leur faculté ultra-humaine, en faus¬sent la vertu, la perspicacité. 4° On les vicie encore par des emplois confus, en les obsédant de consultations hétérogènes avec leur genre d'aptitude, qu'on ne sait pas discerner. D'autres fautes concourent à faire avorter ces opérations et neutraliser presque tous les fruits qu'on pourrait tirer de ce puissant ressort; il n'est pas fait pour la civilisation. Sur ce point comme sur tant d'autres, elle dépasse la limite de ses attri¬butions. Toujours malencontreuse en génie, elle est adroite à pénétrer sur les points que la nature lui interdit; elle est incapable d'entrer dans les voies de progrès réel où la nature l'appelle. Les contretemps que j'ai cités, empêcheront que le magnétisme puisse jamais prendre quelque essor en civilisation : il prête le flanc aux malins par les vices précités et autres; mais il sera en grande vogue, en pleine utilité dans l'harmonie. À cette époque les médecins seront trop riches pour s'alarmer, comme à présent, de la découverte des remèdes; leur bénéfice alors s'établira en raison de la santé générale; ils n'auront plus à redouter, mais à désirer l'invention d'antidotes efficaces dont s'effraie la cupidité civilisée. Je n'ai donné ici sur l'immortalité qu'une preuve du 6e ordre ; on en accumulera de chacun des sept ordres, et rien ne paraîtra plus certain que cette vie future dont nos soi-disant esprits forts nous ravissent l'espoir. En reniant l'âme et Dieu, ils ne renient que leur propre science : ils ont supposé, dans leurs systèmes anciens, un Dieu stupide et méchant ; STUPIDE en ce qu'il aurait créé le Monde sans plan, sans moyens d'établir le bonheur de tous ; MÉCHANT, en ce qu'il voudrait nous cacher ses plans, s'il en a fait sur les destinées, et nous condamner à perpétuité aux tortures de l'état civilisé et barbare. Tout est faux dans ces opinions : Dieu veut nous donner beaucoup plus de lumières et de bien-être que nous n'en désirons; mais sous la condition de chercher ces biens dans l'étude de l'homme, ou de l'attraction, quœrite et invenietis. Ayant repoussé cette étude et, par suite, manqué toutes les voies de lumière, nos philosophes ont été secrètement confus de leur doctrine qui, en nous assignant l'état civilisé et barbare pour destinée, transforme Dieu en Créateur sot et méchant, et nos âmes en créatures démoniaques. Pour échapper à ce labyrinthe scientifique, ils ont renié ce Dieu ignare et malfaisant qu'ils avaient imaginé, et l'âme de boue, l'âme civilisée qu'ils avaient formée. C'est renier leur propre science et leur pauvre génie, dénoue¬ment digne d'aveugles qui conduisent des aveugles, signe évident de la cataracte intellectuelle dont la philosophie enveloppe l'esprit humain. FIN Épilogue sur l’analogie Preuve de l'énorme prix de douze mille francs par ligne J'ai prévenu que dans ces estimations, qui semblent monstrueuses au premier coup d’œil, je cave toujours bien au-dessous de la réalité. On va s'en convaincre. Il faut préluder à cette démonstration par quelques détails d'analogie. Nos beaux esprits, en faisant du pathos sur le grand livre de la nature, sa voix éloquente et ses beautés, ne savent pas nous expliquer une seule ligne de CC GRAND LIVRE; il n'est pour nous qu'une désolante énigme, sans le calcul de l'analogie qui débrouille tous les mystères impénétrables, et fort plaisamment, car il dévoile toutes les hypocrisies; il arrache tous les masques civilisés, et prouve que nos prétendues vertus sont vices dans l'ordre de la nature. C'est donc à bon droit que Bernardin de Saint-Pierre les a nommées frivoles et comédiennes vertus. Venons au grand livre : Quelques auteurs ont voulu disserter sur le langage em¬blématique des fleurs ou des plantes ; comment pourraient-ils interpréter les tableaux de l'harmonie sociétaire qui ne leur est pas connue ? La fleurette qu'on nomme PENSÉE peint les relations des cinq tribus de l'enfance, chérubins, séraphins, lycéens, gymnasiens, jouvenceaux (p. 154) ; les 3 chœurs les plus âgés exercent fonctions de pères, et réprimande sur les 2 plus jeunes ; par analogie, la pensée place deux pétales violets sous trois pétales supérieurs joignant le jaune, couleur de paternité, au violet couleur d'amitié, selon la gamme suivante. >< Noir, 1 violet, 2 azur, 3 jaune, 4 rouge, Égoïsme, Amitié amour, paternité, ambition. 5 indigo, 6 vert, 7 orangé, >< blanc. Cabaliste, papillonne, composite, unitéisme. Si nos beaux esprits ne veulent pas admettre les gammes, qu'il est pourtant forcé d'admettre en musique, de quelle boussole feront-ils usage pour connaître le langage des couleurs, l'emblème de chacune ? Tant qu'on ne veut pas reconnaître de gammes élémentaires en couleurs et en étude des passions, l'on ne peut pas s'initier à l'analogie; mais à l'aide des gammes de couleurs, dont le soleil nous donne seulement la première, on a de prime abord des données sûres pour discerner à quelle passion se rattache un hiéroglyphe animal, végétal, ou minéral : en voyant un serin, oiseau tout vêtu de jaune, on peut dire à coup sur, cet oiseau représente quelqu'une des relations de paternité ; en effet, le serin est le petit enfant gâté, il veut vivre de friandises, de sucreries; les enfants gâtés ont un babil agréable, dépeint par le gazouillement du serin; il est impérieux, furibond comme eux; il se fait bien servir et obéir; aussi la nature lui a-t-elle placé la couronne sur la tête, par emblème de l'enfant gâté qui est roi dans le ménage, commandant à père et mère, à sœurs et bonnes: tout fléchit sous sa loi. Étudions de plus grands mystères, à l'aide de la couleur jaune raillée par les plaisants. Observons sur la tête du perroquet cacatoès, une bannière jaune en aigrette. Molière dirait que c'est la bannière du... mariage, cela est vrai; mais expliquons dans quel sens. Les perroquets sont l'emblème des sophistes du monde philosophique; par analogie, cet oiseau manie très bien la parole, mais il n'a que du verbiage sans raison. Tels sont les brillants systèmes de la philosophie représentés par des variantes contrastées dans la distribution des couleurs dont le perroquet est chamarré : l'un a du jaune en sommet d'aile, et du rouge en pointe; l'autre a le rouge en sommité, le jaune en pointe; ainsi les sophistes, comme Épicure et Zénon, sont dans leurs dogmes la contrepartie l'un de l'autre. Sur quoi reposent tout leur échafaudage de systèmes ? Sur le régime de famille, sur le morcellement par petits ménages conjugaux : toute la philosophie roule sur ce vicieux pivot, qui est l'antipode du régime sociétaire. Il faut, par analogie, que le perroquet pivotal, qui est le blanc, déploie la bannière jaune, emblème du groupe de paternité : ce groupe est la base de tous les systèmes sociaux conçus par la philosophie; aussi le perroquet BANNERET, le cacatoès est-il baignant dans le jaune qui colore toutes les plumes inférieures de son corps. Ce serait un sujet fécond en analogies, que l'étude du perroquet; négligeons-la, puisqu'elle nous dévoilerait tous les côtés faibles des philosophes qui, prêchant la tolérance et les charmes de la vérité, sont aussi peu enclins à pratiquer la tolérance, qu'à entendre la vérité sur leur savoir-faire. C'est une étrange contradiction, chez les sophistes, que de poser en principe l'unité et l'analogie du système de la nature (Schelling, p. 49), et vouloir que les fanaux de direction fournis par la nature, comme la gamme septénaire des couleurs primitives, ne soient analogues A RIEN! Si l'unité et l'analogie existent réellement, il faut bien que ce fanal primitif soit emblème de quelque chose ! De quoi donc, sinon des passions ? Prétendra-t-on que cette gamme de couleurs primitives ne représente que des harmonies matérielles, comme les sept côtes combinées et la clavicule, les sept os du crâne et le frontal, les sept notes musicales prononcées et la 8e d'écho ? C'est accumuler contre la philosophie quatre griefs d'ignorance ; car si la nature cumule ainsi les analogies en matériel, il faut, selon le principe d'unité, qu'elles se repro¬duisent en passionnel et qu'on sache déterminer, parmi les passions, une gamme de 7 ressorts primordiaux, non compris les gammes secondaires par 12 en semi-tons, par 24 en majeur et mineur, par 32 en transitions, etc. Abrégeons sur ces fastidieux principes, revenons à la pratique; reprenons les détails d'analogie des couleurs; et passant du jaune au rouge, mettons en scène un charmant emblème, le chardonneret dont la tête coiffée de rouge, baigne dans le rouge couleur de l'ambition, selon la gamme précédente. Cet oiseau est l'opposé du serin : son plumage gris boueux, mais propre et lustré, indique une pauvreté indus¬trieuse ; il dépeint l'enfant issu de parents pauvres, tenu sévèrement, élevé par eux aux idées ambitieuses, à la prétention de s'avancer. Il est préoccupé de cette idée et, par analogie, son cerveau baigne dans le rouge, couleur de l'ambition. Son ramage, emblème de l'esprit cultivé, égale celui du serin, qui est le portrait de l'enfant riche et pourvu de bons maîtres. Ainsi, l'enfant pauvre et stimulé s'élèvera au même degré d'éducation et d'instruction que l'enfant opulent; il saura dérober la science qu'on prodigue au riche ; et comme il ne parviendra à cette instruction que par les secours de sa famille, la nature a empreint de jaune les pennes de son aile, pour indiquer que son élévation est due au soutien de sa famille, au groupe de paternité figuré par le jaune. Cet enfant pauvre ne s'épouvante pas des ronces de la science; il surmonte les obstacles de l'étude, il deviendra habile jurisconsulte, fameux médecin. Par analogie, le chardonneret se plaît sur le chardon, plante épineuse et sympathique avec la classe rustique habituée aux épines de l'industrie. C'est pour figurer ces rapports que la nature met en sympathie, sur le chardon, deux personnages contrastés : le chardon¬neret, emblème de l'enfant studieux issu du paysan, et l'âne, emblème du paysan, de son patois ou braiement risible, de sa nourriture chétive, de sa résignation aux mauvais traitements, et de sa sotte obstination dans les vicieuses méthodes. Ici le chardon présente double analogie : une sensuelle, une spirituelle. Le paysan aime les liqueurs fortes, les mets piquants et les émotions violentes, comme l'aspect des supplices; de-là vient que l'âne, emblème du paysan, aime à se nourrir des piquants du chardon, et envisager un précipice effrayant. C'est ainsi que, par entremise de l'analogie, les êtres les plus dédaignés, l'âne et le chardon, inspirent de l'intérêt. Ce que Boileau a dit de la mythologie s'applique mieux encore à l'analogie : Là pour nous enchanter, tout est mis en usage Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage. Sans l'analogie, la nature n'est qu'un vaste champ de ronces; les 73 systèmes de la botanique ne sont que 73 tiges de chardon. Rousseau les a bien qualifiés de science rebutante, qui vient cracher du grec et du latin au nez des dames. Dites aux dames, pour les intéresser, que tel effet de passions est dépeint dans tel végétal; montrez-leur les variétés de l'amour dans l'iris, la tubéreuse, l'œillet, la jacinthe, la pêche, l'abricot, le pigeon et le coq, vous les amorcerez mieux à l'étude qu'en leur débitant vos légendes barbares, vos ronces académiques : TRAGOPOGON, MESEMBRYAN¬THEMUM, TETRANDRIA, RHODODENDRUM. joli concert pour attirer le beau sexe à l'étude ! Sans recourir aux végétaux brillants, aux bosquets de Cythère, on peut dans les plantes les plus bourgeoises, dans le chou et l'oignon, expliquer des analogies très gracieuses. Essayons : Le chou est emblème de l'amour mystérieux, de ses intrigues secrètes masquées par centuple ruse, pour échapper aux argus et aux obstacles. De même, le chou cache sa fleur sous les voiles de cent feuilles emboîtées. Ses feuilles, bouillonnées et ondoyantes, figurent les efforts astucieux d'amants obligés de cacher leur lien; elles sont plutôt bleues que vertes, parce que l'azur est la couleur de l'amour; l'azur domine dans la feuille de l'œillet qui peint la jeune fille fatiguée par réplétion d'amour, privation d'amant. Le chou-fleur, qui est contrepartie du chou, dépeint la situation opposée, l'amour sans obstacle, ni mystère; les ébats de la jeunesse libre qui voltige de plaisir en plaisir; aussi le chou-fleur est-il un océan de fleurs, image des charmes du bel âge : sa feuille n'est, ni azurée, ni bouillonnée, parce que la jeunesse libre, formant des orgies, est peu amoureuse, n'a pas besoin de recourir aux astuces, comme la jeunesse entravée dont le chou est symbolique. Le chou-fleur a comme certains végétaux un vice de fétidité; il infecte l'eau et le local où il cuit; l'artichaut infecte la main qui le cueille, et l'asperge infecte les urines. Dans ce vice commun aux 3 plantes, la nature dépeint différents désordres de l'amour libre: observons ce tableau dans le chou-fleur emblème du jeune homme à bonnes fortunes, du séducteur en vogue, de l'homme pour qui les amours sont un océan de fleurs. Un tel homme sème le trouble dans les familles, il n'est bruit que de femmes et filles séduites par lui : de là les caquets, les querelles domestiques, les incidents fâ¬cheux ; et par emblème le chou-fleur infecte l'élément symbolique de la famille, selon ce tableau : Terre Air Arôme Eau >< Feu
Amitié Ambition Amour Famille Unité.


On explique de même, par analogie aux désordres d'amour, les deux infections que produisent l'asperge et l'artichaut; mais ces sujets seraient trop obscènes : la tendre et simple nature est parfois trop simple, trop amie de l'auguste vérité. Parmi ses tableaux, il en est beaucoup qui ne sont pas admissibles en bonne compagnie; et je ne pourrais guère expliquer, par écrit, les emblèmes que fournissent l'asperge et l'arti¬chaut, tous deux hiéroglyphes de scandales amoureux qui sont très bien dépeints dans leurs feuilles, leurs fruits et toutes leurs habitudes. On ne peut les expliquer qu'en comité d'hommes, tant le tableau est fidèle, surtout en y joignant les contre¬parties, comme le cardon qui est l'opposé de l'artichaut : l'un représente la fille d'honneur, et l'autre la libertine.

Toutefois, les vérités crues de l'analogie sont bien admissibles sur ce qui touche aux classes et caractères subalternes. Qu'on explique, dans la chèvre et le bouc, un tableau des mœurs vénales du peuple; en amour, cela n'offensera que des gens qui ne savent pas lire ; quant aux avares sordides, on ne craindra pas de leur présenter un miroir dans le pourceau et le chêne, deux portraits d'avarice qui doivent se convenir et s'assembler, car ils sont le même tableau en diverses nuances; aussi le fruit du chêne, le gland, n'est-il en affinité qu'avec le cochon.

L'analogie dissipera nos préjugés en politique, ainsi qu'en morale. Deux analyses de la ruche et du guêpier réduiront à leur juste valeur nos préjugés sur les libertés administratives et les garanties : l'unité d'action est moulée dans la ruche, la duplicité dans le guêpier ; ce sont deux analogies magnifiques.

Un vice des beaux esprits civilisés, vice qui les a égarés dans l'étude de la nature, est de ne pas rapporter tout aux convenances de l'homme. Selon ce principe, quels que soient les tableaux fournis par l'abeille et la guêpe, l'une dépeint le bien, puis¬qu'elle nous donne richesse composée, par le miel et la cire; l'autre dépeint le mal, puisqu'elle donne pauvreté composée par son carton inutile et ses ravages. Telle est aussi l'araignée, image du commerce mensonger, du piège de libre concurrence.

Les analogies sont déjà très séduisantes isolément, par la fidélité du pinceau de la nature. On vante le tableau du tartufe peint par Molière, la fleur dite Amarante et le reptile nommé Caméléon, sont des tableaux de l'hypocrisie plus parfaits encore. Pour en juger il faudrait une longue description de toutes les parties de ces deux moules.

Les analogies redoublent de charme quand elles sont présentées en contraste et en graduation. L'aigle et le vautour nous dépeignent deux autorités qui s'élèvent de fait au rang suprême, qui savent régner; mais il est des princes qui se traînent, et sont incapables de régner ; ils ont pour emblèmes l'autruche, ou pauvre d'esprit, grand corps sans tête; et le dronte, image du sot orgueilleux, tête ignoble dont le cerveau ne produit qu'une crête ridicule et inutile à l'homme, ainsi que tout le corps de l'oiseau.

Pour faciliter l'étude de l'analogie, il faut assembler des galeries de portraits sur un même sujet : s'agit-il de l'auguste vérité, il faut étudier combinément les emblèmes de vérité; tels sont le cygne, la girafe, le cerf, le sapin, le cèdre, le lis, tous hiéroglyphes des différents emplois de cette vérité si ingrate pour ceux qui la pratiquent. En voyant son triste sort, dépeint dans ces divers animaux et végétaux, aucun civilisé ne sera tenté de pratiquer la vérité, quoi qu'en disent nos philosophes qui, cherchant à nous duper, ne veulent pas qu'on connaisse le sort fâcheux réservé aux amants de la vérité.

Les tableaux de nos passions deviennent très gracieux lorsqu'on les étudie en détails comparatifs, comme serait une échelle des degrés de sottise, de bel esprit et de bon esprit, représentés par les coiffures d'oiseaux : leurs huppes, crêtes, appendices, aigrettes, colliers, excroissances, et ornements de tête. L'oiseau étant l'être qui s'élève au-dessus des autres, c'est sur sa tête que la nature a placé les portraits des sortes d'esprit dont les têtes humaines sont meublées. Aigle, vautour, paon, dronte, perro¬quet, faisan, coq, pigeon, cygne, canard, oie, dinde, pintade, serin, chardonneret, etc., sont, quant à l'extérieur des têtes, le portrait de l'intérieur des nôtres. L'analyse comparative de leurs coiffures fournit une galerie amusante, un tableau des divers genres d'esprit ou de sottise, dévolus à chacun des personnages dont ces oiseaux sont l'emblème.

L'aigle, image des rois, n'a qu'une huppe chétive et fuyante en signe de la crainte qui agite l'esprit des monarques, obligés de s'entourer de gardes, et entourer leurs sujets d'espions pour échapper aux complots. Le faisan peint le mari jaloux tout préoccupé des risques d'infidélité et, pour s'en garantir, épuisant les ressorts de son esprit. Aussi voit-on, du cerveau d'un faisan, jaillir en tout sens des plumes fuyantes. (Le genre fuyant est symbole de crainte.) On voit une direction contraire dans la huppe du pigeon, relevée audacieusement, peignant l'amant sûr d'être aimé, et dont l'esprit est libre d'inquiétude, fier du succès.

Parmi les coiffures d'oiseau, la plus digne d'étude est celle du coq, emblème de l'homme du grand monde, l'homme à bonnes fortunes; mais comme les analogies ne sont intéressantes que par opposition des contrastes, il faut, à côté du coq, décrire son moule opposé, le canard, emblème du mari ensorcelé qui ne voit que par les yeux de sa femme. La nature, en affligeant le canard mâle d'une extinction de voix, représente ces maris dociles qui n'ont pas le droit de répliquer quand leur femme a parlé; aussi le canard, lorsqu'il veut courtiser sa criarde femelle, se présente-t-il humblement, faisant des inflexions de tête et de genoux, comme un mari soumis, mais heureux, bercé d'illusions; en signe de quoi la tête du canard baigne dans le vert chatoyant, couleur de l'illusion.

Le coq dépeint le caractère opposé, l'homme courtois qui, sans maîtriser les fem¬mes, sait tenir son rang avec elles; c'est l'homme de bon esprit ; aussi la nature fait-elle jaillir de son cerveau la plus belle et la plus précieuse des coiffures, une SÉRIE de chair belle et bonne ; autant que celle du dronte est déplaisante et inutile, comme le sot orgueilleux qu'elle représente. Mais laissons ce joli sujet, qui nous conduirait trop loin.

J'en ai dit assez pour démontrer que le grimoire de l'analogie est enfin surpris; que la théorie de l'analogie et des causes en création va être pleinement dévoilée, sauf études : quaerite et invenietis.

Quant aux naturalistes actuels, bornés à observer des effets lorsqu'ils chantent les beautés du grand livre de la nature, ne ressemblent-ils pas au sénateur aveugle qui fit l'amusement de la cour de Domitien ? Dans le conseil sur l'apprêt du fameux turbot, ce sénateur avait le dos tourné au poisson, et ne le voyant pas, il s'extasiait sur sa beauté. Tels sont nos écrivains prônant les beautés du grand livre dont ils ne comprennent pas une ligne, pas même les hiéroglyphes les plus intelligibles, comme la chenille, emblème dégoûtant des 4 sociétés odieuses qui acheminent au mécanisme sociétaire ; elles sont représentées par les 4 sommeils de la chenille, à laquelle succède la chrysalide, emblème de l'état mixte ou garantisme, et le papillon emblème de l'harmonie sociétaire.

Si l'on échoue sur des tableaux si frappants, comment en expliquerait-on de plus difficiles, tels que le haricot et le pois représentant les Petites Hordes et les Petites Bandes (chap. XXI et XXII), corporations bien inconnues de nos moralistes ! S'ils veulent enfin s'initier au grimoire de la nature, il faut faire trêve d'orgueil académique, et se résoudre à l'étude facile des passions et de l'analogie; le premier qui suivra cette marche entraînera tout. Quel affront pour ces savants d'être réduits à prêcher l'obscurantisme, comme Cicéron : latent ista omnia crassis occultata et circumfusa tenebris, etc., et de ne rien comprendre aux tableaux de choses dont ils s'occupent chaque jour, pas même aux portraits de leur cheval de bataille, de leur auguste vérité, peinte dans le cygne et la girafe, qui figurent la vérité inutile, dont on n'emploie que l'enveloppe ; et dans le cerf figurant la vérité poursuivie par les grands et l'administration (par l'homme et le chien)!

Pour essayer de rallier un noyau de savants à l'étude de la nature et des CAUSES en création, je publierai prochainement un volume d'initiative, intitulé : PREMIÈRE CENTAINE D'ANALOGIES, que je choisirai parmi les plus amusantes, les plus propres à faire goûter cette nouvelle science, qui seule peut répandre du charme sur l'étude de la nature, donner à chaque animal ou végétal ou minéral, un corps, une âme, un esprit, un visage.

Venons au but de cet article, au débit qu'obtiendront les feuilles abréviatives des analogies découvertes. Lorsque la science aura été exposée dans un bon traité, appuyée d'un millier de tableaux intéressants par des descriptions complètes, et non par des croquis parcellaires, comme j'en ai donné sur la rave et le perroquet, la vente des feuilles à 3 sous, y compris le sou de bénéfice alloué, sera au moins de MILLE par phalange, enfants non comptés, car on ne les initiera pas à l'analogie. Le produit de cette vente (50 F), multiplié par 500 000 phalanges, donne 25 millions de F ; or le n'ai tablé que sur 8 millions de bénéfice, et non pas sur 25 millions. J'ai donc supposé la vente réduite à 320 feuilles par phalange, au lieu de 1 000. C'est caver beaucoup trop bas, vu l'avidité qui existera pour cette lecture.

Le principal motif d'empressement pour la feuille apportant 30 Ou 40 analogies nouvelles, c'est que chacun espérera y participer en continuation : je m'explique.

Un hiéroglyphe, tel que chien ou chat, peut présenter jusqu'à cent tableaux de passions, surtout dans sa conformation intérieure, qui n'est pas visible; ajoutons que dans les parties visibles, on est longtemps à deviner les nombreuses énigmes : je connaissais depuis dix ans les analogies principales de l'éléphant, avant d'avoir pu expliquer les deux allégories de ses yeux ridicules par petitesse et disproportion, et de ses oreilles choquantes par énormité et aplatissement. Ainsi l'un des étudiants expliquera ce que l'autre aura manqué ; chacun se hâtera de consigner, dans la feuille du jury abréviatif, le peu qu'il aura découvert sur un hiéroglyphe; chacun craindra d'être devancé par un autre interprète qui obtiendrait priorité ou partage, selon les dates et les circonstances; on se hâtera donc de livrer au jury chaque solution partielle de problèmes. X présente sur la perdrix une traduction qui n'est admise que pour cinq lignes; c'est toujours soixante mille francs de gagnés sans préjudice du surplus; cela n'empêchera pas qu'il n'obtienne peut-être 120 000 francs la semaine suivante, s'il peut présenter sur le même sujet une traduction d'autres détails, admise pour dix lignes. Après lui divers collaborateurs pourront obtenir le prix de douze mille francs par ligne, s'ils ajoutent des détails reconnus exacts quant à l'analogie. On verra souvent une douzaine d'interprètes fournir successivement des articles sur un même hiéroglyphe; dès lors le premier qui aura ouvert la voie, en indiquant le caractère principal de la perdrix (ou autre moule), servira utilement tous les explorateurs; ils trouveront après lui beaucoup à moissonner; ils ne seront pas glaneurs, car ils recueilleront peut-être plus que celui qui aura pris l'initiative. C'est par cette raison que les feuilles d'abrégé sur l'analogie seront accueillies comme une mine d'or par toute la classe des continuateurs, classe bien nombreuse, car sur cent personnes il en est 99 qui sont, comme les Français, habiles à perfectionner et inhabiles à inventer. Les femmes auront une grande aptitude à ce genre de travail.

Ainsi, la feuille d'analogie sera dévorée chaque fois qu'elle paraîtra : tout homme ou femme riche en prendra une demi-douzaine, pour en placer une à sa collection, une ou deux à sa poche pour le travail, et en donner 2 ou 3 à ses amis pauvres, à ses collègues industriels. On peut donc estimer la vente à mille par phalange; or je n'ai tablé que sur 320, nombre qui réduit la récompense à 12 000 F par ligne. je pratique partout cette réduction estimative ; quiconque voudra prendre la plume et vérifier arithmétiquement, verra que je suis toujours bien en dessous de la somme réelle. Beau sujet de réflexions, pour les savants, sur l'immense fortune dont ma découverte leur ouvre la voie! L'article suivant va leur prouver qu'ils pourront, dans l'état sociétaire, gagner des millions bien plus aisément que ne le font aujourd'hui ces agioteurs aux pieds de qui la philosophie moderne est sottement prosternée.



Postface

Sur la cataracte intellectuelle


Duperie du monde savant
et des partis politiques.

C'en est fait des voiles d'airain; adieu l'excuse de l'indolence académique : plus de mystères de la nature, elle a capitulé, nous tenons la clé de son grimoire, en dépit de certains anges de ténèbres.

Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense, a dit notre fabuliste ; et, de même, le plus obscurant des trois (noblesse, clergé, philosophes) n'est pas celui qu'on pense : écoutons les vrais obscurants se dénonçant eux-mêmes.

« Souvenez-vous, ô mon fils, que la nature est couverte d'un voile d'airain que tous les efforts des siècles ne sauraient percer ! » (BARTHÉLEMY, Voyage d'Anacharsis.)

C'était un prestige bien commode que ce voile d'airain pour les monopoleurs de génie qui, ne voulant pas se donner la peine d'inventer, aimant mieux fabriquer des systèmes à la toise, prétendent que l'esprit humain doit s'arrêter à tel point ; qu'il ne faut ni étudier les sciences intactes, ni continuer l'exploration des sciences ébauchées, comme l'attraction, dont Newton a fait le calcul en matériel seulement, et non en passionnel.

Ce travail est achevé : je me suis attaché à l'étayer de preuves redoublées sur les points principaux; tels sont :


Les ressorts des Séries passionnées, chapitres V et VI.
Les ressorts d'attraction indirecte, chapitres XXI et XXII.
Les ressorts de répartition équilibrée, chapitres XXXIV et XXXV.


J'ai fourni partout les preuves en mode composé et non pas simple ; toujours la preuve et la contre-preuve, comme en mathématiques ; on ne prétextera pas d'insuf¬fisance en démonstration.

Il manque ici un aperçu sur les Séries mesurées (152, 153); mais c'est un genre d'accords trop vastes et trop magnifiques pour des commençants; il leur suffit de connaître les Séries libres (74).

Grâce à cette découverte, le monde va être délivré des commotions anarchiques et des querelles de partis. Je vais lui présenter un tableau des degrés de restauration; les spéculateurs pourront aviser au choix, opter sur 15 phases de progrès réel, dont 14 placées entre la 3e de civilisation, où nous languissons, et la 1re phase d'harmonisme, où nous pouvons passer immédiatement.


Échelle des 15 phases de progrès réel, à option
1. CIVILISATION 3e phase. 9. Ambigu de Gar. et Soc.
2. 4e phase. 10. 1re phase.
3. Ambigu de Civil. et Gar. 11. 2e phase
4. 1re phase. 12. SOCIANTISME APOGÉE.
5. 2e phase. 13. 3e phase.
6. GARANTISME APOGÉE. 14 4e phase.
7. 3e phase. 15. Ambigu de Soc. et Harm.
8. 4e phase. 16. HARMONISME 1re phase.


Plus le choix se rapprochera du no 1, plus l'opération sera lente : il en serait de même des bénéfices et du bien-être, faibles au no 2, qu'on organiserait lentement, immenses au no 16, qu'on peut organiser avec la rapidité de l'éclair. Il est, dans la recherche des fondateurs et actionnaires, beaucoup de précautions à prendre : je vais les indiquer en 5 petits articles qui serviront d'instruction aux négociateurs, et qui définiront exactement la cataracte intellectuelle et les causes qui l'ont produite.




- I -

Candidature spéculative

Il faut se garder de compter pour cette fondation sur aucun des partis politiques : libéraux, absolutistes et mixtes seraient de mauvais juges, tout absorbés dans la polémique et les intrigues électorales; si on les sort de cette controverse banale, ils sont ébaubis comme un chat dépaysé, changé de logis.

Les libéraux, qui ne tiennent qu'aux mots et non aux choses, suspecteraient la théorie pour l'honneur D'UN MOT; ils exigeraient que les 15 phases de progrès réel fussent nommées civilisation perfectible, nom qui ne convient qu'aux phases où règnent la fourberie commerciale et le morcellement agricole.

Les absolutistes ont pour caractère l'effarouchement; ils poussent la crainte de révolution jusqu'à la déraison : semblables à Pourceaugnac effarouché par les apothi¬caires, et croyant voir partout des lavements. Ainsi les absolutistes, qui ne rêvent que répression, s'effarouchent à l'idée de métamorphose universelle et subite, quelque heureuse qu'elle puisse être.

Il faut donc se garder de spéculer sur des partis. On doit s'adresser à un de ces hommes qui ont de grands moyens en fortune ou en influence et qui, ayant manqué un ministère, seront flattés de s'élever subitement à un poste bien supérieur, tout en faisant d'énormes bénéfices. Quant aux partis, ils peuvent voir aux chapitres L et LI que, même en se bornant à organiser la 4e phase du tableau précédent, en créant dans les campagnes la ferme fiscale garante, et dans les villes l'entrepôt trinaire concur¬rent, on obtiendrait déjà dix fois plus d'améliorations que le libéralisme et la philoso¬phie n'osent en rêver; on verrait cesser en moins de 3 ans la mendicité, l'indigence, les fourberies, les brigandages, les extorsions fiscales, etc. Les gouvernements y gagneraient grandes propriétés, grands revenus, moyens d'extinction des dettes, et stabilité sans inquiétude.

Une classe vivement intéressée à cette heureuse innovation est celle des journa¬listes de Paris, tous assis sur un volcan. Si l'absolutisme triomphe, comme tout l'annonce, il leur donnera à tous un congé de réforme, sans distinction de partis, et ne conservera qu'une seule gazette assoupissante, comme à Vienne ou Madrid. D'autre part, si on procède à sortir de la civilisation, les journaux obtiennent le lendemain triple nombre d'abonnés, Cours en tous pays, et mainlevée du bâillon, parce que les querelles politiques seront oubliées à l'instant.

Ce changement importe surtout au parti libéral, très chancelant ; s'il regagnait du terrain, une ordonnance ou un coup d'État en ferait raison. Il oublie que l'opinion est peu de chose, qu'en civilisation le 8e oppresseur l'emporte sur les 7/8 résistants, et qu'en lutte politique, il faut des moyens neufs et non des discours. Il faut que les deux partis soient bien aveuglés pour ne pas reconnaître que l'unique voie de salut est de s'élever plus haut que la civilisation, et non pas de rétrograder comme ils le font tous deux. Quoi qu'en disent les libéraux, c'est rétrograder que d'organiser la discorde permanente entre les princes et les peuples, tandis que les opérations de garantisme, telles que la ferme fiscale et l'entrepôt concurrent, établiraient la concorde, l'unité de vues, d'intérêts et d'action entre toutes les classes. Alors les absolutistes compren¬draient qu'il leur convient de tendre au progrès réel, et non pas de retourner au Xe siècle ; mais ils s'obstineront nécessairement dans les voies obscurantes, si on persiste à leur tendre le piège du faux libéralisme, vraie cataracte intellectuelle, puisqu'il repose sur quadruple cécité du monde savant.


1˚ Cécité des économistes qui, pour nous enrichir, emploient la plus petite et la plus coûteuse réunion, celle de famille ; et la plus grande fourberie possible ou con¬currence anarchique des marchands.

2˚ Cécité des moralistes qui veulent donner à l'homme des vertus avant de lui donner du pain, veulent armer l'homme contre ses passions, vantent la vérité et l'amour du trafic ou mensonge.

3˚ Cécité des politiques, organisant la ruine du peuple par la baisse du salaire, par l'exubérance de population et cent autres monstruosités.

4˚ Cécité des métaphysiciens qui prétendent que Dieu a créé les passions au hasard, ou sans révéler à l'homme les lois de leur harmonie, et qui croient étudier l'homme, sans étudier l'attraction, moteur de l'homme.


On remplirait des pages sur les absurdités de chacune de ces 4 sciences, dont le quadrille forme la cataracte intellectuelle, servant de guide à l'esprit libéral. Faut-il s'étonner qu'il ne sache que perpétuer le mal, et que ses antagonistes le repoussent comme une coupe empoisonnée ! Lequel des deux partis est le plus obscurant, ou de celui qui rétrograde franchement, ou de celui qui promettant le progrès social, est de fait immobiliste, ne voulant pas que l'esprit humain avance au-delà du bourbier civilisé, s'efforçant de nous ramener à la 2e phase de civilisation, aux commotions démocratiques, et poussant l'autre parti à la rétrogradation par les craintes qu'il lui inspire.

Lorsque enfin le remède à cette anarchie est découvert, chacun sentira combien il est fâcheux de manquer d'un ressort d'opposition aux vandales, d'un jury examinateur des inventions, obligé de poser, en séance publique et en présence de l'inventeur, des questions dont la première serait celle-ci : Est-il certain que l'auteur ait continué la théorie commencé par Newton, l'étude de l'attraction; qu'il l'ait étendue du matériel au passionnel ? Ensuite de la décision affirmative, d'autres questions succéderaient, et le débat réduirait au silence la détraction qui a tout pouvoir, tant qu'on ne lui oppose pas un contrepoids, tant qu'il n'existe dans le monde savant, comme dans le monde com¬mercial, qu'une concurrence de fraude, sous le masque de vérité et de liberté.

Prenons en flagrant délit cet obscurantisme scientifique. Dernièrement un physicien de France, M. ARAGO, démontrait (Annuaire du bureau des longitudes, 1829) que l'invention du mécanisme à vapeur est due à PAPIN, Français natif de Blois. Molesté d'abord par l'Académie des sciences de Paris, Papin fut accueilli en 1681 par la société royale de Londres; et 80 ans plus tard, en 1764, Watt se fit passer pour inventeur de ce mécanisme, qu'il avait un peu travesti, selon l'usage des pla¬giaires. Ainsi la France revendique après coup toutes les découvertes, même les minuties comme la soupe Rumford. Pourquoi donc est-elle si vandale envers les inventeurs, qu'aucun d'eux ne peut, DE SON VIVANT, trouver accès et examen méthodique en France ? Elle prétend aujourd'hui :


Que la vaccine, attribuée à Jenner, est du Français RABAUD) ;
Que l'enseignement mutuel, attribué à l'école de Lancastre, est du Français SAINT-PAULET ;
Que l'arbre encyclopédique, attribué à Bacon, est du sieur SARIGNY de Rethel ;
Que le bateau à vapeur n'est point de Fulton, mais du comte de Jouffroy (version de 1822) ;
Que ledit bateau n'est ni de Jouffroy ni de Watt, mais de Papin, mort il y a un siècle (version de 1829).


Il faut donc qu'un inventeur soit trépassé depuis longtemps pour trouver grâce aux yeux des académiciens français! Là-dessus M. Arago nous dit :


L'homme de génie est toujours méconnu quand il devance son siècle dans quelque genre que ce soit.


C'est la faute de ces corps savants que Thomas a dénoncés avant M. Arago, en disant : « Le dernier des crimes qu'on pardonne est celui d'annoncer des vérités nouvelles. » Consentiront-ils à être justes dans cette circonstance, à faire examiner le calcul de l'attraction; ou bien suivront-ils leur méthode usitée, diffamer un inventeur dans les journaux et faire refuser l'insertion de sa réplique ? On ne voit autre chose en France que détraction dans le monde savant, fourberie dans le monde mercantile, et calomnie dans le monde électoral. Tels sont les trophées de la belle France régénérée par le commerce et la philosophie.

Aucune classe n'est plus dupe de ces travers que les philosophes et les savants. Chacun d'entre eux pourra, en Harmonie, se former un revenu (135) bien supérieur au médiocre budget de 400 000 F, qu'ils se partagent dans Paris. J'ai indiqué dans l'épilogue un de ces moyens de fortune colossale, j'en ajoute quatre.

2˚ Les récompenses unitaires (135). Qu'un ouvrage couronné obtienne 1 franc, par vote moyen des phalanges, c'est 500 000 F.

3˚ La vente directe. Si l'ouvrage est bon, la consommation de 7 ou 8 exemplaires par phalange fait 4 millions d'exemplaires avec profit estimé cinq sous, c'est pour l'auteur deux millions de francs.


Quel coup de fortune pour ces écrivains, qui, aujourd'hui, se plaignent que tout le bénéfice est pour les libraires ! Quel motif pour ceux de Paris de prendre leurs mesures pour que la langue française soit adoptée, comme langue unitaire provisoire, pendant le premier siècle d'harmonie ! Cette affaire importe surtout aux journalistes de Paris, qui, dans ce cas, auraient subitement cours par tout le globe, et qui verraient tripler le nombre de leurs abonnés, du moment où la fondation d'une phalange d'essai près Paris exciterait une curiosité ardente et ferait oublier les vieilles disputes politiques, pour ne s'occuper que des approches du bonheur général.

4˚ Autre amorce pour les écrivains : ils se plaignent tous de manquer de sujet; ils en sont réellement dépourvus. Ils auront, outre l'analogie (523), beaucoup de sujets excessivement féconds, neufs et faciles, entre autres la glose critique des 4 sciences philosophiques. On en réimprimera tous les ouvrages notables, avec la glose en regard (voyez-en deux exemples sur le Télémaque, IV, 477, et sur L'Homme des champs, 560). Ce seul sujet pourra, pendant plus de vingt ans, entretenir de nombreux écrivains, avec débit à 20 par phalange, dix millions d'exemplaires.

Enfin l'enseignement sera une autre mine d'or pour les savants, artistes et lettrés. Les sciences et les arts devenant productifs dans l'harmonie, il faudra que tout le peuple reçoive la haute instruction; mais on n'aura pas le vingt-millième des institu¬teurs nécessaires : on se les disputera pour former des écoles normales de canton, pour inspecter des provinces, des districts; les moindres savants de nos cités obtien¬dront de forts dividendes sur plusieurs cantons; et, par cette seule branche de travail, ils jouiront des bénéfices et du lustre dont jouit en France un grand maître de l'université.

C'est donc à eux un acte de démence que de contrecarrer l'examen et l'essai de la théorie d'attraction industrielle : duperie d'autant plus grande, que depuis vingt ans ils protègent une secte d'association fausse, dirigée par M. Owen, secte qui n'a aucun moyen neuf. Il faut, à ce sujet, conclure sur ce qui a été dit aux pages 40, 198, 425, et dessiller les yeux sur le compte de ces loups couverts de peaux de brebis. La crédulité qu'ils ont obtenue est un des indices les plus frappants de la cataracte intellectuelle qui offusque notre siècle.



- II –

Réfutation des owenistes

Depuis vingt ans environ, l'opinion est circonvenue par ces sycophantes de la secte OWEN, gens très dangereux, non par le mal qu'ils font, mais par le bien qu'ils empêchent; car en persuadant que leur chef est un homme intelligent en mécanisme sociétaire, ils ont tellement fasciné l'opinion, que chacun croit le problème entière¬ment résolu par la sagacité de M. Owen, qui, loin d'avoir en association la moindre connaissance, est précisément à l'opposé des méthodes naturelles dans sa bizarre doctrine, réduite à trois thèses des plus saugrenues que j'examinerai à quelques lignes d'ici.

On assure que la société qui le soutient a dépensé depuis vingt ans des sommes énormes pour faire retentir les journaux des vertus de ce régénérateur présomptif, et le faire présenter au congrès de Vienne et à divers souverains. D'autres disent que c'est lui-même qui a fourni à tous ces frais, à l'aide de sa grande fortune; en ce cas, il est bien maladroit, car avec le quart des dépenses qu'il a faites pour être CANONISÉ TOUT VIVANT, il aurait pu fonder la véritable association, et s'élever au plus haut degré de fortune, à une gloire durable, méritée.

Le public débonnaire, habitué depuis longues années à un chorus d'apologies sur ce nouveau thaumaturge, pense qu'on est un blasphémateur, si on ne considère pas M. Owen comme un saint; et qu'on est sacrilège, si on prétend donner sur l'association des lumières plus certaines que ses diatribes contre la propriété, la religion et le mariage.

Son plan de communauté a eu d'abord quelque vogue, parce que c'était un masque d'esprit de parti, un voile du plan secret qui tend à détruire les prêtres et le culte. Cette perspective rallia au prédicant Owen toute la coterie de l'athéisme ; quant à ses deux autres dogmes, celui de communauté des biens est si pitoyable qu'il ne mérite pas de réfutation; celui de suppression subite du mariage est encore une monstruosité. (Voyez 199.)

La vraie association suivra les 3 routes opposées : 1° elle sera religieuse par passion, par conviction de la haute sagesse de Dieu, dont elle recueillera à chaque instant les bienfaits. Le culte public sera pour elle un besoin: le moindre vicaire y jouira du sort actuel des évêques, et on sera obligé en France de créer, par ordination accélérée, au moins trente mille prêtres, afin que chaque phalange en ait un nombre suffisant pour exercer en relais, sans assujettissement journalier à leurs fonctions ; 2° en opposition à l'esprit de communauté, on excitera l'esprit de propriété par des coupons d'action et des votes économiques accordés aux prolétaires qui, par des économies assidues, auront accumulé le 12e du capital donnant vote en aréopage : on l'accordera aussi à beaucoup d'autres titres, afin de ne pas imiter les civilisés, qui, dans leur système représentatif, n'estiment le mérite qu'au marc d'argent. 3° Quant au mariage, on a vu (199) qu'il sera, avec le temps, modifié, gradué et non pas supprimé; et l'on n'y touchera que par degrés dans la génération prochaine, lorsque les modifications auront été votées par 4 classes réunies, gouvernement, sacerdoce, pères et maris.

Toutefois c'est bien une preuve de la cataracte intellectuelle du siècle que de s'être laissé abuser sur l'objet le plus important au monde social, sur le mécanisme sociétaire, par un prédicant qui n'a ni doctrines neuves, ni dogmes précis. Son plan de destruction des prêtres est un résidu de révolution : si on supprimait toutes les classes qui abusent de leurs fonctions, je ne sais quelle classe de civilisés pourrait être conservée. Son dogme de communauté est un réchauffé de Sparte et de Rome ; celui de libre amour est de même un plagiat sur divers peuples (200), entre autres les Népauliens, les Otahïtiens, etc.

Le côté remarquable dans ces dogmes c'est l'ambiguïté, les réserves d'escobar¬derie, les moyens de remanier le système selon les événements. Ainsi, en affaires de religion, Rob. Owen ne renie pas positivement Dieu, il le condamne seulement à garder l'incognito, sans prêtres ni culte, jusqu'à ce qu'on ait statué sur le rôle qui lui sera assigné ; rôle variable selon les progrès de la secte qui, dans le cas d'échec, lui accorderait une ombre de culte, et dans le cas de succès, pourrait bien donner congé absolu à Dieu comme au sacerdoce; car qui congédie l'un, est suspect de vouloir congédier l'autre.

Les dispositions de M. Owen sur l'amour tombent également dans le vague, l'ambigu et l'anarchie : on voit que ce novateur a voulu, sur chaque dogme, se ména¬ger des faux-fuyants, afin de pouvoir modifier ses méthodes selon les circonstances. On le voit surtout dans sa doctrine de communauté des biens; elle ne s'étend pas à toutes les classes de sociétaires ; il en dispense les actionnaires, prévoyant bien qu'ils n'auront pas assez de philanthropie pour renoncer à l'agio de leurs capitaux.

Dans ses lubies morales, il veut persuader aux cénobites de New Lanark (pauvres tisserands allant nu-pieds en pays très froid) qu'ils vont entraîner le monde entier à l'imitation, qu'ils vont convertir tous les voisins. Ces pauvres gens, dépendant de lui pour la substance, n'ont garde de contredire ses sermons; mais on n'a pas vu depuis vingt ans que leurs voisins, le duc d'Hamilton et les riches négociants de Glasgow, aient renoncé à tenir bonne cuisine et bonne cave; qu'ils aient opiné à boire de l'eau claire et aller nu-pieds pour s'élever à la hauteur de la philanthropie oweniste.

Il faut toute la bonhomie de notre siècle pour avoir admis, comme voie d'associa¬tion, ce réchauffé de lieux communs philanthropiques, ce ramas de paradoxes baroques, tel que celui qui prétend que les trois sources de mal en politique, sont la religion, la propriété et le mariage, et que leur suppression va nous élever au super¬latif de la sagesse : risum teneatis ! Mais le prédicant qui débite ces fadaises promet d'anéantir tous les prêtres; dès lors c'est un colosse de vertu, au dire de quelques biographies ; c'est un thaumaturge en régénération; c'est un astre moral devant qui pâlissent tous les flambeaux de vertu présents et passés.

Je m'abstiendrais de réfuter cette chimère, si elle n'eût mis en scène que des bizarreries sans conséquence, comme celles de son modèle W. PENN, qui défend de mettre des boutons aux habits, et ne veut d'autre couleur que du gris. Ces niaiseries morales ne causèrent aucun préjudice au genre humain; mais la secte Owen a jeté les modernes dans un égarement funeste, en leur donnant le change sur l'important problème de l'association ; en persuadant que tout est fait en ce genre d'étude, et que toute recherche serait inutile après M. Owen, génie sans pareil, foudre de philan¬thropie à qui on doit croire aveuglément, sans aucun examen de ses moyens, sans tenir compte de l'expérience qui le confond depuis vingt ans, par le refus d'adhésion des sauvages et des civilisés voisins, en Écosse et en Amérique.

L'influence de ce sophiste, la confiance qu'il a usurpée, étant le principal obstacle à l'essai du régime sociétaire naturel, il importe de le réfuter exactement. Je résume par deux arguments sur la déraison et les escobarderies de sa doctrine.

Il veut retrancher 3 parties d'un tout collectivement vicieux, retrancher du régime civilisé le sacerdoce, la propriété et le mariage. Le restant vaudra-t-il mieux après cette suppression ? jugeons-en par un parallèle : qu'un homme soit atteint d'une conta¬gion, peste ou fièvre jaune, sera-ce un moyen curatif que de lui couper un pied, une main et une oreille, parce que ces parties sont infectées du virus ? Chacun répond qu'il faut traiter le corps entier au lieu de faire une amputation de trois parties qui n'aboutirait qu'à tuer le malade. Il en est ainsi de la Civilisation; c'est dans son entier qu'elle est gangrenée, et non pas dans telles parties exclusivement ; les autres por¬tions, le commerce, la finance, la judicature, la police, la diplomatie, et même la Cour, ne sont-elles pas encroûtées de vices comme les 3 que proscrit M. Owen ? Il faut donc purger l'ensemble au lieu d'en amputer trois portions. Si vous coupez quelques branches de l'euphorbe ou du mancenillier, l'arbre n'en sera pas moins vénéneux ; il faut le remplacer par un autre d'espèce salubre. Voilà ce que ne peut promettre M. Owen : il ne connaît pas les sociétés supérieures à la civilisation, 28. Il voit que le siècle raisonne confusément d'association, et il bâtit sur ce mot une chimère sociétaire, un régime tout monastique, étayé de quelques diatribes morales.

Un siècle judicieux lui aurait dit : vous voulez, comme les agitateurs de 89, débu¬ter par détruire nos coutumes, quelle garantie donnez-vous de les remplacer utilement ? Vous parlez d'association, en avez-vous résolu les problèmes; et d'abord les deux principaux, ceux d'attraction industrielle et de répartition proportionnelle aux 3 facultés, capital, travail et talent ?

C'est ici qu'on reconnaît son plan d'escobarderie ; quant à l'attraction, il répond: ON TACHERA de rendre les fonctions attrayantes autant que possible ; mais tâcher n'est pas effectuer; il y a 3 000 ans qu'on TÂCHE de rendre les hommes vertueux, et l'on est moins avancé qu'au premier jour ; il faut des moyens absolument neufs et plus sûrs qu'une promesse de TÂCHER. Voyez ces ressorts aux chapitres V et VI. (Les 3 passions mécanisantes, appliquées à des séries échelonnées en double sens, 105.)

En se bornant à tâcher, sans aucun moyen fixe, M. Owen a-t-il réussi à préserver ses disciples des vices généraux, tels que le grivelage ? Non, car ses établissements sont spoliés à tel point qu'on ne dit mot du bénéfice, et que beaucoup d'actionnaires en retirent leurs fonds. Cependant le profit et les économies devraient être copieux dans des réunions excédant mille personnes, mais il paraît que dans ces communautés morales il se trouve, parmi les gérants, quelques philanthropes un peu trop amis du bien commun, et mettant le bénéfice du côté de l'épée. Faut-il s'en étonner ? toute grande réunion industrielle qui n'est pas distribuée en Séries passionnées, est sujette à deux vices radicaux :


Médiocrité de produit, faute d'attraction industrielle ;
Gaspillage, faute de garantie sur la gestion.


De là vient que les owenistes ne font pas mention des bénéfices ni des dividendes annuels, première chose dont ils devraient parler. Ils s'en tiennent à vanter les charmes de la philanthropie, le bonheur d'être utile à la communauté, dont quelques aigrefins soutirent les profits.

Reconnaissons enfin que, pour associer, il fallait découvrir une théorie régulière, mathématiquement exacte, et qu'on devait imposer des conditions; à défaut on verra vingt sophistes se flatter, comme M. Owen, qu'ils ont résolu le problème, et qu'on doit se fier aveuglément à leurs illusions philanthropiques. Il n'en est rien : j'ai prouvé que la vraie science, en mécanique sociétaire, est partout d'une exactitude mathématique, notamment sur le problème principal, celui de la répartition (chap. XXXIV et XXXV), dont les owenistes esquivent savamment la solution, au moyen de leurs dogmes de COMMUNAUTÉ.

Je pourrais ajouter beaucoup de preuves de leur impéritie et de leurs intentions suspectes; mais je crois avoir suffisamment désabusé cette multitude crédule qui, lorsqu'on parle d'association, répond : Eh ! c'est M. Owen qui fait l'association, il faut lui parler de cela. On peut voir maintenant quel rôle il joue en ce genre (40, 198, 425), le même rôle qu'ont joué les alchimistes avant la naissance de la chimie expé¬rimentale, ou les magiciens avant la naissance de la médecine. Toute science, dans son origine, est la proie des intrigants, jusqu'à ce qu'on ait substitué une théorie exacte aux charlataneries. Faut-il s'étonner que la théorie sociétaire, dont on ne s'occupe que depuis très peu d'années, ait été, comme toutes les sciences, profanée dans sa naissance par les charlataneries!


- III -

Du simplisme ou cause de la cataracte

Ce reproche de cataracte intellectuelle, adressé à un siècle savant sur divers points, pourrait sembler indécent si je ne l'étayais de preuves très palpables. je serai bref sur ce sujet peu flatteur; il va débrouiller une vieille querelle qui s'élève entre chaque siècle et ses inventeurs. Tout siècle se hâte de dire que les inventeurs ont perdu la raison, parce qu'ils ne sont pas d'accord avec le préjugé d'impossibilité ; mais d'ordinaire, c'est le siècle qui, comme au temps de Colomb, manque de raison.

La cause de ces bévues générales, de ces faux jugements de la multitude, naît d'un vice que j'ai nommé SIMPLISME ou manie d'envisager en mode simple tout le système de la nature. Ce travers suffit à fausser les plus beaux génies : c'est le péché originel de l'esprit humain.

Par exemple, nos philosophes prétendent étudier l'homme, l'univers et Dieu, et ils font de Dieu une âme sans corps ; de l'homme, un corps sans âme; et de l'univers, un vaisseau sans pilote, sans moteur, sans chef, Ainsi, l'homme, l'univers et Dieu seraient trois corps simples. Aujourd'hui les philosophes, par crainte de l'autorité, ont modifié ces doctrines; ils les désavouent au besoin; mais on sait quelles ont été leurs opinions dans les temps où régnait sur ce point une pleine liberté, à l'époque du matérialisme et des dictionnaires d'athées : on n'admettait pas même un Dieu simple, esprit sans corps; encore moins un Dieu de nature composée, ayant âme et corps (son corps est le feu).

Même simplisme dans les détails : ceux qui admettent l'âme, ne lui attribuent qu'une destinée simple en ce monde; ils la condamnent à végéter sans retour dans l'état subversif, chaos civilisé et barbare. En étude de l'univers, ils admettent l'analo¬gie nominalement, et ne l'admettent pas réellement, car ils contestent que le monde social ait, comme le monde sidéral, deux destinées figurées par les planètes et comè¬tes (harmonie et subversion). Ils nient aussi, PAR LE FAIT, que l'analogie s'étende aux substances dont notre globe est meublé, et qu'elles soient miroir des passions, parce qu'ils ne savent pas expliquer ce miroir dans chaque animal, végétal et minéral.

Leur intelligence est donc tout à fait faussée par la manie des jugements simples, qui ne savent pas assembler une conséquence avec un principe, et qui prônent tel ressort, commerce ou autre, sans tenir compte de ses résultats vicieux, comme faus¬seté universelle, etc.

C'est sur ce travers de jugements simples que reposent les 4 sciences philo¬sophiques; elles tomberaient du moment où on les soumettrait au jugement composé, exigeant le sceau de l'expérience, conformément à l'avis de Jésus-Christ et de Descartes (424) : elle frapperait de nullité toute science, morale, économisme, don¬nant des résultats contraires à ses promesses.

On remplirait cent pages si l'on voulait donner un tableau de nos jugements et méthodes SIMPLISTES, comme d'établir des garanties pour la classe riche, sans en établir pour la classe pauvre, qui n'a pas même celle de travail et subsistance; des ga¬ranties pour le sexe masculin, et non pour le féminin ; accueillir des théories d'industrie qui repoussent toute étude sur l'attraction industrielle; des perspectives de bonheur applicable aux civilisés et non aux barbares et sauvages; des systèmes de mœurs qui veulent faire aimer la vertu simple, sans l'étayer du bénéfice et du plaisir, associer l'industrie sans associer les passions, établir le libéralisme et n'admettre pour base d'éligibilité que le marc d'argent; chercher des lumières, et n'estimer les écrits que selon le style.

C'est par cette habitude de faux jugements que l'esprit humain s'est engouffré dans tous les ridicules, et dans un abîme intellectuel qui est la DUPLICITÉ D'ACTION. Il serait trop long de la définir; j'en signale seulement les principaux, tels que contrariété de l'intérêt collectif avec l'individuel (71) ; haine réciproque (378) des trois classes qui composent le corps social ; dissidence entre les gouvernements et les peuples; dissidence entre les sexes, dont l'un ne cherche qu'à opprimer le faible, et l'autre qu'à tromper l'oppresseur ; dissidence de l'homme avec lui-même, par opposition de la raison au vœu des passions; dissidence de la science avec elle-même, par recherche de la vérité, et apologie du trafic ou mensonge ; études pour le bonheur du peuple, et apologie de la civilisation qui ne donne pas même du pain au peuple. On n'en finirait pas du tableau de ces duplicités d'action; c'est à tel point que dans une famille réunie on trouvera au moins douze duplicités, comme discord de la belle-mère avec la belle-fille, et discords de goûts en toutes choses, en éducation, comestibles, degrés de chaleur des appartements, occupations, délassements, animaux, etc.

La création a bien dépeint ce destin des sociétés actuelles ; elle a soumis par analogie tout le mobilier du globe à la duplicité de système, et d'abord le matériel de l'homme qui tombe en duplicité par la double couleur de races blanche, noire et mixte ; par sa discordance avec les eaux de mer dont il ne peut pas s'abreuver, et avec les eaux douces qu'il ne peut parcourir faute d'amphibéité (elle ne tient qu'à l'ouver¬ture de la cloison du cœur : c'est une des facultés dont jouira la race régénérée après douze générations passées en harmonie).

Il sera curieux de rechercher la source de ces jugements simples qui nous abusent sur le faussement évident du mécanisme des passions et des sociétés, sur le MONDE À REBOURS que le peuple entrevoit confusément, selon l'adage, un mal ne va pas sans un autre, Abyssus abyssum invocat. La philosophie, au contraire, loin de s'aper¬cevoir que l'homme est fait pour un sort composé, bonheur ou malheur composé, et jamais simple (403), persiste à nous vanter la simple nature, qui est l'antipode de notre destinée.

J'en ai dit assez pour convaincre que le reproche de cataracte intellectuelle n'est pas une facétie critique : l'infirmité est bien régulière dans ses causes, ses développe¬ments et ses résultats ; car la civilisation et la philosophie seraient confondues dès le moment où on voudrait passer des jugements simples aux composés, consulter l'expérience, mettre en parallèle théories et résultats de nos sciences, dont l'une prêche la vérité et rend les nations de plus en plus fourbes ; l'autre promet aux nations des richesses, et ne fait qu'augmenter le nombre de leurs indigents. Il y a certainement croûte de ténèbres sur les esprits d'un siècle qui ne s'aperçoit pas de cette subversion sociale ; et l'honneur de dégager l'entendement humain de ce crétinisme scientifique, de lui lever la cataracte du SIMPLISME, est une des palmes à faire briller aux yeux d'un fondateur.


- IV -

Démonstrations familières de la cataracte

J'ai abrégé sur la partie aride, sur l'analyse de la cause, dite SIMPLISME ; on sera mieux convaincu par quelques tableaux des effets : je vais les observer dans diverses branches de nos connaissances, en choisissant les ridicules à portée de tout le monde.

Dénuement matériel. On nous vante la richesse des nations, le lustre des sciences, et pourtant les grandes capitales, Paris et Londres, dont pas même de livres élémentaires pour l'étude de la nature. Il faudrait un ouvrage contenant cent mille planches enluminées, comme celles du cerveau, par Vicq-d'Azyr, et représentant tous les animaux, végétaux et minéraux dans les diverses phases de leur carrière; plus, les explications annexées aux 100 000 planches. L'ouvrage contiendrait au moins mille volumes in-4° : il en faudrait 2 Ou 3 exemplaires dans chacune des 500 000 phalan¬ges du globe ; ce sera un des premiers travaux de l'harmonie, travail bien impossible en civilisation : elle ne pourrait pas, avec toutes ses perfectibilités, subvenir au quart des frais qu'exige un tel ouvrage. Ces frais seront une bagatelle pour l'harmonie sociétaire qui aura, sur la seule branche des colonisations attrayantes, un bénéfice de quatre mille milliards, somme inconcevable ; mais on a vu (532) que, dans les estimations je cave toujours à demi, ou tiers, ou quart en dessous de la réalité.

Dénuement intellectuel. On voit de bons écrivains se tourmenter toute leur vie à chercher un sujet sans le trouver; être réduits à des commentaires, des travaux de compilation, etc. On badinait les défunts Auger, Aignan et autres, sur ce que leur génie ne s'élevait pas plus haut que la notice : forcés de se rabattre sur les carrières épuisées, et voulant y paraître neufs, ils tombent dans les paradoxes les plus cho¬quants. Dernièrement un journal de Paris vantait un auteur dont je n'ai pas lu l'ouvrage ; mais sur une citation d'une demi-page que donnait ce journal, je recueillis douze monstruosités très applaudies des Parisiens, dont la première était celle-ci :

Il y a en effet unité dans la civilisation des divers États de l'Europe. Unité vrai¬ment plaisante ! Chacun de ces États diffère en langage, en codes, en monnaies et mesures, en coutumes et en tout. Dans la seule France, on compte seize langues différentes : l'antipathie européenne pour l'unité est telle, que les Allemands, qui occupent le centre et qui sont réputés gens de bons sens, ne veulent pas adopter l'écriture romaine, généralement répandue dans l'Ouest et l'Amérique; et pourtant ils se disent continuateurs de l'empire romain. Ainsi l'unité, sur le seul point où elle ait fait par hasard quelque progrès, est repoussée par la nation qu'on croirait la plus sensée. Qu'est-ce donc des autres qui ne veulent pas même adopter certaines unités justes, comme celle du méridien de l'île de Fer ?

Je ne cite là qu'une des douze absurdités recueillies dans une page de citations; combien en trouverais-je dans l'ouvrage, que je n'ai pas lu ? Cette page était pourtant des meilleures, car un journal apologétique choisit ce qu'il y a de mieux.

Il est plaisant de voir l'avidité des Parisiens pour ces discussions parasites qui ne roulent que sur des faussetés ou des riens fastueusement présentés comme thèses transcendantes, quand il ne faut qu'une légère dose de sens commun pour y répondre. Jugeons-en par quelques assertions faisant suite à celle-ci.

La civilisation est un fait général, complexe, difficile à décrire. Non, rien n'est moins difficile, on vient d'en voir une description très exacte aux neuf chapitres XLI à XLIX. Supposez cette matière étendue dans 1, 2, 3 volumes, ce qui serait très facile, vous aurez une description précise de cette civilisation que je n'ai pu, faute d'espace, définir ici qu'en sommaire des sujets à traiter.

La civilisation est-elle un bien, est-elle un mal, est-elle universelle, s'étend-elle au genre humain ? Questions oiseuses, vrai sujet de facéties et non de discussions.

Il est clair qu'elle est limitée au 6e du genre humain. Les paysans russes et polonais, travaillant à coups de fouet, ne sont pas civilisés. Est-elle un bien ? Oui pour quelques riches; est-elle un mal ? Oui pour l'immense majorité, qui voit le bien-être dont elle est privée. La civilisation n'est un bien sur chaque globe qu'autant qu'elle y dure peu, et qu'on atteint vite au 6e échelon, Garantisme, à l'aide des scien¬ces et arts qu'elle crée (485); mais si elle se prolonge 25 siècles de trop, elle devient un fléau terrible, par les misères croissantes du peuple (66) ; par l'industrialisme qui opère la baisse du salaire, le retour à l'esclavage en bagnes mercantiles et agricoles; par la destruction des forêts, pentes, sources et climatures. Qu'on ose, après cela, mettre en problème si elle est un bien ou un mal!

Tel est l'usage des philosophes, élever des controverses académiques sur de graves riens, et négliger toutes les études utiles; aussi n'a-t-on pas même déterminé l'ALPHABET NATUREL, encore pleinement inconnu. Nous avons pourtant des virtuoses en GRAMMAIRE GÉNÉRALE [Voir la note à la fin de la Postface].

Cette omission est un des indices les plus plaisants de la cataracte intellectuelle dont le monde savant est affligé. Que n'oubliera-t-il pas s'il oublie l'alphabet en grammaire, et l'attraction en étude de l'homme ? Veut-il donc en toute science prendre le roman par la queue, terminer par où il faudrait commencer ?

Cette cataracte, cet instinct du faux qui domine dans le monde savant, me justifie assez du reproche d'irrévérence pour lui : dois-je féliciter un aveugle sur ce qu'il marche vers un précipice et qu'il veut y entraîner avec lui d'autres aveugles ? Mais il faudrait, dit-on, prendre des formes académiques; eh ! si j'avais le bel esprit des académiciens, je ne saurais fournir comme eux qu'un tribut de belles paroles et non de bonnes découvertes. Obligé de blâmer toutes les classes de savants, même les géomètres sur leur tolérance pour les 4 sciences trompeuses, je serais réduit à torturer chacune de mes phrases, si je voulais user de ménagements outrés; j'en ai gardé beau¬coup, en négligeant quantité de parallèles que j'aurais pu donner sur des philosophes existants qui, en écrits, invoquent les lumières, les découvertes et qui, en actions, sont des obscurants éhontés. J'aime à présumer qu'il se trouvera parmi eux quelque juge équitable; j'en ai déjà rencontré un seul dans Paris. Cette faible exception confirme la règle, et j'invite les savants, pour leur intérêt, à revenir de cette manie d'obscuran¬tisme, dénoncée récemment par l'un d'entre eux, en ces mots (539) : L'homme de génie est toujours méconnu quand il devance son siècle dans quelque genre que ce soit; mais les autres hommes de génie n'ouvraient pas à tous les savants et littérateurs les chances de fortune colossale (539), et les carrières de gloire que leur ouvre ma découverte : avis à eux de faire, pour leur propre intérêt, une exception à la coutume de zoïlisme qui, dans cette conjoncture, serait pour eux un excès de duperie.


- V -

Candidature individuelle

C'est ici un appel à ceux qui veulent, SANS DÉLAI, obtenir la fortune et la gloire. J'ai dit que, pour fonder l'association sur le globe entier par une phalange d'essai, il faut le concours de quatre individus : 1° le fondateur ou chef de compagnie ; 2° le négociateur ; 3° l'orateur (un homme peut cumuler deux de ces rôles) ; 4° l'inventeur, pour garantir l'établissement des fautes de mécanisme et de l'esprit philosophique, ou action simple et fausse.

Le négociateur est le premier qui doit opérer; il faut pour ce rôle un homme en rapport avec les grands et les capitalistes, ou bien un homme investi de la confiance générale, comme le docteur Eynard, philanthrope en actions et non en paroles.

On a vu (16o) que le capital doit être de quinze millions ; mais il suffira bien du tiers pour commencer à fonder; car dès qu'on aura mis la main à l'œuvre, les actions doubleront de prix ; la fougue s'y mettra, et la compagnie vendra aisément au prix de VINGT MILLIONS sa réserve des deux tiers : ce sera dix millions de bénéfice, indépendamment des autres profits ; jusque-là elle trouvera des fonds à 5 %, si elle opère de manière à ne laisser aucun doute sur le succès, aucun soupçon d'esprit philosophique, ou action simple, dans le mécanisme de la phalange d'essai.

Le négociateur devra former d'abord une petite société d'adeptes, comme on en voit tant à Paris. Dans toutes les sociétés existantes, on pourra trouver facilement des prosélytes ; car elles sont toutes en fausse position par la découverte du mécanisme d'attraction industrielle ; citons-en seulement trois :

1° La société de MORALE CHRÉTIENNE OU ABOLITION DE LA TRAITE est convaincue par expérience que son plan est illusoire, que son entremise n'aboutit qu'à redoubler les horreurs de la traite, ajouter celle des blancs à celle des noirs. On vend à la Martinique des femmes de couleur, quoique libres. Il est donc évident que cette société est SIMPLISTE en méthode, qu'elle prend les intentions pour des moyens; et qu'il n'y a plus d'autre voie pour aller au but que la théorie d'attraction industrielle et de quadruple produit, entraînant les maîtres mêmes à proposer l'affran¬chissement.

2° La Société D'ENCOURAGEMENT DE L'INDUSTRIE est de même SIMPLISTE en méthode, n'encourageant que le matériel, que les machines dont les progrès redoublent la misère des prolétaires. (Voyez l'Angleterre, 65, 66.) Il faut un moyen d'établir EN TOUS PAYS la hausse du salaire; et l'on a vu que cet effet ne peut naître que de l'attraction industrielle.

3° La société de GÉOGRAPHIE : Elle voit périr misérablement tous les voya¬geurs, les MUNGO PARCK, les CLAPPERTON, etc. Il faut, pour garantir leur sûreté et les progrès de la science, policer subitement les barbares et sauvages de l'intérieur des continents africain et autres; le moyen ne peut être que le mécanisme d'attraction industrielle : en repoussant cette méthode, la société géographique tomberait, comme celle de morale chrétienne, dans le simplisme, ou illusion de tendre au bien par de stériles discours, sans méthode efficace.

Les autres sociétés seront également convaincues de simplisme, et la société d'essai se peuplera de leurs scissionnaires (car les masses ne se convertissent pas) ; celle d'agriculture en fournira sans doute bon nombre. D'après la théorie publiée, il est évident que le mode actuel, en agriculture, est l'absence de toute économie et de toute raison, absence de moyens et de connaissances : la banlieue de Paris ne sait pas cultiver les pommes de terre.

La réunion à former devra prendre le titre de société de RÉFORME INDUS¬TRIELLE, tendant à corriger le système morcelé et mensonger qui règne dans toutes les branches d'industrie. Elle devra se pourvoir d'un journal qui sera bientôt le plus recherché, par la facilité qu'offre la doctrine sociétaire de frapper de ridicule toutes les opérations et opinions tenant au système philosophique, au morcellement domestique et agricole, au trafic mensonger, et à la manie d'irriter les partis politiques sans jamais les concilier.

Le négociateur, dans ses propositions aux personnages compétents, devra faire valoir d'abord l'importance d'une innovation qui, seule, pouvant concilier les intérêts des gouvernements et des peuples, s'établira par tout le globe avec la rapidité de l'éclair; et le PIS-ALLER, qui, dans le cas de fausseté du calcul de l'attraction, serait de doubler, dès la première année, capital et revenu; CAPITAL, par le tribut des curieux payants qu'amènerait le spectacle du concert des passions avec l'industrie ; et REVENU, par les bénéfices matériels du régime des Séries, tout à fait inconnu en Civilisation. En supposant donc le calcul faux, sous le rapport des effets d'attraction, il resterait juste quant au mécanisme sériaire, et il élèverait le produit de la France de six milliards à douze. BEAU PIS-ALLER !

Quels que soient les hommes et les classes à qui s'adressera le négociateur, il pourra toucher au côté faible de chacun : parlant à un prince, il lui représente l'éclat de la récompense, devenir empereur des empereurs, César ou Aguste (278 et 380) ; à un ministre, il présente la perspective d'obtenir SOUS 2 ans un empire ou un césarat héréditaire ; à un financier, l'honneur d'éteindre subitement toutes les dettes des nations et de gagner une fortune proportionnée au service; à un banquier, tant de bénéfices que j'emploierais une page à en donner la liste; à un philanthrope voulant extirper l'indigence, on dépeint l'honneur de bannir à jamais ce fléau du globe entier, de l'anéantir dès la première année, ainsi que l'esclavage et tant d'autres écueils du pauvre génie philosophique ; à un prélat, l'honneur d'anéantir sans retour l'athéisme et le matérialisme ; à un ambitieux qui convoite un ministère, le charme de voir sous quelques mois tous les monarques et les ministres l'accabler de décorations et de récompenses ; à un philosophe, l'honneur de former école en un mois, entraîner tout, et prouver que cette philosophie moderne qui se dit ÉCLECTIQUE n'est que SIMPLISTE, n'observant que les effets, que la superficie en mouvement social, sans étudier les causes, analysant les idées, au lieu d'analyser l'attraction, moteur de l'homme ; étudiant l'attraction en mode simple, en matériel, au lieu de l'étudier en matériel et en passionnel.

Le négociateur aura quelques sophismes à réfuter ; tels sont les trois suivants, très familiers aux Français :


1° L'exception prise pour règle, c'est l'usage de tout ergoteur : l'exception confir¬me la règle, et n'établit pas une règle.

2° L'insuffisance des ressources connues : On doit spéculer ici sur les ressources que fournit la Série passionnée, moyen très inconnu, et non sur les faibles ressorts de civilisation.

3° Le défaut de fonds: Ils abondent quand on propose un placement sans hypothèque, tel que l'emprunt d'Espagne. Plus la chance est dangereuse, mieux les Parisiens y topent, même à des folies de 100 millions, comme la rue Impériale du Louvre à la Bastille, même à des folies de 300 et 400 millions, pour la gloriole d'amener les grands vaisseaux à Paris, quand il suffirait de les amener à Rouen, de canaliser la barre de Quillebœuf, et couper quelques isthmes. En affaires particulières, ils sont de même aventureux pour des entreprises sans gloire ou sans bénéfice majeur. (Voyez, page 48, les brasseries et la société commanditaire.) En duperies indivi¬duelles, on a vu récemment un pair colloqué pour 3 millions dans une affaire d'agiotage d'où il ne retirera peut-être pas le dixième. Ce ne sont donc pas les fonds qui manquent, mais le discernement en emplois : on n'incline que pour ce qui est dangereux.

Par indication du genre de candidats à rechercher, je vais citer quelques défunts. En Angleterre, lord Byron eût convenu pour orateur; il méprisait la civilisation. Quant au fondateur, le feu duc de Bedford, par sa fortune et ses inclinations vraiment libérales, eût été le mieux disposé. En France, le feu duc de La Rochefoucauld pour fondateur, et le général Foy pour orateur, auraient entraîné la confiance, et décidé d'emblée la souscription.

Il faut de ces hommes qui ont l'estime de tous les partis ; j'en pourrais citer bon nombre parmi les vivants : comme orateur, M. de Chateaubriand, par ses précédents, est l'apôtre naturel de la théorie sociétaire qui foudroie l'athéisme et qui, en mécani¬que sociale, établit la suprématie de Dieu et l'incompétence de la raison humaine. S'il épousait cette noble thèse, il serait assuré du même succès qu'obtint saint Augustin contre les faux dieux. Elle conviendrait de même à ceux qui se disent philosophes ÉCLECTIQUES; s'ils veulent choisir et assembler les bons ressorts, ils doivent, en attraction, assembler le passionnel avec le matériel ; et en industrie, combiner l'éco¬nomie sociétaire avec la mécanique matérielle, seule branche cultivée par nos industrialistes.

On voit des Anglais DÉPENSER en frais d'élection 600 000 F. En faisant l'AVANCE de 600 000 F. sur hypothèque, un d'eux formerait la compagnie, fonderait la phalange d'essai, et obtiendrait le sceptre omniarchal et héréditaire du globe ; poste un peu supérieur à celui de député. je désigne entre autres sir F. Burdett.

Un moyen décisif serait de persuader un prince de haute influence; pour peu qu'il prît la première action, les autres seraient placées le lendemain. (On n'en devra livrer que le tiers.) Parmi les monarques, l'opinion désigne le roi de Bavière. je nommerais aussi les princes français, si quelqu'un pouvait leur faire savoir que la théorie du mécanisme sociétaire garantit la chute des systèmes philosophiques et des esprits de parti. Tous les monarques ont le même intérêt à cette métamorphose, depuis le plus grand, celui de Russie, pour peupler et tempérer ses vastes États, jusqu'au plus petit, celui de Saxe, pour recouvrer plus qu'il n'a perdu, obtenir le sceptre omniarchal.

Les plus opulents, comme celui de France, manquent du nécessaire en impôt : la belle France, avec 1 300 millions d'impôt, dont 1 000 intra et 300 extra-budget, n'a pas de quoi payer les militaires; car on demande à ceux en activité un abandon partiel de solde pour soutenir les retraites bien diminuées par les décès. Quant aux soldats, ils n'ont pas de feu dans leurs casernes pendant les plus grands froids; on ne leur donne qu'un peu de charbon pour cuire la soupe, et passé ce temps, la chambrée est sans feu, ce qui cause beaucoup de maladies et de morts. S'ils se plaignent, on les met en prison, ou bien, en Angleterre, on les accable de coups. Sir R. Fergusson a présente en vain au parlement un tableau effrayant des tortures qu'on fait éprouver au soldat. Voilà le fruit des garanties du système représentatif; il fait le bien du peuple en paroles, et le mal en réalité. En dépit de nos illusions de garantie, le mal fait dix pas en avant quand le bien en fait un.

Combien les souverains si gênés auraient-ils besoin du régime sociétaire qui leur garantit le doublement de l'impôt effectif ! Les partis politiques sont encore plus intéressés à un changement. Les libéraux sont sur un baril de poudre, menacés, comme les petits enfants, d'un ogre qui arrivera de Londres ou de Capharnaüm pour les dévorer. Tout régime contre lequel on peut machiner impunément sera tôt ou tard anéanti : un ordre si précaire est indigne de confiance; il faut un régime fondé sur l'intérêt et l'adhésion passionnée des Cours; tout autre finira comme la charte de Portugal, ou comme les stupides Cortès qui, au lieu d'armées, n'opposaient à leurs ennemis que les discours d'Arguellès.

Le libéralisme travaille, dit-il, pour le peuple, et il aboutit à maintenir l'impôt des droits réunis, qui fait peser sur la classe pauvre tout le fardeau fiscal et tout le préjudice d'altération des comestibles et liquides. Plus on perfectionne le libéralisme, plus on voit s'accroître le gaspillage. La France dépense à l'entretien de 200 000 soldats le double de ce que coûte à la Prusse l'entretien de 500 000. Si les libéraux ignorent ce désordre, à quoi sert leur surveillance; et s'ils ne peuvent pas y remédier, à quoi sert leur faconde, leur pléthore de bel esprit dénué de génie inventif, ne sachant pas même inventer la 4e phase de civilisation ? (Chap. XLIX.)

Aux jours de leur influence, ils n'ont su pourvoir à aucun des besoins de la France, tels que division régulière et équitable du territoire, en remplacement des circons¬criptions ridicules et gênantes qu'ont établies les Constituants; reboisement des pentes et landes, par engagement solidaire des communes environnantes; code d'architecture pourvoyant à la salubrité, à l'embellissement et aux garanties réciproques. Ils ne savent qu'irriter les maîtres, et faire peser leur colère sur quelques villes non proté¬gées, dont le précédent ministère a détruit les fabriques et les établissements. Bref, c'est un parti perdu par sa manie d'employer des philippiques là où il faudrait des inventions. En outre, ils sont en mauvaise veine, échouant partout malgré quelques lueurs de retour; ils conduisent la France au sort de la Péninsule, faute de savoir inventer les moyens de rallier l'intérêt du peuple à celui de la cour. (Chap. XLIX et L.) D'ailleurs la tactique a passé du côté de leurs rivaux, qui sont bien plus intelligents en fabrique de conspirations, en tocsin d'alarme, en diffamations, etc. Ce n'est pas avec de la justice, ni de la raison qu'on triomphe en civilisation : Canning le disait au parlement anglais.

Cette situation critique des libéraux devrait en convertir quelques-uns, les con¬vaincre de la nécessité de sortir de l'abîme civilisé, de fonder une des phases du tableau.

Quant au parti opposé, il est comme ses rivaux assis au volcan. J'ai prouvé que son système d'obscurantisme et de rétrogradation ne le conduirait pas où il pense; diverses causes et surtout la complication financière tendent à replonger l'Europe dans les révolutions, si on ne se hâte pas d'avancer en échelle. La vile politique anglaise attiserait tous ces ferments de trouble, pour favoriser la vente de ses calicots, en replongeant le continent dans la demi-barbarie de la Péninsule. Elle aurait pu, par emploi du monopole composé (504), ou système des libertés fédérales et de la réduction d'impôt, faire la conquête du globe presque sans combat. Les modernes ont manqué cette invention, en choisissant pour guides l'athéisme et le trafic, au lieu de choisir Dieu et l'honneur ; de spéculer sur la recherche du code divin et la répression de la fourberie mercantile. Combien l'un et l'autre parti, libéraux et absolutistes, avaient besoin qu'une découverte leur offrît le moyen d'échapper à eux-mêmes, à leur propre impéritie; qu'ils sont bien dignes tous deux du titre que leur donne l'Évangile, aveugles qui conduisent des aveugles !

Ramenons-les en peu de mots dans la droite voie ; que cherchent-ils l'un et l'autre ? Des richesses, du pouvoir, des dignités. J'ai démontré qu'ils seront pleine¬ment satisfaits dans le régime d'attraction industrielle.

Mais on redoute les illusions, parce que le siècle à été mystifié depuis 20 ans par Robert Owen sur l'association : c'est la faute du siècle. Il a mérité sa duperie en n'imposant aucune condition; en se déclarant pour l'homme et non pour la chose, comme l'a fait la société coopérative de Londres : la voilà plaisamment désappointée, maintenant que son patron est convaincu d'ignorance en association, et que ses vingt établissements n'ont pu séduire aucune horde sauvage, aucune province de civilisés !

En terminant, rappelons aux savants, artistes, littérateurs, instituteurs, que c'est ici un coup de haute fortune pour chacun d'entre eux. Le ressort nommé Séries passion¬nées créera DU PREMIER JET, EN 2 MOIS D'EXERCICE, le mécanisme sociétaire que les owenistes n’ont pas su créer en vingt années de tâtonnements - ils nous ont payés en fausse monnaie philanthropique.

Cette duperie n'est pas un motif de se rebuter, mais de mieux s'orienter : toute science n'a-t-elle pas été dans ses débuts en proie à la charlatanerie ? Enfin l'on tient en association la théorie régulière diamétralement opposée aux utopies et jongleries philanthropiques des owenistes. Il s'agit de réparer au plus vite le tort d'une folle confiance ; et puisqu'on a facilité aux charlatans sociétaires la fondation de VINGT établissements en méthode fausse et répugnante, qu'on en essaie au moins UN en méthode attrayante ou Séries passionnées : l'on en obtiendra aussitôt tous les bienfaits annoncés au frontispice et dans le cours de cet ouvrage.



Note de la section § 4 de la Postface

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En harmonie, l'une des premières opérations sera de rassembler un congrès de grammairiens et naturalistes pour composer une langue unitaire, dont le système sera réglé sur l'analogie, avec les cris des animaux et autres documents naturels. Ce travail sera à peine fini au bout d'un siècle ; et, pour l'achever, on aura une boussole certaine qu'il n'est pas encore temps de faire connaître. Bornons-nous ici à disserter sur le cadre de l'alphabet, base des études qui doivent concourir à la formation d'une langue générale.


Cadre figuratif des lettres
Pour l'alphabet général à 48 signes
Forcées majeures F F F F
Consonnes maj. CC CCR CCCC CCC
Ambiguës maj. A A
VOYELLES maj. VV VV
PIVOTALES PP
VOYELLES min.
PP

Ambiguës min.


Consonnes min. CC RCC CCCC CCC
Forcées mineures F F F F


Dans ce tableau, je n'ai pas désigné les lettres, mais seulement le cadre des genres et espèces. Les grammairiens pourront controverser sur l'emplacement de quelques lettres, d'après les doutes que je vais exprimer.


Pivotales â, a, a, ô sont les plus éclatants en long et en bref.
Voyelles maj. ê, é, eu, ou. toute autre voyelle usitée, è, ai,
Voyelles mm. et, i, e, u. rentre dans l'une de ces douze.

Consonnes maj. zze, ze, b, d, R maigre, que, gue, je, ve, le, me, ye, quieu, guieu, che, fe, Ile, ne, gne.
Consonnes min. sse, se, p, t, R gras

Ambiguës majeures, ACH, HHA, mineures OOE, AN.


Chacune des 4 ambiguës comprend tous les sons qu'on peut former en son genre; ainsi AN comprend les nasales an, en, in, on, un. Il en est de même des sons oue, eue, ie, ée, ue, aie, etc., variétés de OOE, et des sons tels que ohe, hohen, qui sont variétés des ambiguës HHA et ACH.

Les huit FORCÉES en majeur et mineur comprendront les sons bizarres, glousse¬ments et autres que forment les sauvages, les Arabes, etc.

Les diphtongues ou voyelles combinées n'ont pas place dans l'alphabet. Chacune des 12 voyelles peut former 22 diphtongues avec les 11 autres, et beaucoup encore par amalgame avec les ambiguës.

Nous n'avons pas de signe indiquant le son blessé, Ire consonne ; je l'ai figuré par une lettre redoublée, zze, sse.

Les consonnes et voyelles doivent être dualisées, assemblées par paires identiques, en son fort et faible comme b, p.

Je désigne par ll, le l mouillé des mots paille, treille.

Quieu et guieu ne sont pas les sons de Montesquieu et Périgueux qui emploient la voyelle u; ceux-ci emploient l'eu bref, comme leur gueule.

Ye est l'oye des Russes, dans l'interjection aie, le mot rayon.

Je n'ai pas admis en paire de consonnes les tch et dg des Italiens ; ce sont des consonnes redoublées, et non pas des sons purs. D'autres pourront opiner différem¬ment ; c'est là-dessus que s'établira la controverse. Je déclare moi-même que je ne soutiens pas cet alphabet, mais seulement le cadre auquel je l'applique, et auquel devra se conformer tout grammairien qui voudra modifier mon aperçu d'alphabet. Les sons de la parole sont une série mesurée de 31 degré, et distribuée en deux gammes et 4 sous-gammes, comme les 32 chœurs de phalange (p. 154), et comme les 32 planètes sur leur pivot, ou soleil. Je dis 32 planètes, parce qu'il en reste 4 à découvrir (III, 245), et que la lune Phœbé, astre mort, n'est plus à compter, son remplaçant VESTA étant déjà en plan, pour venir avec Mercure, Cérès, Junon et Pallas, se conjuguer sur notre globe, dès qu'il sera parvenu à l'harmonie (114 558). Les 4 planètes inconnues sont deux satellites d'Herschel et les deux ambiguës de Saturne et Herschel.


PONCTUATION


Outre l'alphabet des lettres, il faudra créer celui de la ponctuation, qui doit contenir même nombre de signes : il est inconnu à tel point que les Français n'ont que sept signes ponctuants, savoir , ; : . ! ?). Le crochet n'est plus en usage, c'était le 81 ; quant aux accents é è ê ë, ils sont signes de voyelles différentes, et non de ponctuation. Il en est de même de l'apostrophe, qui exigerait un signe spécial et non une virgule exhaussée. Notre langue est si pauvre en ce genre, qu'on est obligé d'employer, ou le point, ou les deux points ; ce qui cause confusion.

J'avais commencé un travail sur la gamme de ponctuation, je l'avais poussé à 25 signes, appuyés d'exemples dénotant le ridicule et l'ambiguïté de nos signes actuels : j'ai perdu ce travail avant qu'il fût achevé et je ne l'ai pas recommencé depuis. Observons à ce sujet que le premier de nos signes, le plus bas, nommé virgule, doit être différencié au moins en quadruple forme, pour faire apprécier les différentes portées de la virgule, ses acceptions qui, variant à l'infini, sont exprimées confusément par un seul signe, c'est le comble du désordre. Il en est de même des autres signes, ils cumulent 3 ou 4 sens : la ponctuation civilisée est un vrai chaos, comme l'orthographe, qui varie dans chacune des imprimeries de Paris. L'Académie, avec son principe obscurant de ne permettre aucune correction des vices les plus saillants, a révolté les esprits à tel point, qu'il en est résulté une rébellion générale, une anarchie universelle en grammaire.


NOTATION MUSICALE

L'antipathie académique, pour toute nouveauté utile, est au point de maintenir tous les usages ennemis des arts, comme l'emploi de huit clés en musique, méthode si complicative qu'elle rebute les 9/10e des élèves.

Cette confusion ne tient qu'à la vicieuse coutume de noter sur onze lignes au lieu de douze, dont deux seraient intermédiaires et espacées, entre les basses et le dessus. On n'aurait alors qu'une clé, en plaçant celle de SOL en 1re ligne, où elle sera beaucoup mieux qu'en 2e ; car aujourd'hui les modulations sont bien plus élevées qu'autrefois, surtout depuis l'usage des pianos à six octaves. Voici un exemple de cette annotation, où les deux portées de basse et dessus sont les mêmes pour l'œil et la note.

1, 2, 3, 4, 5 ... 6, 7 ... 8, 9, 10, 11, 12.

Clé de FA en 5e, clé de SOL en 8e ligne. Les parties mixtes, ALTO, etc., notées ou sur 3, 4, 5... 6, 7; ou sur 7, 7 ... 8, 9, 10.

Ici la méthode arrive à l'unité, parce qu'on emploie la gamme douzainale, selon le vœu de la nature. je m'étonne que nos savants, si ennemis des gammes et séries, n'aient pas envoyé au Soleil un huissier, pour lui signifier qu'il ait à devenir philosophe, et qu'il cesse de nous déployer dans ses rayons une gamine élémentaire de 7 couleurs, les gammes étant réprouvées par les vrais philosophes.

L'instinct du faux éclate dans toutes les habitudes civilisées comme dans la numération DIZAINALE (III, 586, la note). (Je ne dis Pas DÉCIMALE, parce qu'on attache à ce mot un sens puissanciel.) La division dizainale est contraire à la nature et à l'économie, puisque douze est le nombre, qui en basse catégorie, contient la plus grande somme de diviseurs communs dans la moindre somme d'unités. Leur instinct pour le faux s'étend aux minuties de nul intérêt ; ils ont choisi pour côté d'honneur la droite, quoique le viscère d'honneur, le cœur, soit à gauche, et que la planète présente la gauche au soleil.

Le génie civilisé, toujours malencontreux en tous genres d'étude, même en mathématiques, où une étourderie l'empêche de résoudre au-delà du 4e degré, devient hésitant et pusillanime lorsqu'un coup de hasard l'entraîne dans la bonne route, dans l'attaque du préjugé : en voici d'un exemple récent.

Janvier 1829. L'un des journaux de Paris, la Quotidienne, a osé soutenir une thèse des plus vraies (qu'elle a pu lire dans mon Traité de 1822), c'est que toute concurrence illimitée en commerce n'est autre chose qu'un piège. C'était choisir un thème brillant qui suffirait à confondre notre mécanisme commercial et industriel, notre MONDE à REBOURS ! Le journal qui abordait un si beau sujet a semblé douter de sa force, et craindre le reproche d'hérésie philosophique; il a gâté sa thèse en y insérant des diatribes contre les machines fort innocentes des travers de nos sciences économiques; il a fait comme feu Geoffroy, qui émit un jour une opinion fort juste, que le commerce est l'art de vendre six francs ce qui en coûte trois. (Art de tous les accapareurs qui sont les seuls admirés et titrés d'habile garçon, bonne tête; art de tous les marchands de liquides qui, fabriquant du vin avec quelques drogues et de l'eau exempte d'octroi, disent très véridiquement : j'ai dans ma cour une pompe qui me rend dix mille francs par an.) Geoffroy ne sut pas soutenir son opinion ; il se laissa battre par ses adversaires, qui ne donnaient pas une raison valable. Ainsi la Quotidienne se laissera battre sur la thèse la plus régulière, la plus évidente.



FIN